De Minos.
CHAPITRE VIII.
MAIS parce que les ignorans ne pouuoient bonnement comprendre, que Dieu penetraſt iuſques aux plus ſecrets cabinets de noſtre cœur, & qu’il connuſt les plus cachez penſers de noſtre ame, & que par conſequent il puniſt ou recompenſaſt vn chacun ſelon ſes merites : voila pourquoy l’on fut contraint de perſuader aux hommes par quelque plus groſſier & ſenſible moyen, que telle eſtoit la verité. Iuges et boureaux des enfers.Ils eſtablirent, donc és enfers des Iuges & des boureaux des ames aprés leurs decez, qui contraindroient vn chacun de confeſſer ſes fautes & meſchan-cetez, à fin que par la ſentence de ces rigoureux Iuges on receuſt recompenſe ou chaſtiment. Entre tels Iuges Minos Roy de Candie fils de Iupiter, tenoit le premier rang, duquel Homere en l’onzieſme de l’Odyſſee fait mentiont :
Là i’appercoy Minos dont Iupiter eſt pere,Tenant vn ſceptre d’or, & d’vne mine auſtere.Aßis iugeant les morts qui demandoient raiſon,Et tous les habitans de l’obſcure maiſonTant aſſis que debout enuironnoient la faceDe ce Iuge, prians que iuſtice il leur face.
Genealogie de MinosOr Minos fut fils d’Aſtere Roy de Candie, mais on le feint eſtre né de Iupiter & d’Europe rauie, d’autant que les plus illuſtres Roys portoient anciennement le tiltre & nom de Iupiter. Apres la mort de ſon pere, les Candiots ſes ſujets le troublerent en ſon Eſtat, l’empeſchans de ſucceder à la couronne. Et pour les appaiſer, accort qu’il eſtoit, il les abbruua de cette ſuperſtition, ſoy diſant eſtre fils du grãd Iupiter : & que par vn ſigne qui luy deuoit arriuer deuers la mer, il leur feroit fort bien apparoir qu’il luy auoit donné ce Royaume en partage : comme de faict il auoit voüé à Neptun de luy ſacrifier ce qu’il luy viendroit de ce coſté là. Sur ces entrefaites luy apparut vn beau Taureau blanc, qui ſ’acheminoit de ce meſme lieu au moyen de quoy le Royaume luy fut remis paiſible entre les mains. Toutefois il ne tint pas promeſſe à Neptun : car au lieu de ce Taureau, il en immola vn autre, & retint le premier pour chef de ſes trouppeaux, à fin d’en tirer race. Dõt le Dieu indigné, troubla ſa maiſon des abominables adulteres & monſtres que Paſiphaé ſa femme luy ſuſcita, cõme nous dirons en ſon lieu. Quant à ce qui concerne le Labyrinthe & le Dedale, nous l’expoſerons en Theſee & Dedale. Les vns tiennent que Minos eſtoit habitant de l’iſle de Candie, les autres qu’il eſtoit eſtranger, non-pas fils de Iupiter. Mais ie croy qu’il eſt bien mal-aiſé de trouuer la verité de ce faict, tant à cauſe des diuerſes opinions des autheurs, que de la diſtance du temps. Ephore dit que Minos fut imitateur d’vn certain Rhadamanthys tres-ancien, & de grande reputation à cauſe de ſa iuſtice & equité, & que depuis pour auoir ſoigneuſement adminiſtré la iuſtice, il fut eſtimé fils de Iupiter. Homere au 19. de l’Odyſſee appelle. Minos non-pas fils de Iupiter, mais ſon eſcholier ſeulement & diſciple, qu’il dit auoir regné neuf ans en Candie :
Crete giſt au milieu du grand Ocean, iſle,De treſplaiſant aſpect & de tous biens fertile,Peuplee infiniment les flots de toutes parsEnuironnent ſes fins, & battent ſes rempars.Elle à de conte faict quatre vings & dix villes,Villes cloſes de murs, & de gens tres-habilles,Qui de pluſieurs parlers n’en font qu’vn Acheens,Braues & vrais Cretins, vaillans Cydoniens,Les Dores Martiaux, Pelaſges, gent celeſte :Mais ſur toutes on void Gnoſſe eſleuer ſa teſte,Ou neuf ans a regné Minos Iuge d’enfer,Minos qui fut iadis de Iupin eſcholier.
Toutesfois Euſebe & autres autheurs ne ſont peu differents quant au nombre des annees que Minos a regné en Candie. Minos (comme ils diſent) ſe ſeruit de Rhadamanthe, qui certes eſtoit homme de bien, mais peu verſé és affaires d’Eſtat, auquel Minos bailla la garde des loix & de la iuſtice en la ville, & dehors auoit pour officier Talaés, ſurnommé d’Airin, pource qu’allant aux champs il portoit des ttableaux d’airin où eſtoient grauees les loix qu’il falloit obſeruer. Li. 7. c. 9.On dit que Minos eſtendit ſon domaine bien auant ſur la mer, & qu’à cauſe de la mort d’Androgee ſon fils, il fit la guerre aux Atheniens, & les rendit ſes tributaires, comme Plutarque eſcrit en ſa vie, & nous le declarerons en ſon lieu. Minos eut trois fils, Androgee, Glauque, & Deucalion ; & deux filles, Phedre & Ariadne. Zezes en la 19. hiſtoire de la premiere Chiliade, dit que les filles de Cocale Roy de Sicile, tuerent traiſtreuſement Minos en la maniere qui ſuit : Comme il pourſuiuoit Dedale fuyant il arriua en Sicile, où Cocale le receut auec bon accueil, & luy fit tres-bonne chere : mais ſes filles ſous ombre de le bien traitter, le menerent en vne eſtuue tres-chaude, & au partir de là, en vn lieu extremement froid, dont il mourut. D’autres diſent qu’elles à la ſolicitation de Dedale, luy ietterent du faiſte du logis quantité d’eau bouïllante, dont il fut ſi bien baigné qu’il en mourut. Il eut auſſi vn autre fils d’Acacalles, nommé Oaxe, qui donna nom à vne ville de Candie. Mais ſoit qu’il ait eſté fils de Iupiter & d’Europe rauie, ſoit que pour ſes vertus il ait merité d’eſtre dict fils de Iupiter : tant y a qu’on luy a donné la lieutenance & iudicature des enters, comme dit Platon en Gorgias : Conoiſſant cela i’ay premier que vous eſtabli mes enfans pour Iuges, aſſauoir deux d’Aſie, Minos & Rhadamanthe : & vn de l’Europe, Æaque.
Et pour n’alleguer icy tout ce qu’il en dit, i’en comprendray le ſens en peu de mots : Ceux cy doncques, quand les treſpaſſez ſeront arriuez, les iugeront dans le pré & au carrefour, qui ſe fend en deux chemins, l’un tirant vers Tenar, l’autre vers les iſles des bien-heureux. Rhadamanthe iugera ceux d’Aſie, Æaque ceux qui viedrõt de l’Europe : la charge de Minos ſera de iuger les differends qui ſuruiendront entre eux deux, & de tenir la main à ce que bonne & brefue iuſtice ſoit faicte, & que deſormais les ames ſoient renuoyees en telle maniere qu’il appartient.
C’eſt ce que nous pouuons apprendre touchant Minos l’un des Iuges infer-naux, qui concerne ce dont il eſt icy queſtion.
¶Or eſt-il à noter que les Poëtes & autres Eſcriuains d’Athenes ſe ſouuenans de la rude guerre que Minos fit à leur territoire, en vengeance de la traiſtreuſe mort de ſon fils Androgee, ont employé leur plume au reſentiment des armes de ce genereux Roy, Prince tres-bon, tres-ſage, tres-equitable ſur tous autres de ſon temps : & pour le baffoüer dauantage l’ont mis en ieu ſur leurs eſchaffaux & theatres, ont remply toutes leurs aſſemblees, publicques & particulieres, des mocqueries & diffamations d’iceluy. Et paſſans plus outre, ont faict ſa femme putain, ſes enfans baſtards, ſa maiſon ſoüillee d’adulteres infames, ſa lignee monſtreuſe. Et pour le refrain, luy relegué en l’autre monde au ſiege preſidial des enfers, expoſé à vn perpetuel embarras des ames damnees qui l’inueſtiſſent de tous coſtez, criaillent autour de luy, bruyent & tempeſtent requerans iuſtice. C’eſt donc choſe de dangereuſe conſequence d’irriter ceux qui ſçauent mettre la main à la plume, tels qu’eſtoient les Atheniens, grands maiſtres de l’eloquence.