Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 05 : De Bellerophon Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Bellerophon.

CHAPITRE V.

BELLEROPHON, qui occit la Chimære, natif de Corinthe, fut fils de Neptun, ou de Glauque Roy d’Epire, fils de Syſiphe, teſmoin Dioxippe Corinthien au deuxieſme liure de l’hiſtoire de ſa patrie, & Pauſanias és Corinthiaques. Il ſe nommoit Hippon, ou Hipponome : mais pour auoir tué ſon frere Beller, (quelques-vns diſent que c’eſtoit vn Prince de Corinthe, non pas ſon frere) il fut appellé Bellerophon, comme qui diroit Meurtrier de Beller : toutefois Phœnix Colophonien nomme ce frere Delias : Philemon l’appelle Pirene : & Dorothee Sidonien, Alcimen. Apres ce meurtre il ne changea pas ſeulement de nom, mais auſſi de pays. Eſtant donc fugitif il alla preſenter ſon ſeruice à Prœte Roy d’Argos, lequel auec beaucoup de courtoiſie & d’humanité le purifia du meurtre dont il eſtoit pollu, & le receut en ſa cour. Peu de iours apres Antee, ou ſelon d’autres, Sthenobœe, femme de Prœte s’amouracha eſperduëment de Bellerophon, beau ieune homme & accomply de tous poincts : & de faict le pria d’amour, luy offrant la iouyſſance de ſon corps. Mais ſe voyant contre ſon eſperance refuſee, & ne pouuant par aucuns amoureux attraits ny par ſes parolles emmiellees l’induire à paillardiſe elle chãgea ſon amour en haine & l’accuſa enuers le Roy comme ayant entrepris d’attenter contre ſa pudicité. Prœte croyant l’accuſation de ſa femme eſtre veritable, deſira fort de ſe vanger de l’outrage à luy faict par Bellerophon : toutesfois pource qu’il luy eſtoit domeſtique, il ne voulut pas ſoüiller ſon hoſtel Royal du ſang d’iceluy, d’autant que les Anciens auoient bien cette bonne couſtume de ne faire mourir perſonne auec lequel ils euſſent repeu, ſi ce n’eſtoit de chaude cholere, par querelle ou autre rẽcontre, non de guet à penſé, ny permettre qu’il fut tué dans ſa maiſon : ains l’enuoya vers Iobatés ſon gendre Roy de Lycie (les autres diſent Rheon ſon beau-pere) chargé de lettres ſcellees contenants les charges de ſon accuſation, ſuiuant leſquelles il luy mandoit qu’il le fiſt mourir à quelque prix que ce fuſt. Voyez li. 2 chap. 8.Hippolyte courut ſemblable fortune à cauſe des amours de ſa belle-mere ; & Pelee pour l’amour de Cretheis fille d’Hippolyte ; leſquels neantmoins à cauſe de leur innocence, apres auoir iniuſtement ſouffert beaucoup d’afflictions, furent par la miſericorde des Dieux remis en leur premier eſtat, comme il a eſté dit en leur lieu. Or Bellerophon arriuant en Lycie, on y ſolenniſoit vne feſte generale : cauſe que Iobatés ne leut pas ſi toſt les lettres qu’il luy preſenta de la part de Prœte : mais le feſtoya l’eſpace de neuf iours ; au bout deſquels la feſte expiree, il vint à ouurir le pacquet de ſon pere. Et d’autant qu’il obſeruoit la couſtume ſuſdite, il ne voulut pas mettre les mains ſur luy, pource qu’ils auoient banqueté enſemble ; toutesfois reſolu d’accomplir le contenu des lettres, & de luy braſſer quelque trahiſon pour le faire mourir, il luy tint propos de l’auenture de la Chimære, luy remonſtrant la reputation que s’acquerroit celuy qui la pourroit deſconfire : Il l’enuoya donc à la defaicte du monſtre, croyant que ſans ſe polluer, le ieune Prince mourroit en l’entrepriſe ; laquelle, eſtant d’vn cœur gentil & genereux, il entreprit comme auſſi le teſmoigne Homere au 6. de l’Iliade :

D’vn braſier amoureux Antee femme à Prœte De s’accoupler à luy ſecrettement s’appreſte. Mais de Bellerophon plus ſage & plus accort Le cœur elle ne pult induire à cet accort. Lors elle d’vn propos plein de fraude & menſonge Coniure ainſi le Roy : Que male mort te ronge, Si de ce iouuenceau l’outrecuidé delict, Prœte, tu ne punis, qui mon pudique lict De vouloir vilainer n’a point eu de vergongne. Ainſi dict la meſchante ; & le Roy ſe refrongne D’vn furieux ſourcil, il ne veut toutefois (Car ſon cœur hait le meurtre) empunaiſir ſes doigts Au ſang de l’accuſé : mais l’enuoye à ſon gendre Auec vn faux pacquet, auquel il fait entendre Le crime ſuppoſé, luy mandant que de faict Par la mort du porteur il vange le meffaict. Auec ce mandement le ieune hommne il enuoye. Qui ſaintement guidé des Dieux ſe met en voye, Et fait tant qu’il arriue au païs Lycien, Ou ſe va deriuant le fleuue Xanthien. Le Prince le reçoit, et durant neuf iournees Par luy furent bancques & feſtes ordonnees Pour ſa reception, & mit ſur ſes autels Vn preſent de neuf bœufs aux grands Dieux immortels. Au dixieſme ſoleil, alors que l’aube clere Vient deſcouurir le iour le Roy ſe delibere Sçauoir pour quel ſuiet Bellerophon eſtoit Enuoyé deuers luy, & quels briefs il portoit.

Puis apres il recite les mãdemens & les commiſſions que Iobatés luy donna ; & premierement de combatre la Chimære, monſtre ſi hideux, & qui vomiſſoit vne ſi grande quantité de feu qu’il bruſloit tout le païs circonuoiſin, & faiſoinmourir le beſtail des champs. Mais les Dieux connoiſſans ſon innocẽce, eurent compaſſion de luy, & luy donnerent le Pegaſe volant, né de Neptun & de Meduſe, ou bien (comme d’autres veulent dire) du ſang de Meduſe lors que Perſee luy trancha la teſte, lequel cheual tua d’vne ruade, Bargyl compagnon de Bellerophon, ainſi comme il le cuida empoigner, & donna nom à Bargylle ville de Carie. L’on dit que Minerue Chalinitide a (comme qui diroit Bridereſſe) ſecourut plus que pas vn des autres Dieux l’innocence de Bellerophon, & qu’elle luy donna le Pegaſe dreſſé de ſa main, & accouſtumé à ronger le mors, auec vne bride d’or qu’elle luy apporta du Ciel. Chimære occite. Monté ſur ce cheual il defit & tua la Chimære. Les Solymois.Secondement il l’enuoya fort mal accompagné contre les Solymois, peuples d’Aſie, auec leſquels il auoit guerre, eſperant que ce ieune homme conuoiteux de gloire & d’honneur, ſeroit aiſement defaict par cette nation valeureuſe. Mais il les vainquit ; Lyciens.& cõme il s’en retournoit ioyeux de ſes victoires, grand nombre de Lyciens l’attendans en embuſcade le veindrent charger à l’improuiſte, leſquels il fit tous paſſer au fil de ſon eſpee. Amazones vaincus par Bellerophon : maisIobatés l’employa depuis contre les Amazones, & en pluſieurs autres entrepriſes, deſquelles il reueint touſiours la victoire au poing : tellement que Iobatés admirant ſa valeur & generoſité, luy donna en mariage ſa fille Philonoé, de laquelle il engendra Iſandre, Leodame, & Hippoloche : toutesfois d’autres les font enfans de pluſieurs meres. Apres cela, comme l’innocence de Bellerophon fut connuë par tout le monde, la femme de Prœte ne pouuant viure auec tel blaſme & infamie, elle beut de la cigue, & mourut. Et Iobatés decedant laiſſa Bellerophon ſucceſſeur de ſon Royaume. Puni de son orgueil.Mais, comme il en prend ordinairement à beaucoup de perſonnes, vne ſi admirable proſperité l’enorgueillit ſi fort qu’il entreprint de voler iuſques aux cieux par le moyen du Pegaſe aiſlé : laquelle arrogance Iupiter tres-ſeuere vangeur de toute temerité, iugeant ne debuoir laiſſer impunie, enuoya la rage à ce cheual, lequel iettant ſon cheuaucheur à bas, en vne plaine de Cilice nommee Alcie, luy fit perdre la veuë, & pourtant il ne ceſſa d’aller tracaſſant parmy cette campagne, tant que finalement il mourut de faim & de pauureté, ne rencontrant ny maiſon ny homme qui luy donnaſt aucune aſſiſtance : mais le Pegaſe volant emmy l’air, tantoſt haut, tantoſt bas, retourna finalement au Ciel en la creche de Iupiter : ce ſont Eſtoilles ainſi nommees : ce que voyant l’Aurore, elle l’obteint de Iupiter, afin que portee par luy elle parfiſt ſon cours quotidien.

Mythologie de Bellorophon.Les vns donnent à cette fable vne explication hiſtorique, les autres vne phyſique, les autres morale. Quant à ce qui touche l’hiſtoire, cela eſt clair de ſoy-meſme, fors que le Pegaſe eſtoit vn brigantin ou autre vaiſſeau fort leger, comme nous dirons tantoſt : ainſi nommé du verbe Grec pégniſthai, qui vaut autant comme ſerrer & relier enſemble. Ceux qui l’expoſent ſelon la phyſique, dient que Bellerophon n’eſt autre choſe que l’humeur eleuee par le mouuement du Soleil : pource que l’air eſtant agité par la force du Soleil, la plus peſante partie attiree en haut eſt derechef renuoyee çà-bas, puis s’eſpaiſſiſt & s’aſſemble en vn tas ; laquelle cheant en bas & ſe coagulant, eſt nommee Pegaſe. Et pource que la plus ſubtile partie monte à la region de l’air, ainſi dit-on que la plus groſſiere fut par Iupiter deualee çà-bas. Auſſi pource que le Pegaſe eſtant monté hors de l’eau par le mouuement que le ciel faict de iour, l’Aube ſe leue : l’on dit que le Pegaſe, non pas Bellerophon, porte le iour comme le ſens le iuge plus clairement. Les autres veulent dire que cecy ſignifie la generation des elemens, comme ainſi ſoit que les vns montent en haut, les autres deſcendent en bas, ſelon qu’ils ſont ou legers ou peſans. Quant à l’explication Morale, l’on y trouue vne bonne inſtruction ; car il ne ſe faut ny trop attriſter en aduerſité, ny trop enorgueillir en proſperité ; parce que quoy qu’il tarde nous experimentons que l’vn & l’autre depend de la prouidence de Dieu. Car ſelon ſa grande miſericorde, bonté & clemence, il aſſiſte à ceux qui ſont iniuſtement outragez : comme il aduint à Bellerophon, lors qu’il eſtoit à tort & ſans cauſe tant perſecuté ; & abaiſſe les courages qui ſont trop orgueilleux ; auſſi fut-il precipité du milieu de l’air en bas, au detriment de ſa veuë. Les autres (entre leſquels eſt Plutar- que au traicté des vertueux faicts des femmes) eſcriuent que Chimarre, homme belliqueux, mais grandement cruel & inhumain, eſtoit chef & Capitaine d’vne groſſe flote de Corſaires Lyciens, qui auoit pour enſeigne de ſon vaiſſeau colonnel vn lyon peint à la prouë, au milieu vne cheure, & à la pouppe vn ſerpent ou dragon ; & faiſoit de grands maux & voleries en toute la coſte de Lycie, tellement qu’il n’eſtoit poſſible de nauiger la mer, ny habiter és villes maritimes & voiſines du riuage. Bellerophon pourſuiuit ce Corſaire, tant qu’auec ſon Pegaſe (nauire long, tres-viſte & leger) il l’attrapa. Mais ce que Plutarque eſcrit ſelon la commune opinion des Lyciens, eſt du tout contraire à ce que nous auons oüy de la reconnoiſſance de Iobatés. Car il dit que Bellerophon apres tant de braues & vaillants exploits, ayant en outre chaſſé les Amazones de la Lycie, non ſeulement n’eut aucune recõpenſe digne de ſes ſeruices de Iobatés Roy de Lycie, ains luy fit par vne ingratitude monſtrueuſe beaucoup de grandes indignitez. A l’occaſion dequoy Bellerophon tres-mal content, entra vn iour dedans la mer, & par grandes imprecations requit à Neptun, qu’il rendiſt la terre d’iceluy infructueuſe & ſterile ; puis apres ſa priere faicte ſe retira hors de l’eau. Lors aduint vn eſtrange & piteux ſpectacle ; c’eſt que la mer s’enfla, & veint inonder tout le pays, ſuiuant pas à pas Bellerophon par tout où il alloit, & couurant apres luy toute la campagne. Et pource que les hommes, qui firent tout leur poſſible pour le prier qu’il vouluſt arreſter ce deſaſtreux deſbord de la mer, ne le peurent oncques obtenir de luy : Moyens des Lyciennes pour appaiser Bellerophon.les femmes trouſſans leurs cottes par deuant, luy allerent à l’encontre, ce qui de honte le fit retourner en arriere, & la mer qui ſe renferma quand & luy dedans ſes turcies. Or quelques-vns interpretans vn peu plus gracieuſement cette fabuloſité, diſent que ce ne fut point par imprecations qu’il attira la marine ; mais que le plus fertile terroir de Lycie, eſtant bas & plain, il y auoit vne turcie & leuee tout le long de la coſte qui le defendoit : Bellerophon la rompit, & ainſi la mer venant à ſe deſgorger par grande impetuoſité, & à noyer tout le plat pays, les hommes employerent tout leur credit & prieres enuers luy pour le cuider appaiſer, & n’y gaignerent rien : mais les femmes l’enuironnans à grandes trouppes de tous coſtez, le preſſerent tant qu’il eut honte de les refuſer ; & en leur faueur oublia ſon maltalent. Au reſte Lucian en ſon Aſtrologie eſtime que Bellerophon ayant le courage attentif à de grandes & hautes entrepriſes, eut la reputation d’eſtre monté ſur vn cheual aiſlé, & que de là veint la Fable. Les autres accommodent à l’Aſtronomie ce que nous auons dict de la Phyſique ; diſans que cela ſe fit par les forces des Aſtres, deſquels Bellerophon ayant recherché la cognoiſſance, le bruit courut qu’il monta au ciel. Les autres ont dict que Bellerophon monté ſur le Pegaſe aiſlé, mit à mort la Chimære : pource qu’il dompta le premier & dreſſa les cheuaux au harnois & à la bride, & fut auſſi le premier qui attella vn cheual ſeul en chariot, comme Caſtor en ioignit deux le premier : & Erichthon Athenien, quatre. D’autres diſent que ſon brigantin fut nommé cheual aiſlé, parce qu’il fut le premier qui apprit à nauiger en flotte, & le moyen de l’equipper ; comme ainſi ſoit que les voiles & rames ſont les aiſles des nauires. Ceſtuy-cy doncques ayant en vne bataille ſur mer vaincu les Solymois, peuples belliqueux, que les Poëtes accomparent à des lyons, fit la guerre aux Amazones, qu’ils appellent cheures ſautelans par les montagnes & lieux de difficile accez. Et l’embuſcade que Iobatés luy fit dreſſer par cette trouppe de ieunes ſoldats, comme il s’en reuenoit victorieux ; c’eſt ce qu’ils appellent queuê de ſerpent ou de dragon. Voila quant à Bellerophon.