Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - II, 08 : De Mars Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Mars.

CHAPITRE VIII.

Conception & natiuité abſudes de Mars.NOVS auons dit cy-deſſus que Mars a eſté fils de Iunon : & quelques vns ont eſtimé qu’il ſoit auſſi né ſans pere, diſans que Iunon toute troublee de ce que Iupiter, pour auoir ſeulement touché ſa teſte, conceut & enfanta Minerue ſans compagnie de femme, s’en alla vers l’Ocean, pour s’enquerir comment elle, pourroit auſſi conceuoir ſans homme. Or ſe ſentant laſſe & haraſſee du chemin, elle ſe repoſa deuant la porte de l’hoſtel de Flore Deeſſe des fleurs & femme de Zephyr : laquelle luy demanda pour quel ſuiet elle auoit entrepris ce voyage. Iunon l’ayant declaré, Flore reſpondit que ſi elle n’en vouloit rien dire à Iupiter, elle luy donneroit l’accompliſſement de ſon ſouhait. Là deſſus Iunon luy iura de le tenir ſecret. Ainſi Flore l’adiertit qu’il y auoit és champs d’Olene vne fleur, qui la feroit conceuoir dés qu’elle l’auroit ſeulement touchee. Mars nõmé du mot mas, c’eſt à dire, maſle.Iunon en fit l’eſſay, conceut & enfanta vn fils qu’elle nomma Mars, d’autant qu’il preſideroit à l’aduenir ſur les maſles en guerre. Or cette conception & natiuité eſt du-tout abſurde & prodigieuſe ; mais on ne peut pas touſiours rencontrer vne expoſition legitime de chaſque partie des Fables, d’autant que les vnes y ſont adiouſtees pour ornement, pour les em-bellir & enrichir, les autres pour les rendre vray-ſemblables : les autres contiennent vne vraye narration de ce qui s’eſt paſsé. Suiuons le teſmoignage d’Heſiode en ſa Theogonie, diſant que Iupiter ayant en premieres nopces eſpouſé Metis, puis aprés Themis, & finalement Iunon, il eut de la derniere Mars & Hebé :

Celle que Iupiter s’accoupla la derniere Par lien coniugal, fut Iunon la nopciere, Laquelle luy conceut Mars le preux, Hecaté, Et deuant ces deux-cy, la Iouuencelle Hebé, Apres qu’il eut eſteint ſon amoureuſe flame Auec celle qui eſt des Dieux la Roine & Dame.

La nourrice de Mars fut Thero, comme dit Pauſanias és Laconiques. Mars plaide ſa cauſe deuant les Dieux.Cettuy-cy ayant mis à mort Halirrhot fils de Neptun, qui vouloit forcer Alcippe ſa fille, plaida ſa cauſe criminelle par-deuant douze Dieux à Athenes (duquel meurtre Pauſanias fait mention en l’eſtat d’Attique) & par les voix & ſuffrages de tous fut abſous de cette accuſation. La place où il plaida fut nommee Areopage, mot compoſé de Arés nom de Mars en Grec, & de págos, bourg, ou place : comme qui diroit, Bourg ou place de Mars : & pour cette raiſon les cauſes criminelles ſe plaidoient à Athenes par deuant douze Iuges nommez Areopagites. On ne trouue point, que ie ſçache, qu’il ait iamais eu de certaine & legitime femme (quelques vns cuident qu’il en ait eſpouſé vne nommee Nerienne, ou Nerie) Enfans de Mars.quoy qu’il ait eu pluſieurs enfans de diuerſes femmes, auec leſquelles il auoit couché. Car on dit qu’il eut Ænomat, Aſcalaphe, Biſton, Theſpie, Ialmene, Pyle, Parrhale, Theree, Mole, Parthaon, Theſtie, Euanne, Zezie, Cupidon, Hyperie, Chalybs, qui donna nom aux Chalybes ; Ottrere, Bythis d’vne femme nommee Sete, duquel la Bythinie prit ſon nom : Tlepoleme d’Aſtyoche ; & Thrax, dont la Thrace eſt nommee : Parthenopee de Menalippe ; Phlegie, Pangee, de Critobule : Strymon de Helice ; Tmole de Theogone, qui donna nom à vne montagne : & vn autre nommé Theogon : Oxyle, Ethole, Sithon, Euene, Sinope, Calydon, Hermione, & quelques autres à la deſrobee. Il eſtoit porté ſur vn chariot, & pour cocher auoit Bellone, de laquelle fait mention Virgile :

Que ſuit Bellone ayant vn foüet enſanglanté.

Chariot & cheuaux de Mars.Les cheuaux qui tiroient ſon chariot, eſtoient Terreur & Crainte. Or comme il eſtoit d’vn naturel farouche & hagard, auſſi n’auoit-il point d’arreſt ny de certaine demeure, ains trottant çà & là comme furieux, rempliſſoit tout de dueil & de pauureté. Neantmoins il n’a ſceu tant faire que d’eſchapper la main de tout le monde, puis que Diomede le bleſſa vn iour, cõme eſcrit Homere au 5. de l’Iliade, allegué cy-deſſus bien au long dãs la Fable de Iupiter. Animaux & plãtes ſacrez à Mars.Le Loup luy fut dedié à cauſe de ſa rapacité & ſauuage naturel, & pourtant Virgile l’appelle Martial, au 9. liure :

Quand le loup Martial vole en la bergerie Vn tendron Agnelet, la mere beele & crie Le cherchant ça & là

Entre les oiſeaux le Pic-verd luy fut conſacré, qui pour ceſte raiſon eſt auſſi ſurnommé Martial ; & entre les plantes le Chien-dent, parce qu’on tient qu’il s’aime & croiſt principalement en lieu où l’on aura reſpandu du ſang humain. En Thrace il eſtoit religieuſement ſeruy, teſmoin ce vers de Lycophron :

Ne prendre en vain le nom du ſainct Dieu de Creſtone.

Voyez le chapitre precedẽt.Car Creſtone eſt en vne ville en Thrace, & Mars eſtoit le patron des Thraciens. Voila pourquoy Homere au 8. de l’Odyſſee dit qu’apres que luy & Venus furent eſchappez du filé de Vulcan, il ſe retira en Thrace, & elle en Cypre :

Eſchappez du filé qui d’vne attache eſtrette Les tenoit enſerrez, chacun fait ſa retraitte : Mars en Thrace, Venus en Cypre deſcendit.

Il a eu pluſieurs ſurnoms ſelon les lieux eſquels on luy baſtit des Temples, ou ſelon les occurrences, ou ſelon les noms de ceux qui luy en dedioient, ou ſelon la deuotion que chacun auoit en luy. Heraclide Pontique neantmoins tient qu’il n’eſt autre choſe que la guerre meſme, diſant : Mars n’eſt autre choſe que la guerre, nommé en Grec Arés, d’vn mot ſignifiant imprecation & dommage. Et Orphee en l’hymne de Mars le prend pour vne fureur & rage de guerre empreinte és courages des hommes.

Braues qualitez de Mars.Mars Roy tout forcené, qui cruel te tantoüilles Dans le ſang eſpanché, qui de rage patouïlles Parmy les corps occis, eſpouuenttable, hideux, Dieu de meurtre affamé, Dieu ſanguin, quereleux, Dieu prompt volant aux coups, qui d’eſtoc, qui de taille, Pour t’aſſouuir de ſang, charge, preſſe, chamaille.

Offrandes ordinaires de Mars.Et de faict en l’iſle de Lemne on luy ſacrifioit des creatures humaines : mais comme on vint à recognoiſtre que c’eſtoit acte de grande cruauté, cette ceremonie fut abolie, & tantoſt on luy ſacrifia vn Freſſangeau, tantoſt vn verrat : toutesfois ſes plus particulieres offrandes eſtoient vn Cheual, comme luy reſſemblant en fierté : le Loup en clair-voyant, le Chien en vigilance : & le Coq, le Pic-verd, & le Vaultour. Compagnons & ſuiuans de Mars.Ie ne veux oublier à dire en cet endroit que les Poëtes tenans Mars pour le Dieu guerrier, luy ont donné pour compagnons la Crainte, Ia Cholere & le Cry, qui le ſuiuent aſſiduellement & luy ſeruent d’eſcuiers. Car les Poëtes ont eu permiſſion de forger en leurs cerueaux tout ce que bon leur a ſemblé touchant leurs Dieux. Et d’autant que cettuy-cy n’auoit point d’arbre qui luy fuſt particulierement conſacré, on le couronnoit de Chien-dent, laquelle herbe on penſoit qu’il entretinſt la laiſſant prendre racine & s’eſpandre bien loing, faute d’eſtre rompuë & arrachee par la charruë, les laboureurs ayans à cauſe des guerres abandonné le plat pays & le labourage. Voyons maintenant ce qu’ils ont digne de memoire, caché ſous telles feintes.

Expoſition phyſique de Mars.Pourquoy le font-ils eſtre fils de Iunon ? eſt-ce que Iunon ſoit Deeſſe des richeſſes, deſquelles procede enuie & querelle, comme il a eſté dit cy-deſſus, & que perſonne n’eſt riche que l’enuie & mal-vueillance ne luy facent continuellement la guerre ? Car qui eſt-ce qui voudra denoncer la guerre à vn pauure homme ? Tous ceux qui prennent les armes, cherchent touſiours quelque faux pretexte pour pallier leur deſſein : Mais ils n’ont garde d’en dire le vray ſujet, affin qu’on ne penſe point que pour peu de raiſon ils vueillent embler, ou ſe ſaiſir des ſeigneuries d’autruy. Car ſi l’on ne faiſoit point de guerre que pour le droit & l’equité, on ſe ruëroit ſeulement ſur les meſchans, ſans rien attenter ſur les biens & eſtats. Mars fut nourry parmy des nations barbares ſous la plage de Septentrion, leſquelles n’ayans pas le ſang bien digeré par la chaleur du Soleil, ſont ordinairement robuſtes & de haulte taille, mais de peu d’eſprit & de conſeil. Il eut pour nourrice Thero, qui ſignifie humeur ſauuage & pleine de fougue. Pourquoy Mars a eſté qualifié Dieu des guerres.Dauantage, Mars eſtant vn tyran, comme ſouloit dire Timothee ſelon Plutarque, à bon droit l’a-on qualifié aſſiegeur & deſtructeur de ville, au lieu que la Loy au contraire eſt la Roine de toutes villes, comme dit Pindare. Et Homere ne dit pas que Iupiter Roy & Pere de tout le monde ait donné aux Rois des engins & machines de batterie, ny des galeres ou armees nauales pour conſeruer & maintenir leurs Royaumes : mais les loix & l’equite, qui ont plus de puiſſance & de valeur que toute autre choſe. C’eſt pourquoy Mars n’auoit aucun certain domicile ny demeure aſſeuree, Iupiter commandant au Ciel, & ſur les Dieux & ſur les hommes. A ce propos Demoſthene au plaidoyé contre Ariſtogiton, dit que les loix, comme choſe tres-bonne & procedee de l’inuention des Dieux, gouuernent & conduiſent la vie des hommes, & que chaſque Eſtat ſe regle & conforme ſelon ce qu’elles ordonnent ; par le moyen deſquelles les gens de bien corrigent volontairement & de leur propre inſtinct ce qu’il y a de peruers & de corrompu en nature ; & contraignent les meſchans & les deſbauchez à fuir malgré eux, ce qui eſt mauuais & inique. Voicy ce qu’il en dict ; Toute la vie humaine (Seigneurs Atheniens) quoy qu’on demeure en vne grande, ou en vne petite ville, ſe gouuerne par nature et par loix. L’vn des deux, aſſauoir nature, eſt ſans ordre & ſans regle, et ſe cõporte ſelon le naturel de chacun. Mais les loix ſont choſe cõmune & ordonnee indifferẽment à toutes perſonnes pour ſe confirmer ſelon icelles. Si donc la Nature eſt mauuaiſe, elle donne bien ſouuent de mauuais conſeils : & pourtant vous ſurprendrez ordinairement telle maniere de gens en peché. Mais les loix ne cherchent & ne procurent que ce qui eſt iuſte, honneſte & profittable. Et quand elles l’ont trouué, elles enioignent generalement & egalement à toutes perſonnes de quelque eſtat, qualité & condition qu’elles ſoient : & cela s’appelle Loy, à laquelle il faut que tout le monde ſans exception obeïſſe pour beaucoup de raiſons ; mais principalement parce que toute loy eſt inuention & bienfaict des Dieux, l’ordonnance ſelon laquelle les Sages ſe reiglent et comportent, la correction & chaſtiment de ceux qui ou à leur eſcient ou par meſgarde tranſgreſſent, & la preſcription propoſée à tout vn Eſtat, ſelon laquelle il faut que chacun en particulier dirige ſa vie & ſes actions. Mais d’autant que les Anciens ont diuerſement expoſé leurs Fables ſelon la verité des euenemens, ſi bien que les vnes concernoient les choſes naturelles, les autres l’Aſtronomie, les autres les mœurs, les autres toutes ces choſes enſemble, il faut examiner que ſignifie l’adultere de Mars auec Venus. Explicatiõ de l’adultere de Mars auec Venus.Qu’y a-il en ce monde de ſi contraire que tuer & procreer, baſtir & deſtruire, dreſſer & renuerſer ? Cependant Mars qui fait tout ce que deſſus, comme dit Homere,

Mars meurtrier des humains, qui deſtruis champs et villes,

habite auec Venus, qui produit & met en lumiere toutes ſortes d’animaux & de plantes. Que naiſtra-il de cette conionction ſi diſcordante ; certes rien, principalement ſi Vulcan ſuruient. Car il faut prendre Mars & Venus pour diſcord & pour amitié ; & Vulcan, c’eſt à dire la chaleur exceſſiue, eſtouffe tous les deux, ſurmõte leurs principes, & les empeſche de faire leurs functions. Ils ont doncques mis en auant ces fictions fabuleuſes, pour faire entendre que les affaires de ce monde ont beſoing d’vne ſymmetrie & proportion pour s’enretenir & ſe conſeruer en leur eſtre. Nous auons cy-deſſus touché que quelques-vns des anciẽs ont eſtimé le Soleil & luy n’eſtre qu’vn : & les Aquitains de là les Pyrenees, peuples d’Eſpagne, adoroient en toute humilité & religion l’idole de Mars ayant le chef enuironné de rais comme le Soleil. Auſſi ſemble-il que raiſon & nature requierent que ces corps celeſtiels qui cauſent la chaleur aux choſes d’icy bas, ſoient plus differents en leurs noms qu’en leurs effects. Homere au 15. de l’Iliade prend (ce ſemble) Mars pour vne vertu ignee.

S’esfare comme Mars vaillant, ou force ignee.

Pouruoy Mars auoit Bellone pour chartier.Ils ont fait accroire que Bellone eſtoit Cocher de ce Mars gaſte-tout, d’autant que l’air peſtilentiel ameine & cauſe la mort. Quelques-vns ont eſcript qu’on auoit donné à Mars le tiltre & qualité de Dieu guerrier, parce qu’il fut le premier qui trouua le moyen & l’vſage de s’armer, de dreſſer vne armee, & tout ce qui eſtoit expedient pour la guerre, s’eſuertuant d’exterminer les meſchans & impies. Que ſignifie la ſurpriſe de Mars par Vulcan.Que Mars, le plus puiſſant & plus viſte Dieu de leur trouppe, ait eſté pris au filé par la ſubtilité de Vulcan Dieu boiteux & le plus foible & peſant de tous ; que veut dire cela, ſinon que les meſchans ne peuuent tant faire, ny par force ou valeur qu’ils ayent, ny par legereté & viſteſſe de leurs pieds, que d’euiter l’ire & la fureur de Dieu, vangeur de toute iniquité ? Ce qu’auſſi donne à entendre Theognis :

L’homme qui deuant Dieu chemine ſans reproche, Quoy que d’vn pied tardif de ſi prés il n’approche Du meſchant la viſteſſe, il l’atteint comme il faut. Comment ? Parce que Dieu iamais ne luy defaut.

Et faut icy ramenteuoir les vers d’Homere, alleguez cy-deſſus en Vulcan. Or laiſſons Mars pour prendre Neptun.