Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 23 : De Typhon ou Typhee Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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De Typhon, ou Typhœe.

CHAPITRE XXIII.

MAIS parce qu’en traittant des Geans nous auons touché quelque choſe de Typhon, & qu’il eſt plus mentionné és eſcrits des Anciens, comme le plus fameux de tous ſes compagnons ; ayant auſſi vne natiuité ſpeciale & particuliere : il m’a ſemblé bon de mettre à part ce qu’ils nous en ont appris. Homere en l’hymne d’Apollon eſcrit que Iunon mal-contente de ce que Iupiter auoit ſans ſon ayde ne compagnie enfanté Minerue de ſon cerueau, pria le Ciel, la Terre, & tous les Dieux, tant du Ciel que de l’Enfer, qu’elle peuſt auſſi conceuoir ſans compagnie d’homme : Natiuité de Typhõ monſtrueuſe.& que là deſſus elle frappa la terre de ſa main, & s’empreignit des plus fortes vapeurs procedantes d’icelle, dont quelque temps aprés naſquit Typhon, qu’elle donna à vne Dragonne pour le nourrir, laquelle Apollon tua depuis à cauſe du rauage & deſtruction qu’elle faiſoit, tant d’hommes que de beſtial. Heſiode en ſa Theogonie le faict fils de la Terre & du Tartare, faiſant vne ample deſcription de ce gentil perſonnage ; comme s’enſuit :

Mais aprés que Iupin de la voûte atheree Eut chaſſé les Titans, pour derniere ventree La Terre fit Typhon esbatant par plaiſir Auec l’Erebe noir ſon amoureux desſir. Typhon auoit és mains vne eſtrange habitude D’executer toute œuure ; aux pieds la promptitude Qu’on peut imaginer : cent teſtes ſur le corps, Cent bouches de dragons qui dégorgeoient dehors Cent langues, & chacune en trois pointes fourchee, Dont ſon hideuſe face eſtoit par luy lechee. Deux cents yeux eraillez, vn braſier allumé Vomiſſoient obſcurcis d’vn ſourcil enfumé. En ſomme tant de chefs, de bouches, de lumieres, Tant de flammes eſtoient d’en ſortir couſtumieres. Ce n’eſtoit rien que feu, que brandons attiſez. De chaſque bouche iſſoient des propos artiſez D’vn diuers ſon faiſant vn bruit eſpouuenttable Par fois il eſclatoit vn tonnerre effroyable, De façon qu’il ſembloit qu’il vouluſt foudroyer L’Vniuers, & les Dieux ſouuerains guerroyer. Par fois il entonnoit vne hideuſe beuglee, Par fois il rugiſſoit ouurant vne geulee Semblable à vn Lion de feu tout ondoyant : Et par fois il hulloit comme vn chien aboyant, Si que la terre autour, la crouppe des montagnes Le riuage des eaux, la plaine des campagnes Iuſques aux fondemens treſſailloient de frayeur Eſlochees de cry : mais ce rude abayeur, Ce foudre chaſſe Dieux, & toute cette engeance Se fuſt à la fin veu tant de force & puiſſance, Qu’ils euſſent terraſſé les habitans des Cieux, Les manans de la terre et des ſouſterrains lieux ; N’euſt eſté que Iupin de ſon thrône celeſte Ne pouuant ſupporter cette trouppe funeſte, Armé d’eſclairs tonnans & de foudres diuers, Les vint precipiter au profond des Enfers.

Nourriture & taille de Typhon.Quant à ſa nourriture, elle eſt fort incertaine & pleine de contention. les vns aſſeurent qu’il fut nourry en Lydie ; entre autres l’hiſtorien Artemon : les autres, en Phrygie ; les autres, en Cilice en la cauerne qu’on nommoit de Typhon. Or il eſtoit d’vne taille prodigieuſement grande ; car la plus haute montagne ne luy venoit que iuſques aux cuiſſes : ſa teſte donnoit aux eſtoilles : d’vne main il touchoit l’Orient, de l’autre l’Occident. Il auoit ſur ces eſpaules cent teſtes de dragons, les cuiſſes & les jambes comme ſes compagnons recroquillees en ſerpens. Tout ſon corps eſtoit couuert de plumes : ſes cheueux non peignez vne groſſe barbe touffuë, les yeux pleins de feu, vomiſſant de gros boüillons de flammes par la bouche & nareaux. Iupiter priſonnier & eſtropié par Typhon recoux par Mercure.Comme les Dieux s’enfuyoient de deuant luy, Iupiter le pourſuiuant iuſques à la montagne de Caucaſe en Syrie, l’aſſena d’vn coup de foudre : mais il print Iupiter, le fit ſon priſonnier, & d’vn cimeterre qu’il luy oſta, luy coupa les nerf des mains & des pieds, puis le chargeant ſur ſes eſpaules l’emportoit en Cilice, comme Mercure le luy deſrobant, le reſtablit en ſa premiere forme. Alors Iupiter reprenant ſes forces le pourſuiuit derechef, & l’atteignit vers la montagne d’Hæmus, ainſi nommee à cauſe de la quantité de ſang que les Grecs appellent hæma regorgeant de la playe qu’il receut. Finalement comme il ſe vouloit ſauuer en Sicile, Iupiter luy verſa ſur le dos le Montgibel, ſelon les teſmoignages d’Euphorion, de Pindare, & d’Ouide au 5. des Metamorphoſes, où deſcriuant l’enorme hauteur de Typhon, il dit que la Sicile eſtant bornee de trois chefs, ou promontoires, elle repoſe toute entierement ſur ſon corps, ayant le cap de Pelore qui regarde l’Italie ſur ſa main droite, le Pachyn ſur la gauche, le Lylibæe ſur les cuiſſes, & le Montgibel ſur la teſte.

Sicile qui s’eſtend en domaine lointain, Eſt fondee deſſus ce grand corps Gigantin, Et compreſſe Typhon englouty ſous ſa maſſe ; Typhon voulant, hardy, donner aux Dieux la chaſſe. Il s’efforce ſouuent & taſche à ſe leuer, Mais le Pelore il ſent ſa main droite aggrauer, Et le cap de Pachyn tient ſa gauche en deſtreſſe : Celuy de Lylibé ſes deux cuiſſes oppreſſe, Ses jambes & ſes pieds : & ſon chef repos n’a, Chargé du Montgibel, que l’on nommoit Ætna, Sous lequel renuerſé, de ſon ſouffle le ſable Il pouſſe & vomit feu de ſa bouche execrable. Bien ſouuent il voudroit vn peu ſe soulager En rechaſſant la terre, & les villes ranger Qui luy foulent le corps, & des hautes montagnes L’inſupporttable faix applanir en campagnes. S’il branſle tant ſoit peu, la terre incontinent Croule, ſi fait le Roy du fumeux baſtiment.

Typhon ſerpent ſelon aucuns.Les autres diſent que ce ne furent pas les foudres de Iupiter qui le tuerent, mais bien les fleches d’Apollon. Strabon és 5. 12. 13. & 16. liures eſcrit que Typhon eſtoit vn Serpent, non pas vn homme, qui frappé de la foudre, cerchant où ſe cacher à ſauueté, fendit la terre en long, dont ſourdit la riuiere d’Oronte vers Apamie en Antioche, prés de Seleucie, & ſe fourra dedans. Les autres veulent dire que Typhon, bleſſé par Iupiter, s’enfuyt en Syrie, & de là à Peluſe (qu’on dit eſtre auiourd’huy Damiata, ou Teneſſe) frontiere d’Egypte, & qu’il ſe cacha dans le lac de Serbone, qui depuis la Syrie vient aboutir vers ladite ville. Liure 2. des Argenauchers.Herodote eſt de cet auis. Et Apolloine dit qu’au pied de la montagne de Caucaſe il y auoit vne place qu’on appelloit place de Typhon, où l’on diſoit que Typhon auoit receu le coup par la main de Iupiter en l’iſle de Nyſe vers le ſuſdit lac de Serbone : & que ſe ſentant bleſſé, il ſe prit à tendre les mains vers Iupiter, mais en vain ; car redoublant ſon coup il l’aſſena par la teſte, & que pour lors qu’il eſcriuoit & ſe tapiſſoit encore dans les eaux de ce lac. Or on dit qu’en la meſme place, du ſang de Typhon bleſſé, naſquit le Dragon, qui depuis fut commis à la garde de la toiſon d’or à Colchos. Origine des peſtes venimeuſes.Il fut auſſi pere de la Gorgone, de l’Hydre, du Dragon des Heſperides, Cerbere, Sphinx, Scylle, Chimere, & de toutes autres choſes monſtrueuſes & nuiſibles. Acuſilas eſtime que toutes ſortes de ſerpens & viperes pullulerent du ſang de Typhon. Liure 7. chap. 11.Mais Apollonius de Rhodes, au liure qu’il a faict de l’edification d’Alexandrie, dit que ce fut du ſang de Meduſe comme nous le dirons en ſon lieu. Zenodote nous donne vne Fable bien diuerſe des precedentes, touchant l’origine des ſerpens. Car il dit qu’au territoire d’Athenes il y auoit vn homme nommé Phalanx, ayant vne ſœur dicte Arachné. Phalanx venu en aage apprit de Pallas à manier les armes, & ſa ſœur Arachné à tiſtre, coudre, & faire toutes autres ſortes de beſongnes dependans de l’aiguille. Metamorphoſe de Phalanx & d’Arachné.Mais il aduint que l’vn & l’autre s’oublierent tant, que d’exercer leur luxure enſemble : laquelle vilainie la Deeſſe ne pouuant ſupporter, elle les transforma tous deux en ſerpens. Arachné enceinte de ſon frere eut commandement de Pallas d’enfanter, ce qu’elle fit aux deſpens de ſa vie, car ſes enfans la rongerent : ce qu’auſſi firent les autres de meſme eſpece ; voila qu’elle fut l’origine des ſerpens. Mais pour reuenir à Python, Pherecyde eſcrit que la montagne de Caucaſe embraſee par la foudre chute ſur Python, il s’enfuit aux iſles de Pythecuſe, ou quelques-vns diſent qu’il fut enſeuely. Pindare & Homere, ſelon le teſmoignage d’Iſace és commentaires ſur Lycophron, ont opinion que ſon tumbeau ſoit en Cilice ; les autres diſent qu’il eſt en Phrygie, les autres en Bœoce.

Typhon Roy d’Egypte.Quelques-vns eſtiment que Typhon ait eſté Roy d’Egypte, homme inhumain & cruel tyran, qui par ſa cruauté ruyna preſque toute l’Ægypte : ainſi nommé, par la tranſpoſition de deux lettres, pour reſembler le naturel de Python tres-hideux & tres-eſpouuenttable ſerpent ; & parce qu’il rauageoit le pays comme pourroit faire vn tres-dangereux Dragon, Oſiris, ſelon Herodote en ſon Euterpe, le tua. L’hiſtoire Eſpagnole maintient que Typhon tua Oſiris ſon frere. Voyez le diſcours que i’en y faict en l’hiſtoire des Geryons cõprise au 10. labeur l’Hercule liure 7. chap. 1.Les autres cuident que Typhon ait eſté vn grand & horrible Dragon : d’autant que cet animal eſtant de ceux qu’on appelle Amphibies, c’eſt à dire, viuans & ſur terre, & dans l’eau ont feint que tantoſt il ſe cache dans les eaux, tantoſt ſous terre : Ce Dragon fut ainſi nommé, pource que par la violence de ſon venin il bruſloit tout. Et d’autant que la force de l’air le chaſſoit par tout, & ne pouuoit trouuer lieu aſſez temperé pour y faire retraite, le bruit courut que craignant Iupiter il s’enfuit en Egypte, où ne pouuant endurer le haſle de l’air, il ſe ietta dans vn lac, & ſe noya. On dit que Iunon frappant de la main la terre, l’engendra : d’autant que la force du temperament de l’air eſt par-fois ſi grande qu’il ſort de terre des plantes & animaux d’vne eſtrange grandeur & forme. Conſiderations phyſiques ſur Typhon.Les autres rapportent toute cette Fable aux choſes naturelles ; ioinct que Strabon au cinquieſme liure eſcrit que toute cette eſtenduë de pays, qui eſt depuis Cunes iuſques en Sicile, le Montgibel, les iſles de Lipari, le terroir de Puzzoli, de Naples, de Baia, & les iſles Pithecuſes, ont des cauernes profondes, & qui par ſous terre reuiennent en vne, & s’eſtendent meſmes iuſques en Grece, abondantes en ſoufre. Et pourtant en certaines ſaiſons que les vents ſouſterrains ſoufflent, ſouuent ces quartiers-là eſtoient eſlochez par des tremblemens de terre, dont ſortoient des flammes de feu, des eaux boüillantes des exhalaiſons de feu, & des cendres chaudes auec du braſier que les vents chaſſoient bien loing ; Ce qui donna ſubiect aux Anciens de dire que ce ſerpent ou tyran d’Ægypte giſoit ſous tels lieux, condamné d’y demeurer comme en perpetuelle priſon : & que toutefois & quantes qu’il branſloit, ou ſe remuoit, il vomiſſoit du feu & eſlochoit la terre. Les autres ont creu que Typhon fuſt la force des vents, non pas ſouſterrains, mais ſoufflans haut en l’air, qui touchoient comme auec les mains la plage Orientale & Occidentale, & de leurs teſtes atteignoient iuſques aux cieux, car les vents s’eſpandent au long & au large. On luy a donné ſi grand nombre de teſtes, parce que chaſque vent a ſa proprieté & force particuliere. Son corps eſtoit couuert de plumes, à cauſe de leur visteſſe. Il auoit autour de ſes cuiſſes & de ſes iambes force tortis de viperes & ſerpens, d’autant qu’il y a des vents fort nuiſibles & malfaiſans. Ses yeux eſtoient tout enflammez, & de la bouche deſgorgeoit du feu, à cauſe de la matiere des vents, qui ſe faict de vapeurs ſeches & chaudes. Il s’enfuit ſur la montagne de Caucaſe, parce que les vents regnent fort ſur les montagnes. Les autres accommodent cecy à la premiere creation du monde, diſans que cette ſi grande force de vents & enflammation naſquit de l’Erebe ou du Chaos, que Iupiter deprima puis-aprés, veu que Iupiter n’eſt autre choſe qu’vne eucraſie, c’est à dire temperie de l’air, qui corrige cette violence, & d’autant qu’à cauſe des lieux cauerneux du pays, il y a quantité de vents ſouſterrains & de feux enclos là deſſous, cela fit dire depuis que Iupiter l’auoit frappé de foudre en Sicile. Les autres prennent Typhon pour vne qualité de l’air contagieux, iadis mal diſpoſé pour ſa trop grande chaleur : comme ainſi ſoit que la trop exceſſiue chaleur de l’eſté faict beaucoup de nuiſance aux corps humains, les rendant plus vains, plus laſches & debiles à ſupporter les autres changemens des ſaiſons. Puis-aprés comme le Soleil vint à ſe retirer par le Zodiaque, la chaleur ceſſa, & s’engendrerent force pluyes & tonnerres, attendu qu’à cauſe de la chaleur les eaux ne ſe pouuoiẽt amaſer, & voila comment Iupiter à coups de foudre chaſſa premierement Typhon en Egypte, & és regions chaudes vers le Midy, puis l’enfondra ſous le Montgibel. Autres Mythologies de Typhon.Quelques-vns ont eſtimé que Typhon ait eſté vn homme courageux & hardy, remuant & valeureux, qui faiſant leuee de bon nombre de garnemens, de bannis, d’enuieux & autres malfaicteurs, ſe mit en deuoir de chaſſer Iupiter de ſon Royaume pour s’en emparer ; & à cauſe des forces & de la valeur auſſi qu’il auoit, on l’equipa d’vn ſi grand corps. Et à ſa perſuaſion pluſieurs prirent ſon party contre Iupiter, il eut le bruit de vomir du feu par la bouche, & d’auoir couppé les nerfs à Iupiter. Mercure les luy deſroba, & les rendit à Iupiter, pource que par le beau dire de Iupiter ceux qui s’eſtoient reuoltez contre luy, poſerent les armes, & retournerent à leur deuoir. Mythologie morale.D’autres auſſi par cette Fable veulent deſtourner les courages humains de l’ambition, leſquels deſirans faire entendre que c’eſt le plus grand vice qui puiſſe choir en l’ame humaine, Ambitiõ fille d’enfer.l’ont appellee fille de l’Erebe ou du Tartare, diſans qu’elle iettoit par la bouche feu & flamme. Elle prit les armes contre Iupiter, d’autant que là où la fureur d’ambition s’enracine, on met en arriere toute religion, toute humanité toute iuſtice, & par tant de teſtes dont elle eſt monſtreuſe, ils denotent vne infinité d’affections, ſolicitudes, ennuis, chagrins, & moyens illegitimes qu’elle forge pour ſe ſaiſir des poſſeſſions & ſeigneuries d’autruy. Iupiter deſtruit en fin & extermine ce Typhon ou cette ambition ; parce qu’encores que la conuoitiſe reſiſte pour quelque temps à la raiſon, toutefois elle demeure finalement vaincuë & terraſſee ; & perſonne n’eſt ſage s’il ne ſe range & obeit à la raiſon, encore que la conuoitiſe le ſecouë & l’esbranle quelque peu. Mais quittons Typhon pour entrer au diſcours de Pâris.