Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 05 : Des Centaures Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Des Centaures.

CHAPITRE V.

Voyez cy deſſus liu. 6. ch. 16.LES Centaures, engendrez d’Ixion & d’vne nuee (à ſcauoir de celle qu’il embraſſa vne fois en guiſe de Iunon) eſtoient animaux monſtrueux de double forme, humaine & cheualine, nourris en leur ieune aage par les Nymphes en la montagne de Pelion ; leſquelles puis après s’accouplans auec des iugemens engendrerent les Hippocentaures. Mais leur forme & leur natiuité ſont egalement fabuleuſes. Les vns diſent qu’Ixion eut vn fils nommé Chiron, duquel fortirent les Centaures.Voyez li. 2. cha. 2.Les autres content que Saturne conut Philyre Nymphe & fille de l’Ocean, lors qu’il auoit encore commandement ſur les Titans, & que ſurpris par Rhee, il ſe transforma en cheual, honteux de ſe voir deſcouuert par la ſuruenuë de ſa femme : & Philyre conceuant engendra depuis vn certain animal ayant la partie ſuperieure de ſon corps en forme d’homme, & l’inferieure, de cheual, qui fut nommé Hippocentaure, le plus iuſte & plus ſage de toute ſa race. Il fut precepteur de Iaſon, d’Achille, d’Hercule, de Caſtor & Pollux & de pluſieurs autres Princes. Voila comme quoy Chiron & les autres Centaures ont eu deux formes ; l’vne cheualine, de par leur père ; l’autre humaine, de par leur mere. La bleſſure fortuite, mort & tranſlation de Chiron entre les eſtoilles, eſt compriſe au chap. de Chiron. l. 4. ch. 12.Les vns ont eſtimé que tout le bas de leur corps iuſques au col auoit forme de cheual, & que depuis leur vẽtre cheualin au lieu de col ils ſe dreſſoient en forme humaine ; ſi que tout le deſſus eſtoit d’homme : & ceux qui de loing les regardoient en face, les prenoient pour des hommes à cheual. Les autres ont voulu dire qu’ils n’auoient que les pieds de derriere de cheual, & que ceux de deuant eſtoient humains, leur ſeruans de bras. Mais Lucrece au cinquieſme liure ſouſtient auec raiſon qu’ils ne peuuent auoir eu ny cette-cy ny cette forme là : non ſeulement pource que deux formes ſi diuerſes ne peuuent eſtre vnies enſemble, attendu que l’vne commence entrer en vigneur, quand l’autre vieilliſt deſia & s’affoiblit : mais auſſi pource qu’il faut par neceſſité que toutes creatures ſe forment de certaines ſemences, & qu’en toutes vne certaine nature excelle : comme ainſi ſoit que deux formes differentes & égales en force ne ſe peuuent trouuer en vn meſme corps. Voicy donc la verité du faict, ſur laquelle eſt fondee cette prodigieuſe Fable, ſi pour le moins nous voulons croire ce que nous en apprend Palephate.

Traicté hiſtorique des Centaures.Ixion regnant en Theſſalie, aduint vne fois qu’vn trouppeau de beſtes à corne, paiſſant au mont Pelion fut tellement eſpris de furie & de rage, que courans çà & là ſelon que la violence de leur ardeur les pouſſoit, par leur rauage & impetuoſité ils deſerterent les foreſts & montagnes. Depuis pourſuiuans le cours de leurs ferocitez encommencees, ils ſe ietterent en campagne, ſe ruans ſur les lieux domeſtiques & cultiuez, tellement qu’ils firent vn general degaſt ſur le labourage ; & peu d’arbres & de fruicts reſterent ſaufues de leur violence. Parquoy Ixion fit publier vn ban, Que ſi aucuns ſe preſentoient ſi preux & vaillans que d’oſer auenturer leurs perſonnes pour combattre ce cruel trouppeau, & l’amener captif, ou le defaire, il les recompenſeroit ſi royalement qu’ils auroient ſubiet de contentement. En ce temps là les hommes n’auoient encore l’vſage de ſe faite porter à cheual, ains vſoient ſeulemẽt de chariots.Alors ſe preſenterent aucuns Iouuenceaux natifs d’vne cõtree monſtrueuſe, & d’vn village en Theſſalie nommé en langue du païs Nephelé, (qui vaut en la noſtre autant cõme Nuee) gens ſauuages du tout & ſans arreſt, outrageux à l’endroit de tout le monde, braues au demeurant & valeureux, leſquels auoient deſia les premiers trouué le moyen d’appriuoiſer, dompter & picquer les cheuaux, & de ſe battre à cheual ; entre leſquels vn nommé Pelethroine auoit inuenté la façon & l’vſage des harnois, mors, eſperons, par leſquels les cheuaux ou trop peſãs ou trop viſtes sõt ou arreſtez ou poulſez. Ainſi donc les nouuelles du cry Royal entenduës, ces nouueaux eſcuyers exploiterent tant qu’ils paruindrent és lieux où ces furieux Taureaux eſtoient. Et ce fut alors qu’ils commencerent dextrement à les pourſuiure & chaſſer deuant eux : puis ſe ruans au dedans du troupeau qui cà qui là, les naurerent en maints endroits. Les Taureaux (outre leur commune rage & furie) enflambez de plus vehemente fureur qu’auparauant, ſe mirent ſur la defenſiue, & irritez des orbes coups que ces nouueaux cheuaucheurs deſchargeoient ſur eux, recoururent aux armes dont nature les a equippez, aſſaillans leurs pourſuiuans à coups de cornes : playe dangereuſe. Les Iouuenceaux preuoyans l’inuaſion des Taureaux ſceurent agilement euiter leurs coups, & par la viſteſſe de leurs cheuaux, par la fuite, contour & maniement d’iceux, eſchapperent le dangereux heurt de leurs cornes. Puis voyans les Taureaux forcenez, à cauſe de la maſſiue peſanteur de leurs corps, faire ferme quelquesfois, & ſe tenir cois & arreſtez, pour reprendre haleine, les chargeans en queuë, ils les poignirent & frapperent, voire ſi dru & ſouuent, qu’en fin ils les occirent. Raiſon de la nomination des Centaures.Voila comme par ce ſeul exploit ces belliqueux adoleſcens, frappans en poignant ces Taureaux, furent nommez Centaures, du mot Grec Kentáo, qui vaut autant que poindre ou picquer, & de Tâuros, c’eſt à dire Taureau, comme qui diroit Picquetaureaux, ou Picquebœufs. Or aprés ce notable ſeruice faict par les Centaures au bien public de leur patrie, Ixion, pour l’accompliſſement de ſa promeſſe, leur fit beaucoup de gratuitez, & leur eſlargit de grands biens & richeſſes, auec abondance ſi royale que chacun d’eux ſe reputa pour heureux & bien ſatisfaict. Il n’eſt orgueil que de pauure enrichi.Mais comme les richeſſes commiſes en ingrate & indigne main, ſont ſouuent cauſe d’inſolence ; ces galands deuenus plus fiers que de couſtume, s’eſleuerẽt cõtre leur bien-faicteur Ixion, & perpetrerent maints outrages contre ſa majeſté, iuſques à en faire couſtume. Lapithes famille noble.Alors Ixion faiſoit ſon ſeiour royal en vne ſienne ville nõmee Lariſſe, en laquelle y auoit vne illuſtre & ancienne famille nommee des Lapithes, pour eſtre extraits de Lapithe fils d’Apollon & de la Nymphe Stilbé : leſquels eurent vne longue querelle auec les Centaures. Nopces de Pirithe troublees par l’inſolence des Centaures.Car cõme Pirithous veint à eſpouſer Deidamie (autres la nomment Hippodame) fille de Byſte, parce quelle eſtoit parente des Centaures, auſſi les voulut-il inuiter à ſes nopces. Et quand les vapeurs du vin leur eurent eſchauffé la ceruelle, ils cõmencerent premieremẽt à taſtonner effrontemẽt l’eſpouſee & les autres fẽmes des Lapithes : & finalemẽt ſe mirent en deuoir de les forcer. Les Lapithes ne pouuans endurer telle inſolence, les chargerent en la cour meſme de Pirithous, & en tuerent pluſieurs, Pirithous ſecõdé principalemẽt par ſon fidele & indiſſoluble amy Theſee, comme il appert au pauois d’Heſiode.

Là preſente on voyoit la brigade Lapithe Valeureuſe aux combats, autour des Roys Pirithe, Dryas, Exade, Hoplé, Mopſe, Phaler, Cené, Proloche Amphicydés, & l’Aegide Theſé Semblable aux immortels, d’vne majeſté braue. Eux d’vn port tout royal & contenanee graue Branſloient vn eſpieu d’or, encuiracez d’argent. Nubigene, c’eſt à dire, engendree de Nuee ſuiuant la commune opiniõ.D’autre coſté venoit la Nubigene gent, &c.

Valerus Flacus au premier des Argenauchers dit que ſur le cõmencement de la noiſe il ſe ietterent à la teſte les vns des autres tout ce qu’ils pouuoient rencontrer, tables, treteaux, landiers, vaſes ſacrez, autels des Dieux. Cette guerre ainſi allumee dura long temps entr’eux, les Centaures faiſans maintes courſes ſur la plaine d’embas, où ayans faict leur rafle, ils ſe retiroient en la montagne dans leur fort, nommé Nephelé. En fin la victoire demeura du coſté des Lapithes, qui ſceurent ſi bien pourſuiure leurs ennemis, qu’ils les chaſſerent de leur contree : leſquels ſe ſauuerent en la ville & montagne de Pholoé en Arcadie, que d’autres nomment Pholon, ſelon Pline au quatrieſme liure chapitre ſixieſme. Centaures defaits & chaſſez.Strabon au neufieſme liure dit que les Centaures vaincus furent contraints d’aller chercher nouuelle demeure, & qu’arriuez en la prouince de Perrhebie, en Theſſalie, ils donnerent la chaſſe aux habitans, & s’y accommoderent. Pourquoi les Centaures furent eſtimez animaux à double forme, & fils de Nuee.Et pource que les Centaures fuyans ne montroient que le derriere de leurs cheuaux, mais les teſtes des Cheuaucheurs paroiſſoient de loing hault eſleuees par deſſus leur montures : les bonnes gents de la contree qui n’auoient iamais encore veus d’hommes à cheual, ſe firent à croire que les Centaures eſtoient animaux mi-hommes mi-cheuaux : & le bruit courut depuis és lieux circonuoiſins, qu’ils eſtoient engendrez d’vne Nuee, pource que les manans du plat pays diſoient ordinairernent entr’eux par forme de complainte : Les Centaures qui de Nephelé deſcendent & courent ſur nous, nous font de grands maux. Centaures batus pat Hercule.Quelques vns des Centaures ont paſſé par les mains d’Hercule, parce que c’eſtoit vne maniere de gents outrageux, inhumains & mal-faiſans à tous eſtrangers. Et ceux qui furent bleſſez des fleches d’iceluy trempees au ſang de l’Hydre, allerent lauer leurs playes en la riuiere d’Anigre ſourdant és montagnes de Theſſalie, dont ils infecterent toute l’eau : de façon qu’elle en retint fort long temps vne puante odeur, & les poiſſons qui naſquirent depuis, ne valurent rien à manger. Mais Antimache en la bataille des Centaures, dict qu’eux chaſſez de Theſſalie par Hercule ſe retirerent és iſles des Serenes, où eſmorſez par leurs delicieuſes & mignardes chanſons, ils ſe perdirent tous eux-meſmes, & aprés que les Centaures qui moururent des playes ſuſdites, furent enſeuelis prés de Calydon, en vne colline qui pour cet effect fut nommee Taphoſſe, de táphos, c’eſt à dire, ſepulchre & ſepulture, vne tres-puante odeur, & ie ne ſcay quelle humeur reſemblant à du ſang pourri & corrompu, s’eſpandoit iuſqu’au pied de la montagne ſelon le teſmoignage de Strabon au 9. liure. Voicy les noms des plus ſignalez Centaures qui ſe trouuerent en cette meſlee ; Abas, Arie, Aphidas, Aſtyle, Amyc, Antimache, Aphee, Amydas, Asbole, Abrye, Arcte, Brome, Bianor, Brete, Brauenor, Cenee, Chiron, Cyllare, Crone, Criton, Crane, Dictys, Danis, Dryale, Dorpe, Doryle, Demoleon, Elops, Erigippe, Euryte, Eurynom, Eumache, Enoption, Gryuee, Griphee, Herlin, Hippaſe, Hylas, Helin, Harpage, Harmandion, Imbree, Iphinoë, Latree, Licet, Lyque, Lycidas, Lycochthon, Monyche, Mimas, Mermere, Medon, Menelee, Neſſe, Nedon, Nycton, Odite, Ocel, Ornee, Phole, Perimedes, Piſenor, Picagme, Phlegræe, Petræe, Pyret, Praxion, Pæantor, Rhoeque, Riphet, Riphee, Silante, Stipale, Thaumas, Theree, Thoine, Teleboas, Therocthon, Theramon, Thurie. Or ſi la forme des Centaures eſtant double ne peut pourtout exiſter en nature, qui a induit les anciens à nous faire des contes ſi fabuleux ? Car il ne nous faut pas eſtre ſi faciles ou volages de croire que iamais animaux ſi difformes ayent eſté engendrez, non plus que beaucoup d’autres deſquels nous diſcourrons ailleurs, d’autant qu’il eſt à preſumer, que Nature mere tres-curieuſe de la conſeruation de ſon engeance nous en euſt continué la race, & reſerué pour le moins quelques vns iuſques à nos iours. D’autre part il n’y a nulle conſormité en la nature du cheual auec celle de l’homme, & moins de ſemblance, ou de conuenance, en la viande de l’vn & de l’autre pour la nourriture & conſeruation de leurs corps. Encore plus difficile eſt que la paſture commune au cheual, puiſſe paſſer & deſcendre en l’eſtomach de l’homme, ny que le cheual puiſſe tirer aliment de toutes les viandes que l’homme fait deualler en ſon ventre. Sçachons donc l’intention des anciens.

Mythologie des Centaures.Ie croy que les actes des Centaures monſtrent aſſez ce que les anciens ont voulu enſeigner par tels contes. Car quelle humanité, quelle iuſtice, quelle temperance, quelle pieté, pouuoit reſider en vne ſi prodigieuſe forme de corps ? Ou bien, celuy qui a en ſa perſonne la moitié d’vne beſte aſſez farouche & laſciue de ſoy ; comment ſe peut il faire que par ſes mauuais comportemens il ne tumbe en beaucoup de difficultez & miſeres, & ne ſoit contraint par ſon orde & ſale vie quitter ſon pays & ſes moyens pour cercher demeure ailleurs ? Mais pource que la vertu ſe preſente d’elle meſme à toutes ſortes de perſonnes, & qu’il n’y a forme ſi laide qui ne puiſſe quelquefois trouuer logis chez elle : voila pourquoy Chiron, perſonnage plein d’equité & de preud’hommie, fut logé entre les eſtoilles. Or la partie ſuperieure des Centaures, qui depuis la ceinture en haut eſt d’homme, denote la partie rationelle & intellectuelle reſidente au ceruean ; celle d’embas où la ſenſualité domine, eſt deſignee par la forme cheualine, le cheual eſtant le plus lubrique animal de tous autres : lequel appetit eſt logé és reins, lumbes, & autres parties baſſes. Et pource que telle paſſion hebete fort l’entendement, & le raualle à l’ignorance, le Pſalmiſte en pluſieurs paſſages compare cette maniere de gens aux beſtes cheualines, par leſquelles eſt ſignifié l’appetit ſenſuel & la vie brutale. Ainſi donc par les choſes ſuſdites au diſcours des Centaures, les Anciens ont voulu apprendre qu’il ne ſe falloit outre-meſure abandonner au vin, ny ſe plaire aux laſciuetez, ny faire effort ou violence aux biens d’autruy : ains qu’il conuenoit vſer de temperance, modeſtie & iuſtice en toutes ſes actions. Qu’au contraire telle eſtoit l’iſſuë des mal-viuans, de ſe voir en fin contraints d’abandonner leur patrie, moyens, heritages, femmes, enfans, & toutes leurs familles, & bannis auec mille incommoditez, chercher demeure ailleurs. Au reſte, ſoit qu’on prenne les Centaures pour fiction Poëtique, ſur laquelle on peut imaginer beaucoup de belles & doctes allegories ; ſoit qu’on les approprie à diſcours hiſtorique : encore que nature par ſon droict cours & regle ne produiſe point de ſi prodigieux animaux, ineptes à faire race & continuer leur eſpece ; ſi ne laiſſent-ils pas de pouuoir eſtre toutefois au rang des monſtres. Car Pline au ſeptieſme liure chapitre troiſieſme atteſte auoir veu vn Hippocentaure embauſmé en du miel, apporté d’Egypte, ſous l’Empire de Claudius Cæſar, & fait mention d’vn autre né en Theſſalie, mais decedé le meſme iour. Dauantage Plutaque au Banquet des ſept Sages raconte qu’on apporta à Periander vne certaine creature, née d’vne Iument, ayant tout le haut iuſques au col & aux mains de forme humaine, le ſurplus ſemblable à vn poulain, brayant neantmoins ainſi que font les enfans nouueau-nez. Thales appellé par Periander pour auoir la veuë de ce monſtre, luy dit entre autres propos : Ie te conſeille que tu n’employes plus de paſtres à garder les iumens, ou bien que tu les fourniſſes de femmes. Paſſons maintenant au Roy Cygne muë en oyſeau de meſme nom.