Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 09 : D’Atalante Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Atalante.

CHAPITRE IX.

Genealogie d’Atalante.ATLANTE fut fille de Schœnee, ou Cenee, Roy de l’iſle de Scyre (ou, ſelon d’autres, d’Arcadie) l’vne des Cyclades en l’Archipel. Ce que nous en trouuons de memorable, c’eſt qu’en force de corps & viſteſſe de pieds elle ſurpaſſoit non ſeulement les femmes, mais auſſi tous les hommes qui iouſtoient auec elle. Sa beauté de viſage, ſa taille decente, ſon port & ſon maintien Royal ne cedoit en rien à l’agilité de ſa courſe :

Si qu’on n’euſt ſceu diſceruer l’honneur d’elle, D’auoir les pieds ſoudains, ou d’eſtre belle :

Ce dit Ouide au 10. des Metamorph. Mais elle portoit quant-&-ſoy vne dure & faſcheuſe deſtinee en matiere de mariage. Car l’Oracle d’Apollon luy auoit reuelé ce qui s’enſuit :

—ô pucelle Atalante, Bien que tu ſois en graces excellente, D’auoir eſpoux tu n’as point de beſoing ; De mariage abandonne le ſoing ; Et toutefois ſelon ta deſtinee Tu ne le peux ; car tu ſeras donnee A vn mary, & par ſort inhumain, Viue perdras ce que tu as d’humain,

Eſtonnee de cet Oracle, elle ſe reſolut de n’eſpouſer iamais perſonne que ſous vne condition, & paſſoit ſon temps à la chaſſe, gardant conſtamment ſa virginité. Se confiant donc à la viſteſſe de ſes pieds elle propoſoit cette condition à ceux qui la recherchoient en mariage :

Conditiõ propoſee par Atalante à ſes pourſuiuans.Vous qui cherchez de m’auoir, ſachez tous Que ie ne veux qu’aucun ſoit mon eſpoux, S’il n’a des pieds ſur moy l’honneur & gloire, Et à courir le prix de la victoire. Vous qui m’aymez pour iouyſſance auoir, De bien courir faites voſtre deuoir ; Le plus leger ait la faueur heureuſe De m’eſpouſer, & ma couche amoureuſe ; Ceux qui ſeront à la courſe tardifs Oſté ſera leur nom d’entre les vifs.

Quoy que cette loy fuſt extremément cruelle, neantmoins tant pouuoit ſon excellente beauté, qu’il ſe preſenta grand nombre de ſeruiteurs que l’Amour pouſſoit à entrer en lice auec elle, leſquels tous auec la victoire perdirent auſſi la vie. Car elle deſirant viure perpetuellement vierge, & ne faiſant pas eſtat qu’homme viuant la peuſt vaincre à la courſe, contraignoit tous ceux qui luy faiſoient l’amour, de courre ſans armes, & elle les ſuiuoit auec vn eſpieu, duquel les atteignant elle les enfonçoit. Or aprés qu’elle en eut mis à mort pluſieurs, eſmorcez d’eſperance de l’eſpouſer, Hippomene, fils de Macaree (ou Megaree) & de Merope, petit fils de Neptun (autres diſent de Mars) abhorra du commencement cette condition tant rigoureuſe & inhumaine, diſant à part-ſoy :

Pour vne femme en mariage prendre, Tant de danger conuient-il entreprendre ?

Mais ſi toſt qu’il eut contemplé cette admirable beauté qui effaçoit toutes les autres, il changea de propos, & en fut tellement eſpris qu’il vint à dire tout haut :

Pardonnez moy, vous que, d’erreur ſurpris, I’ay à grand tort accuſez & repris ; Ie n’auois pas encore connoiſſance Du haut loyer de telle iouyſſance Que vous cerchez

Ainſi tenté, combien qu’il euſt en ſa preſence veu tres-bucher morts tous ceux qui s’eſtoient hazardez ; ſi voulut-il nonobſtant entrer en lice :

Pourquoy (dit-il) n’auray-ie pas l’esbat Du ſort heureux de ce preſent combat ? Dieu tout-puiſſant fauoriſe & anime Touſiours le cœur hardy & magnanime.

Ce diſoit-il à part ſoy : puis cette amoureuſe flame luy eſchauffant le cœur de plus en plus, il s’adreſſa à Atalante fiere de tant de vaillans & braues champions qu’elle auoit abatus, & luy teint tel langage :

Dequoy te ſert d’emporter la victoire Sur foibles gens, dont petite eſt ta gloire ? Adreſſe toy en ce combat à moy. Si i’ay par ſort la victoire ſur toy, Dueil tu n’auras, par vn tel perſonnage D’eſtre vaincue, ayant ſceu mon lignage.

Puis luy fit le diſcours de ſa noble genealogie & de ſa valeur ; au recit duquel elle demeura douteuſe, ſi elle aymoit mieux qu’il fuſt vaincu que vainqueur d’elle, tant elle le trouuoit beau & agreable. Et deſplorant ſa triſte deſconuenuë, comme l’eſtimant ja preſt à receuoir la mort par celle que plus il aymoit, & moins n’eſtoit aymé reciproquement : eſſayant de le diuertir de ſon entrepriſe, elle luy teint tels propos :

Atalante eſpriſe de l’amour d’Hippomene.Abſente toy, mon hoſte gracieux, Sans requerir mon lict pernicieux, Mon mariage eſt cruel et inique, Et plein de ſang ; autre vierge pudique, Cuelle moins, & qui ſage ſera, Te voudra bien, & mieux t’eſpouſera.

Elle pleind le hazard où il ſe precipitoit de gayeté de cœur : elle iette mille regrets & ſouſpirs voyant que ſelon la loy propoſee & acceptee de part & d’autre, elle n’auoit moyen de luy faire plaiſir eſtãt vaincu. Elle luy confeſſe ingenuëment, que ſi ſa deſtinee ne luy defendoit de ſe ioindre par mariage à aucun, il eſtoit ſeul qu’elle voudroit choiſir pour ſon mieux-aymé. Mais ne le pouuãt deſtourner de ſon deſſein, ils ſe preparerent tous deux à la courſe. Là deſſus Hippomene deuant que commencer l’œuure inuoqua deuotement Venus :

Diſant ainſi : Ie te ſupply Cytheree Qu’à ma faueur elle ſoit inſpiree, Que pour ce feu dont mon cœur eſt eſpris, Elle me mette entre ſes fauoris.

Pommes d’or baillees à Hippomene par Venus.Venus ne fit la ſourde oreille à cette tant deuote prière : ains alla promptement cueillir trois pommes d’or au iardin des Heſperides (toutesfois d’autres diſent en Damas, en vn arbre portant fueilles & fruict d’or) & ſans eſtre apperceuë de perſonne, fors d’Hippomene, les luy bailla, auec l’vſage & le moyen par lequel il pourroit obtenir la victoire ſur Atalante. Hippomene ſe ſentant fort de ſon baſton (comme on dit) entra en lice, ſe confiant plus en ſes pommes qu’en ſes pieds. Du commencement tous deux coururent ſi legerement (aiguillonnez par le ſon des trompettes, & particulierement Hippomene par l’encouragement des ſpectateurs) que leur victoire fut quelque temps en balance. Mais la carriere eſtant fort longue, l’haleine commenca à luy faillir, comme il en eſtoit encore bien loing. Par le moyen deſquelles il demeura vaiqueur de ſa Maiſtreſſe.Voyant donc qu’il eſtoit preſt d’eſtre atteint & enferré de l’eſpieu d’Atalante, il eut recours à ſes pommes, leſquelles il ietta l’vne après l’autre en diuers endroits. La vierge les trouua ſi belles, qu’il luy prit enuie de les amaſſer, & comme elle s’amuſoit à admirer leur excellence, joint qu’elle eſtoit plus chargee qu’auparauant, elle demeura ſi loing derriere, que ſon Hippomene eut moyen d’atteindre le premier au but. Mais ingrat eſt chaſtié.Ayant par ce moyen obtenu cette ſi notable victoire, il fut neantmoins tant ingrat enuers Venus, d’vn ſi grãd bienfaict receu d’elle, qu’il ne luy en daigna rendre aucune action de graces, ny luy faire aucun Sacrifice. Dequoy elle fut ſi indignee, que pour le punir elle l’embraſa d’vne ſi desbordee conuoitiſe, que ſans reſpect aucun de diuinité, il s’oublia tant, que d’habiter auec ſa bien-aymee dedans le Temple de Cybele (les autres diſent de Mars) laquelle indignité Cybele ne pouuant ſupporter, les transforma tous deux, l’vn en Lion, l’autre en Lionne, & les condamna à tirer perpetuellement ſon chariot. D’autres ſouſtiennent qu’Hippomene & Atalante, frappez tous deux d’vne mutuelle playe amoureuſe, ayans vn iour trouué moyen de deuiſer enſemble, prindrent concluſion d’aller courre quelque beſte ſauuage, auquel exercice tous deux eſtoient fort bien duits & addonnez. Aduint qu’eſtant le chaſſeur amoureux en l’eſpeſſeur d’vne foreſt ombrageuſe, & plus attentif & deſireux de la iouyſſance de ſa Dame, que de la rencontre de quelque beſte ſauuage, ſe prit à ſoliciter ſon Atalante par amoureuſes perſuaſions : leſquelles luy reüſſirent ſi bien, que condeſcendant à ſa volonté, ils entrerent en vne profonde cauerne où giſoient vn Lion & vne Lionne, par leſquels ils furent engloutis & deuorez comme ils ſe preparoient à la cueillette du fruict que plus ils deſiroient. Les parents de l’vn & de l’autre ennuyez de l’abſence de leurs enfans, aprés longue queſte & recherche, s’embattirent en fin dans cette ſanglante grotte, de laquelle voyans ſortir le Lion & la Lionne, ils ſe perſuaderent que leurs enfans auoient eſté tranſmuez en tels animaux, & retournez en leur ville firent courir ce bruit. Chap. 3. de ce meſme liure.Ce nonobſtant quelques-vns tiennent que cette Atalante eſt celle meſme qu’eſpouſa Meleager, fils d’Oenee, Roy de Calydon, aprés la chaſſe & priſe du Sanglier de Calydon, cy-deſſus deſcrite, de laquelle on dit, qu’elle prenoit vn ſingulier plaiſir à la venerie ; & qu’vne fois comme elle s’exerçoit, la ſoif la ſurprit auprés de Stethee, temple d’Eſculape ; où elle frappa de ſa jaueline vne roche, dont ſaillit vne fontaine d’eau tres-claire, & fraiſche à merueilles : & qu’elle la premiere aſſena le ſuſdit Sanglier, que Meleager abbatit ; & pour remarque de ſon exploict, il luy fit preſent de la hure de la beſte. Mais ceux de ſa compagnie, principalement Plexippe & Toxee, freres d’Althee, mere de Meleager, furent ſi jaloux de ce que par vne femme ils auoient perdu l’honneur de cette victoire, qu’ils luy voulurent oſter de force ladite hure. Surquoy Meleager ſuruenant, tranſporté de la paſſion qui le dominoit, les tua tous deux, puis eſpouſa ſon Atalante, de laquelle il engendra vn fils Parthenopee. Altee ayant nouuelles de la mort de ſes freres, conceut tant de haine à l’encontre de ſon fils Meleager, que de deſpit, & poſtpoſant l’amour charitable de mere à celle de ſœur, elle ietta dedans le feu le tiſon cõtenant la deſtinee d’iceluy. Tiſon fatal de Meleager.Car auſſi-toſt qu’il fut né, les trois Parques apparurent à Althee, aſſiſes prés d’vn feu, tenans vn tiſon à la main, par lequel elles aſſignoient à ſon enfant telle & ſi longue vie comme ledit tiſon demeureroit en eſtre, ce qu’entendu de la mere, elle le fit eſteindre & ſoigneuſement garder iuſqu’alors que par vengeance elle le conſuma. Le tiſon eſtant bruſlé, Meleager mourut auſſi d’vn feu continuel qui luy conſuma les entrailles. Aprés ſa mort, ſelon l’auis de ceux-cy, Atalante eſpouſa Hippomene aux conditions ſuſdites. Car il ſe trouue beaucoup de Seigneurs anciens qui ont propoſé leurs filles pour gage de la vertu de ceux qui ou en champ de bataille, ou en tournois, ou en autres ieux auroient le deſſus. Ainſi fit Antee, Roy de Lybie, de ſa fille Alceïs, Danaüs ; de ſes filles, Piſandre de Camire, de ſes ſœurs, Oenomas Roy d’Elide & de Piſe, de ſa fille Hippodame.

Mythologie morale.Mais à quelle intention eſt-ce que les Poëtes ont tant celebré cette Fable d’Atalante ? C’eſt pour montrer qu’Atalante n’eſt autre choſe que la volupté, & que celuy eſt bien fol qui la recherche au grand peril de ſa vie, joint qu’elle eſt ordinairement accompagnee de maladies, de vergongne, de perte de biẽs, voire ſouuent de la vie. Celuy dõc qui pourchaſſe cette volupté auec tant de hazards, ſans reſpect aucun, ny de Dieu, ny des ſainctes loix ; commẽt pourra-il retenir la forme humaine de ſon eſprit, qu’il ne ſoit tranſmué en vne tres-cruelle beſte ? Afin donc que nous apprenions à honorer la religion diuine, & reſpecter les lieux dediez pour ſon ſeruice, les Anciens ont mis en auant tels contes, par leſquels ils ne nous ont rien tranſmis qui ne ſoit tres-vtile & profitable pour l’inſtitution de la vie humaine, ſi nous voulons ſoigneuſement examiner l’intention de leurs eſcrits, au lieu que la pluſpart des eſcrits modernes que beaucoup d’ignorãs & maladroits mettent en lumiere, ſont remplis de diſcours laſcifs, ſales & vilains, dignes de gens nourris au milieu d’vn bordeau, & ne tendent qu’à ſaouler leur auarice & flatter les Grands de ce monde, ſans ſe ſoucier que de leur lecture on puiſſe tirer quelque doctrine qui tende à fin d’amender la vie & les mœurs des diſſolus : ny que les gens de bien & de bonne vie y ſoient edifiez. Ainſi donc cette Fable nous apprend particulierement, que iamais le ſeruice de Dieu negligé ne demeure impuny, lequel venge ſeuerement l’impieté & meſpris de ſon nom : & que l’ingratitude des biens diuinement receus eſt ſi deteſtable deuant ſa Majeſté, que toſt ou tard on eſt chaſtié ſelon ſes demerites. Quant à ce que nous auons appris de ce tiſon fatal de Meleager, il faut ſçauoir qu’il repreſente les execrations que ſa mere Althee deſgorgea contre luy, par leſquels elle luy ſouhaitta la mort. Car Homere teſmoigne qu’elle pria Pluton & Proſerpine de le faire mourir ; quelques-vns meſme tiennent que pour ce faire elle ſe ſeruit d’art magique. Au reſte il faut remarquer que d’autres font cette Atalante, fille de Iaſon, qu’Hippomene eſpouſa, autrement dict Melanyon, mot compoſé de deux Grecs, donc le premier, mélon, ſignifie vne pomme, & l’autre anyo, parfaire & accomplir ; pource qu’il accomplit le ſuſdit combat : ou bien ſuiuant ceux qui l’eſcriuent Melanion, de mélon & aniemi, deſquels le dernier vaut autant que ietter ou enuoyer ; parce qu’il ietta les ſuſdites pommes pour retarder la courſe d’Atalante. Les autres eſtiment que cette derniere, qu’ils diſent auoir eſté fort lubrique & diſſoluë, & demeurée en la montagne de Menale en Arcadie, ſoit differente d’auec l’autre, fille de Schœnee. Or ſi celle qui ſe propoſa pour eſpouſe de celuy qui la vaincroit à la courſe, & celle qui eut la deſpoüille du Sanglier, ne ſont qu’vne meſme, il faut conclure que Schœnee, Roy de Scyre, & Schœnee Roy d’Arcadie ne ſont auſſi qu’vn. Si elles ſont deux diuerſes, il faut auſſi croire que ces deux Schœnees ſont diuers. Chacun en iugera ſelon qu’il verra le meilleur. Quoy que ſoit, les Poëtes la font fille de Schœnee, & l’appellent auſſi Schœneïs, nom tiré de celuy de ſon pere. Prenons maintenant Theſee.