Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 10 : De Thesee Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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De Theſee.

CHAPITRE X.

Genealogie de Theſee.THESEE fut fils de Neptun, & d’Æthre, toutefois Plutarque eſcriuant ſa vie dit qu’Egee fut ſon pere, & que de par luy il eſtoit deſcendu en droite ligne du grand Erechthee, Roy d’Athenes, & des premiers habitans qui tindrent le pays d’Attique, qu’on appella depuis Autochthones, qui vaut autant à dire comme originaires & nez de la terre meſme : qu’il n’eſtoit point de memoire qu’ils fuſſent venus d’ailleurs pour s’habituer là : & du coſté de ſa mere eſtoit iſſu de Pelops, de ſon temps le plus puiſſant Roy de toute la Moree, ſur tout en grand’quantité de fils & filles, qu’il donnoit en mariage aux plus grands Seigneurs du pays, & ſemoit ſes fils par les villes franches, trouuant moyen de leur en faire auoir le gouuernement : Pithee pere d’Æthre, mere de Theſee en fut l’vn, lequel eut la reputation du plus ſçauant & plus ſage homme de ſon temps. Or Ægee, Roy d’Athenes deſirant ſçauoit comme il pourroit auoir des enfans, s’en alla en la ville de Delphes, à l’Oracle d’Apollon, où la Religieuſe du Temple luy defendit pour reſponſe, de ne toucher point ny ne connoiſtre femme qu’il ne fuſt de retour à Athenes. Et parce que les termes de la prophetie eſtoiẽt fort obſcurs (ſelon que les Oracles de ces malins Eſprits du temps paſſé, deſtruits par la venuë de noſtre Seigneur Ieſus-Chriſt, eſtoient ordinairement ambigus & à deux ententes) à ſon retour il paſſa par Trœzene, que Pithee auoit fondee, pour les luy communiquer. Les paroles de cette prophetie eſtoient telles :

Homme en qui eſt la vertu accomplie, Le pied ſortant hors du bouc ne deſlie, Que tu ne ſois de retour à Athenes.

Enſeignes laiſſees à Æthre par Ægee pour reconnoiſtre le fils qui naiſtroit d’eux.Ce qu’entendant Pithee, luy perſuada, ou bien par quelque ruſe l’affina, de ſorte qu’il le fit coucher auec ſa fille Æthre. Ægee donc aprés auoir eu ſa compagnie, connoiſſant que c’eſtoit la fille de Pithee qui auoit couché auec luy, & ſe doutant qu’elle eſtoit enceinte de ſa ſemence, luy laiſſa vne eſpee & des ſouliers, leſquels il cacha ſous vne groſſe pierre, qui eſtoit creuſe, tout autant iuſtemẽt qu’il falloit pour contenir ce qu’il y mettoit : & luy enchargea que ſi d’auenture elle faiſoit vn fils, quand il ſeroit paruenu iuſques en aage d’homme aſſez puiſſant pour remuer cette pierre, & prendre ce qu’il auroit laiſſé deſſous, elle le luy enuoyaſt auec telles enſeignes, ſans que nul autre en euſt la connoiſsãce. Cela fait il s’en alla. Natiuité de Theſee.Æthre quelques mois aprés ſe deliura d’vn beau fils, qui dés lors fut appellé Theſee, du mot tithénai, c’eſt à dire, mettre ou poſer, à cauſe de ſes enſeignes de reconnoiſſance qu’Egee auoit poſees ſous la pierre. Cependant Pithee faiſoit courir le bruit qu’il eſtoit fils de Neptun, pourautant que les Trœzeniens auoient ce Dieu en grande reuerence, l’adorans comme patron & protecteur de leur ville, & luy faiſans offrandes de leurs premiers fruicts. Si fut Theſee tenu en telle reputation, iuſqu’à ce qu’arriué aux premiers ans de ſa ieuneſſe, & qu’il montra auec la force de corps auoir vne grandeur de courage ioincte à vne prudence naturelle, & à vn ſens raſſis ; ſa mere le mena au lieu où eſtoit la groſſe pierre creuſe : & luy declairant au vray le faict de ſa naiſſance, & par qui il auoit eſté engendré, luy fit prendre les enſeignes de reconnoiſſance que ſon pere y auoit cachees, & luy conſeilla de l’aller trouuer à Athenes. Indices de ſa valeur & magnanimité de courage.Or auint vn iour qu’eſtant encore ieune garçon Hercule paſſa chez Pithee à Trœzene, où Theſee voyãt la peau du Lion qu’il auoit accouſtumé de porter, courut contre vn homme qu’il apperceut tenant en main vne coignee, & la luy arracha pour tuër cette beſte, cuidant que ce fuſt de faict vn Lion en vie, au lieu que les autres enfans de Trœzene ſaiſis de frayeur s’en eſtoient fuys. Dés ce temps-là la gloire des faicts renommez d’Hercule luy enflamma ſecrettement le cœur, de maniere qu’il ne faiſoit conte que de luy, & eſcoutoit auecques beaucoup d’affection ceux qui alloient recitant quel homme c’eſtoit, meſmement ceux qui l’auoient veu, qui auoient eſté preſens quand il auoit dict ou faict aucune choſe digne de memoire. La nuict il ne ſongeoit que des geſtes d’iceluy, & le iour la ialouſie le poignoit du deſir d’en faire quelquefois autant, auec ce qu’ils eſtoient proches parens, comme enfans de deux couſines germaines ; car Æthre eſtoit fille de Pithee, & Alcmene mere d’Hercule, fille de Lyſidice, ſœur germaine de Pithee, tous deux enfans de Pelops & d’Hippodame. Partemẽt de Theſee eſguillonné par la renommee d’Hercule.Ainſi donques il partit de chez ſon ayeul maternel Pithee, auec deſſeing d’imiter la vertu & vaillance de ſon parent Hercule. Et combien que le chemin pour aller par terre de Trœzene à Athenes fuſt fort dangereux, à raiſon des brigands & voleurs que ce ſiecle-là produiſoit, en force de bras, legereté de pieds, & puiſſance vniuerſelle de toute leur perſonne, ſurpaſſans de beaucoup l’ordinaire des autres : tant y a, que ny ayeul, ny mere, ne le peurent induire de faire ce chemin par mer ; durant lequel il nettoya le monde de beaucoup de meſchans bandoüillers & ribleurs, qui vilainement & arrogamment outrageoient les hommes, & leur fit iuſtement ſentir les meſmes peines qu’iniuſtement ils impoſoient aux autres. Premier voleur defait par Theſee, Periphethe.Le premier qu’il defit fut vn brigand nommé Periphethe, dedans le territoire de la ville d’Epidaure. Ce voleur portoit ordinairement vne maſſuë de cuiure, & à cette cauſe on le ſurnommoit Corinetés, c’eſt à dire porte-maſſuë. Si mit le premier la main ſur luy pour le garder de paſſer, mais Theſee le combattit, & le tua, dont il fut ſi aiſe, que comme ſon parent portoit la deſpoüille du Lion, teſmoignãt la grandeur de la beſte par luy occiſe ; auſſi voulut-il touſiours porter cette maſſuë pour memorial de la notable victoire qu’il auoit obtenuë pour ſon premier chef-d’œuure. II. Polypemon, autremẽt Sinnis, ou Pityocamptés.Paſſant plus outre dedans le deſtroit de la Moree, il mit à mort Polypemon, autremẽt dit Sinnis, ſurnommé Pityocamptés, c’eſt à dire, pleſſeur de pins ; pource qu’il abaiſſoit à grand force des pins iuſqu’à terre, auſquels il attachoit les paſſans iambe deçà, iambe delà : puis couppant ce qui les arreſtoit, laiſſoit remonter de force les branches en leur place ordinaire, & par ce moyen les faiſoit d’vne cruelle & inhumaine façon eſcarteler en pieces. III. La Lee Crommyenne.Aprés il défit la Lee Crommyenne, autrement dicte Phee, c’eſt à dire, Bure, beſte faiſant beaucoup de mal autour de Strommyon au pays d’Attique (on attribuë auſſi cette defaite à Hercule : ſinon que nous voulions croire qu’Hercule defit le Porc, & Theſee la Lee) Toutefois les autres ont eſcrit que cette Phee eſtoit vne brigande meurtriere, & abandonnee de ſon corps, deſtrouſſant ceux qui paſſoient auprés de Crommyon où elle repairoit ; & qu’elle fut ſurnommee Lee, pour ſes mœurs deshonneſtes & ſa meſchante vie : pour laquelle finalement elle fut miſe à mort par Theſee. IV. Scirõ.Item il defit Sciron à l’entree du territoire de Megare, non loing d’Athenes, pource qu’il deſtrouſſoit les paſſans, ou bien, ainſi que d’autres diſent, pource que par vne outrageuſe mauuaiſtié, & vn plaiſir deſordonné, il tendoit ſes pieds à ceux qui paſſoient par là le long de la marine, & leur commandoit de les luy lauer : puis quand ils ſe cuidoient baiſſer pour ce faire, il les pouſſoit à coups de pied, tant qu’il les faiſoit d’vn lieu tres-haut tresbucher en la mer. Theſee le ietta luy-meſme du haut en bas des rochers. V. Cercion Arcadien.Il tua auſſi en la ville d’Eleuſine Cercyon Arcadien, qui contraignoit tous les paſſans de s’eſprouuer contre luy à la lutte, & les eſtouffoit pour la pluſpart. VI. Damaſte, dit Procruſtés.Puis tirant vn peu plus outre, defit en la ville d’Hermione Damaſte, autrement dict Procruſtés, qui demeuroit en vn lieu de la prouince d’Attique, nommé Corydal, tres-cruel bourreau des pauures eſtrangers paſſans. En ſuitte pourſuiuant ſon chemin, il arriua vers la riuiere de Cephiſe, là où quelques-vns de la maiſon des Phytalides luy allerent par honneur au deuant, & à ſa requeſte le purifierent ſelon les ceremonies accouſtumees en ce tẽps-là. Puis ayant faict aux Dieux vn Sacrifice de propitiation, le feſtoyerent en leur maiſon, & fut le premier bon recueil qu’il trouua en tout ſon chemin. Arriuee de Theſee à Athenes.Finalement il arriua à Athenes, où il trouua l’Eſtat troublé de ſeditions, partialitez, diuiſions ; & particulierement la maiſon d’Ægee en mauuais termes auſſi, à cauſe que Medee, bannie de la ville de Corinthe, s’eſtoit retiree à Athenes, & ſe tenoit auec Ægee, auquel elle auoit promis de luy faire auoir des enfans par la vertu de quelques breuuages & medecines : mais ayant ſenty le vent de la venuë de Theſee, premier que le bon-homme Ægee, ia vieil, ſoupconneux, & ſe defiant de toutes choſes, ſçeuſt qui il eſtoit, elle luy perſuada de l’empoiſonner en vn banquet que l’on luy feroit comme à vn eſtranger paſſant. Se faiſant connoiſtre éuite le poiſon qui luy eſtoit appreſté.Theſee ne faillit pas d’aller à ce feſtin, ſans toutesfois ſe deſcouurir ſoy-meſme, ains voulant donner à Ægee ſujet & moyen de le reconnoiſtre, quand on veint à ſeruir la viande ſur table, deſgaina ſon eſpee, comme s’il en euſt voulu trencher, & la luy il monſtra. Ægee tout ſoudain la reconnut, & quand & quand renuerſa la coupe ou eſtoit le poiſon qu’on auoit appreſté pour luy bailler. Puis par pluſieurs interrogatoires le reconnut & l’auoüa en publicque aſſemblee pour ſon fils heritier & ſucceſſeur au Royaume. Ce que voyant Pallas fils legitime de Pandion, qui parauant auoit tousjours eſperé de recouurer le Royaume d’Athenes à tout le moins après la mort d’Ægee, qui n’eſtoit que fils adoptif de Pandion, & n’eſtoit point du ſang Royal des Erechthides ; il s’eſleua auec ſes enfans en armes, & ſe diuiſans en deux trouppes ; les vns vindrent ouuertement auec leur pere droit à la ville : les autres ſe mirent en embuſche au bourg de Garget, en intention de les aſſaillir par deux coſtez. Embuſcade de Pallas de faite par Theſee.Theſee aduerty de leur deſſein par vn herault de leur party meſme, nommé Leos, alla ſoudainement charger ceux qui eſtoient en embuſcade, & les mit tous au fil de l’eſpee. Ceux de la trouppe de Pallas ſe desbanderent d’oüie, & s’eſcarterent qui çà qui là. Voyez le 7. labeur d’Hercule.Cela faict, Theſee qui ne vouloit demeurer oiſif, & par meſme moyen deſiroit gratifier au peuple, s’en alla combattre le Taureau de Marathon, lequel faiſoit beaucoup de maux aux habitans de la contree de Tetrapolis vaut autant à dire que Quatre-villes, c’eſtoit vne quatrieſme partie de l’Attique, contenant quatre villes, Oenoë, Probalinte, Tricorynthe & Marathon.Tetrapolis  : & l’ayant pris vif, le paſſa à trauers la ville, affin qu’il fuſt veu de tous les habitans, puis ſe ſacrifia à Apollon Delphinien (autres dient à Diane de Marathon.) Peu de temps apres cet exploit, vindrent de Candie les gens du Roy Minos, demander pour la troiſieſme fois le tribut que luy payoient ceux d’Athenes pourle ſujet qui s’enſuit. Androgee fils aiſné de Minos fut occis en trahiſon dans le pays de l’Attique par quelques Atheniens & Megariens, ialoux qu’il euſt emporté le prix de la lutte par deſſus eux : à raiſon dequoy Minos pourſuiuant la vengeance de cette mort, fit guerre guerroyable aux Atheniens, auec vn general degaſt du pays. Mais outre cela la ſterilité, la famine, la peſtilence, & pluſieurs autres maux les accueillirent iuſques à voir tarir leurs riuieres. Hiſtoire du Minotaure.En ſuite il raſa de fonds en comble la ville de Megare, & mit à mort le Roy Nyſus, que ſa propre fille Scylla, tranſportee d’amour, luy rauit & liura entre ſes mains. Car elle oſta à ſon pere le cheueu fatal empourpré, auquel conſiſtoit le terme de ſa vie. Mais les Dieux en ayans pitié, le tranſmuerent en Eſperuier, ſa fille (que Minos pour la meſchãceté par elle commiſe ne voulut oncques voir) en Aloüette. C’eſt pourquoy l’Eſperuier, encore pour le iourd’huy faict guerre mortelle à l’Alloüette. Les Atheniens affligez comme deſſus, recoururent à l’Oracle d’Apollon ; lequel leur reſpondit qu’ils appaiſaſſent Minos, & quand ils ſeroient reconciliez auec luy, que l’ire des Dieux ceſſeroit auſſi encontre eux, & leurs afflictions prendroient fin. Si enuoyerent incontinent deuers luy, & le requirent de paix : laquelle il leur octroya, ſous condition, que l’eſpace de neuf ans durãt ils ſeroient tenus d’enuoyer en Candie, par forme de tribut ſept ieunes garçons de bonne maiſon, & autant de ieunes filles. Iuſques icy le conte eſt véritable : mais ce qui ſuit ſemble eſtre fabuleux, à ſçauoir, que quand ces pauures priſonniers eſtoient arriuez en Candie, on les faiſoit deuorer par le Minotaure dedans le Labyrinthe, & qu’ils y alloient errans çà & là, ſans pouuoir trouuer iſſuë pour en ſortir, iuſques à ce qu’ils y mouroient de male faim, & eſtoit ce Minautaure (ainſi l’a dit Euripide :)

Vn corps meſlé, vn monſtre ayant figure De Taureau ioint à humaine nature.

Labyrinthe, geole des Atheniens enuoyez pour tribut.Car ceux de Candie ont de tout temps conſtamment aſſeuré que ce Labyrinthe eſtoit vne geole, en laquelle il n’y auoit autre mal, ſinon que ceux qui y eſtoient enfermez n’en pouuoient ſortir : que Minos en memoire de ſon fils Androgee auoit inſtitué des feſtes & ieux de prix, là où il donnoit à ceux qui y emportoient la victoire, ces ieunes enfans Atheniens, leſquels cependant eſtoient ſoigneuſement gardez dans la geole du Labyrinthe : & qu’aux premiers ieux l’vn des Capitaines du Roy, nommé Taure, qui auoit le plus de credit autour de ſon maiſtre, gaigna le prix. Ce Taure fut vn homme de tres-mauuais naturel qui traitta fort durement & ſuperbement ces enfans d’Athenes ; leſquels mis entre les mains des vainqueurs, vieilliſſoient en Candie, gaignans leur vie à ſeruir pauurement. Murmure des Atheniẽs contre Ægee leur Roy.Ainſi donc la troiſieſme annee du tribut eſcheuë, comme on vint à contraindre les peres qui auoient des enfans non mariez, de les bailler pour les mettre à l’auenture du ſort : les bourgeoïs d’Athenes commencerent à murmurer contre Ægee, alleguants pour leurs griefs, que luy qui auoit eſté cauſe de tout le mal, eſtoit ſeul exempt de la peine, & que pour faire tumber le Royaume entre les mains d’vn ſien baſtard, il ne ſe ſoucioit point qu’ils fuſſent eux priuez & deſtituez de leurs naturels & legitimes enfans. Pour leſquels apaiſer, Theſee s’offre d’aller en Candie.Ces iuſtes doleances des peres à qui l’on oſtoit les enfans, percerent le cœur à Theſee, qui s’offrit volontairement à y eſtre enuoyé auec ceux ſur qui le ſort cherroit. Toutefois Hellanique a eſcrit que ce n’eſtoit pas ceux de la ville qui tiroient au ſort les enfans que l’on deuoit enuoyer pour le tribut : mais que Minos y venoit luy-meſme, & les choiſiſſoit à ſon plaiſir, & que lors il choiſit Theſee le premier, ſous les conditions accordees entre-eux, c’eſt à ſçauoir, que les Atheniens fourniroient de vaiſſeaux, & que les enfans s’embarqueroient auec luy ſans porter aucun baſton de guerre : mais qu’aprés la mort du Minotaure, le tribut, ceſſaſt. Or parce que les peres n’auoient aucune eſperance de iamais reuoir leurs enfans, les Atheniens ſouloient enuoyer vn nauire pour conduire les enfans, auec vn voile noir, en ſignifiance de dueil & perte toute notoire. Eſperant retourner victorieux du Minotaure.Toutefois pour l’eſperance que Theſee donnoit à ſon pere, ſe faiſant fort & promettant hardiment qu’il viendroit au deſſus du Minotaure ; Ægee donna au pilote du nauire vne voile blanche, luy ordonnant qu’à ſon retour il tendiſt la voile blanche, ſi ſon fils eſtoit eſchappé : ſinon, qu’il miſt la noire, pour luy montrer de tout loing ſon malheur. Simonide eſcrit que cette voile n’eſtoit pas blanche mais rouge, teinte en eſcarlate, par laquelle il teſmoigneroit de loing qu’il auroit eſpanché le ſang du Minotaure. Minotaure occis par Theſee à l’aide d’Ariadne.Arriué en Candie, il tua ce Minotaure, auec le moyen que luy donna Ariadne, fille de Minos & de Paſiphaé, laquelle s’eſtant amourachee de luy, tant pour la hardieſſe qu’il eut au recouurement de la bague que nous dirons tantoſt, que pour la grandeur de ſon courage, de ſa ieuneſſe, beauté & nobleſſe de ſa race, s’offrit de luy donner aſſiſtance en cet affaire s’il luy vouloit promettre de l’eſpouſer. Ce qu’ayant obtenu, elle luy donna vn peloton de fil, à l’aide duquel elle luy enſeigna comme il pourroit facilement ſe tirer des tours & deſtours de l’embroüillé Labyrinthe, attachant la fiſſelle à l’entree d’iceluy. Deſcription du Labyrinthe.Ce Labyrinthe fut fait par Dædale à l’imitation de celuy qui eſtoit en Egypte en la ville des Crocodiles. Herodote en ſon Euterpe deſcrit ainſi la magnificence de ce baſtiment : Si l’on conſidere les beaux murs & baſtimens des Grecs, on en trouuera la beſongne beaucoup moindre tant en peine qu’en deſpenſe, que celle de ce Labyrinthe. Ie ſay bien que le Temple d’Epheſe & celuy de Samos ſont excellens & magnifiques tout ce qui ſe peut, & leurs pyramides plus ſuperbes qu’on ne ſçauroit ny dire ny croire, chacune deſquelles ſe pourroit bien parangõner auec pluſieurs edifices Grecs. Mais ce Labyrinthe ſurpaſſe meſme en excellẽce d’œuure ces pyramydes. Car il y a douze grãds corps d’hoſtel vouſtez qui ont leurs portes vis à vis les vnes des autres. Six regardent le Septentrion, & ſix le Midy : & ſont tous compris dãs l’enceinte d’vne meſme muraille. Il y a double logis & deux eſtages : l’vn ſous terre, & l’autre à raiz de chauſſee, chacun deſquels eſt diuiſé en trois mille cinq cens pieces aux departemens de chambres, ſales, garderobes, galeries & cabinets. Quãt aux logis de deſſous terre, il teſmoigne que les Gouuerneurs d’Egypte ne permirent à leur compagnie de les viſiter, parce que là eſtoiẽt les tumbeaux des Roys qui auoient fait baſtir cette geole, comme des ſacrez ſaincts Crocodiles. De ceux de deſſus il atteſte les auoir veus, & qu’ils exce- dent de beaucoup tous les ouurages faits de main d’homme. Car les iſſues par les chambres, & tant de r’entremens & retours par les ſalles de coſté & d’autre, me mettoient (dit-il) en vne merueilleuſe admiration. Des corps d’hoſtel, on paſſe dans les ſalles ; des ſalles, dedans les chambres ; des chambres, aux garderobes & cabinets ; de là en d’autres ſalles, antichambres & galleries, De toutes leſquelles pieces le plancher außi bien comme les parois eſt de pierre de taille, ouuree parci-par là de figures à demi-boſſe. Chaſcun de ces manoirs ou corps d’hoſtel, a outreplus ſa portique à l’entree, ſouſtenuë de belles groſſes colomnes d’vne pierre blanche, fort proprement. Et à l’encongnure où ſe termine le Labyrinthe, eſt annexee vne Pyramide de quarante pas en quarré, taillee à grandes figures d’animaux, à laquelle on va par deſſous terre. Theſee ſe ſauue & retourne à Athenes.Theſee ayant occis le Minotaure s’en retourna dont il eſtoit party, emmenant quand & luy les autres ieunes enfans d’Athenes, & Ariadne Pherecy de adjouſte qu’il briſa & gaſta les quilles & les carenes de tous les vaiſſeaux de Candie, afin que l’on ne le peuſt ſoudainement pourſuiure. Quelques-vns diſent que le Capitaine Taure fut par Theſee occis ſur le port meſme en combatant, comme ils eſtoient tous preſts à faire voile. Cauſes de la haine conceuë contre le Capitaine Taure.Mais il y a plus d’apparence en ce qu’à eſcript Philochore, que le Roy Minos ayant faict ouurir les ieux, ainſi qu’il auoit accouſtumé tous les ans, en l’honneur & memoire de ſon fils, chaſcun commença de porter enuie à ce Capitaine, pource qu’on s’attendoit bien qu’il en emporteroit encore le prix, comme il auoit faict és annees précédentes : auec ce que ſon autorité le rendoit mal voulu, à cauſe qu’il eſtoit hõme ſuperbe ; & ſi le ſoupcõnoit-on d’entretenir la Roine Paſiphaé (comme de faict on dit que Minos faiſant la guerre aux Atheniens, elle eut vn fils dudit Taure, qui fut nommé du nom de père : mais d’autant qu’on le croyoit eſtre fils de Minos, on luy fit porter les noms de Minos & de Taure, ioints enſemble, & fut dict Minotaure : qui pour l’extreme ſeuerité dont il traictoit ces ieunes Atheniens, eut le bruit de les deuorer.) Parquoy quand Theſee vint à demander de ſe batre auec luy, Minos le luy octroya facilement. Et eſtant la couſtume en Candie que les Dames ſe trouuoient aux esbatemens publics, & aſſiſtoient à voir les ieux, l’Infante Ariadne ſe trouuant à ceux là, y fut eſpriſe de l’amour de Theſee, le voyant ſi beau & ſi adroit à la lutte, qu’il ſurmonta tous ceux qui ſe preſenterent pour lutter. Le Roy meſme Minos fut ſi ioyeux de ce qu’il auoit oſté l’honneur au Capitaiue Taure, qu’il le renuoya franc & quitte en ſon païs, en luy rendant auſſi les autres priſonniers Atheniens, & remettant, pour l’amour de luy à la ville d’Athenes, ce tribut qu’elle luy deuoit payer. Clideme conte cecy d’vne autre & toute differente ſorte recherchant le commencement de plus hault. Car il dict qu’il y auoit pour lors vne ordonnance generale par toute la Grece, qui defendoit à toute maniere de gens de faire voile en vaiſſeau où il y euſt plus de cinq perſonnes, excepté à Iaſon ſeul ; Capitaine de la grande nef d’Argò, auec commiſſion de courir la mer pour oſter & chaſſer tous les corſaires & larrons eſcumans la mer ; Diuers auis ſur le Minotaure & Labyrinthe de Candie.& que Dædale s’en eſtant fuï de Candie à Athenes dedans vn petit bateau pour les cauſes que nous dirons en ſon diſcours, Minos contre les defenſes publique, le voulut pourſuiure auec vne flotte de pluſieurs vaiſſeaux à rames ; mais qu’il fut ietté par la tourmente en la coſte de Sicile, où il deceda. Depuis ſon fils Deucalion griefuement courroucé contre les Atheniens, les enuoya ſommer de luy rendre Dædale ; autrement, qu’il feroit mourir les enfans qui auoient eſté baillez en oſtage à Minos ſon pere, dequoy Theſee s’excuſa, diſant qu’il ne pouuoit abandonner Dædale, attendu qu’il luy tenoit de ſi pres, comme d’eſtre ſon couſin germain, pource qu’il eſtoit fils de Merope fille d’Erechthee. Mais cependant il fit ſecrettement faire pluſieurs vaiſſeaux, partie dans l’Attique meſme, au bourg de Thymetade, arriere des grands chemins paſſans : partie auſſi en la ville de Trœzene par l’entrepriſe de ſon ayeul Pithee, afin que ſon deſſein en fuſt plus couuert, Puis quand tout ſon equippage fut preſt, il monta ſur mer, premier que les Candiots en fuſſent aucunement auertis ; de ſorte que quand ils le deſcouurirent de loing, ils s’imaginerent que ces vaiſſeaux eſtoient à leurs amis. Au moyen dequoy Theſee deſcendit en terre ſans aucune reſiſtance, & ſe ſaiſit du port : puis ayant Dædale & les bannis de Candie pour guides, entra iuſque dedans la ville meſme de Gnoſe, où il defit en bataille Deucalion, deuant les portes du Labyrinthe, auec toutes ſes gardes & ſatellites : & par ce moien falut que ſa ſœur Ariadne priſt les affaires du Royaume en main, Theſee fit appointement auec elle, & retira les ieunes enfans d’Athenes detenus en oſtage, remettant en bonne paix, amitié & concorde les Atheniens auec les Candiots : leſquels promirent & iurerent que iamais ils ne leur recommenceroient la guerre. Ariadne abandonnee par Theſee à la ſemonce de Bacchus.L’hiſtoire adiouſte qu’aprés la deffaite du Minotaure, Theſee prenant auec ſoy Ariadne autrice de ſon ſalut & de ſa deliurance, y arriua en l’iſle de Naxe (autrement nommee Dia, & auparauant Strongyle : item Dionyſia, à cauſe de l’abondance des vignes qui y ſont) là où Bacchus l’auertit en ſonge qu’il euſt à la luy quitter : & que craignant la majeſté diuine de Bacchus, il eſpia l’heure qu’il la vid detenue d’vn profond ſommeil, en laquelle il fit ſecrettement voile, & partit de ladite iſle, Bacchus l’eſpouſa depuis (les autres diſent que ce fut Oenar preſtre de Bacchus) & engendra d’elle Thoas, Oenopion, Staphyle, Euanthes, Latramys, & Tauropolis, Les autres diſent qu’elle ſe pendit de regret ſe voyant abandonnee par Theſee, & tiennent qu’il la laiſſa pource qu’il en aimoit vne autre :

Car il aimoit Aeglé Nymphe gentille, Laquelle eſtoit de Panopee fille.

Quelques-vns diſent qu’il la laiſſa volontairement enyuree pour auoir trop beu des bons vins du pays. Voyez le chap. de Bacchus au 5. liure.Les autres eſcriuent qu’elle eut deux enfans de Theſee, Oenopion & Staphyle. D’autres le content encore d’vne façon toute diuerſe, diſans que Theſee fut ietté par vne tourmente en l’iſle de Chypre, ayant quand & luy Ariadne enceinte, & ſi trauaillee de l’agitation de la mer, qu’elle n’en pouuoit plus : tellement qu’il fut contraint de la mettre à terre, & que depuis il rentra dans ſon nauire pour le cuider defendre contre la tempeſte : mais qu’il fut derechef ietté loing de la coſte en pleine mer par la violence des vents. Les Dames du païs recueillirent humainement Ariadne : & parce qu’elle ſe deſconfortoit extremement de ſe voir abandonnee, elles contrefirent des lettres au nom de Theſee pour la conſoler ; & quand elle fut preſte à ſe deliurer de ſon enfant, elles firent tout deuoir de la ſecourir : Mais elle mourut en trauail ſans iamais pouuoir enfanter, & fut honorablement inhumee par les Dames de Chypre. Service fondé par Theſee pour la mort d’Ariadne.Theſee y retourna quelque temps aprés fort deſplaiſant de ceſte mort : & laiſſa de l’argent à ceux du pays pour luy faire dire tous les ans vn ſeruice. Quelques Naxiens ont anciennement raconté qu’il y a eu deux Minos & deux Ariadnes ; dont l’vne fut mariee à Bacchus en l’iſle de Naxe, de laquelle naſquit Staphyle ; l’autre plus ieune fut rauie & enleuee par Theſee, qui puis apres l’abandonna, & elle ſe retira en l’iſle de Naxe auec ſa nourrice nommee Corcyne, où elle mourut. D’auantage Theopompe a eſcrit que Minos ayant receu Theſee & les autres ieunes enfans Atheniens, deueint de prime arriuee amoureux de Peribœe fille du Geant Eurymedon : & que comme Theſee ſe gauſſoit de la lubricité, alleguant que luy fils de Neptun, ſeroit indigne d’vn tel pere, s’il enduroit aucun outrage eſtre faict à la pudicité d’icelle. Minos de colere luy dit pluſieurs pouïlles & iniures : & entre autres reproches, qu’il n’eſtoit point fils de Neptun, & que s’il auoit ietté dans la mer vne bague qu’il tenoit, il ne la luy ſçauroit recouurer. Preuue que Theſee fut extrait de Neptune.Ce que diſant il la ietta au fond de l’eau, & Theſee s’eſtant ſoudain élancé apres, fut recueilly par vne trouppe de Dauphins, qui le menerent aux Nereïdes, par le moyen deſquelles il recouura cet anneau : puis ſortit rapportant & la bague & vne couronne qu’Amphitrite luy bailla : & pour perpetuelle ſouuenance de ce faict, Neptun logea cette couronne entre les eſtoiles. Or Theſee partant de l’iſle de Candie veint deſcendre en celle de Delos, où il ſacrifia au temple d’Apollon, puis dança auec ſes compagnons vne dance que les Deliens ont long temps depuis prattiquee, l’appellans la Gruë, en laquelle y auoit pluſieurs tours & retours, à l’imitation des tournoyemens & vire voltes du Labyrinthe. Il la dança autour de l’autel qu’on appelloit Ceraton, c’eſt à dire faict de cornes, pour autant qu’il eſtoit compoſé de cor- nes ſeulement, toutes du coſté gauche, ſi bien entrelaſſees enſemble, ſans autre liaiſon, qu’elles faiſoient vn autel : puis il fit quelques ieux de prix, eſquels fut premierement donnee la branche de palme au vainqueur, pour loyer de ſa victoire. Imprudence du pilote de Theſee, cauſe de la mort du Roy Ægee.Mais quand ils approcherent de la coſte d’Attique, ils furẽt ſi eſpris de ioye luy & ſon pilote, qu’ils oublierent de mettre au vent la voile blanche par laquelle ils deuoient donner ſignal de leur ſalut à Ægee, lequel voyant de loing la voile noire, & n’eſperant plus de reuoir iamais ſon fils, en eut ſi grand regret, qu’il ſe precipita du haut en bas d’vn rocher, & ſe tua. Braue entrepriſe de Thefee.Peu de temps apres la mort de ſon pere il entreprit vne choſe grande à merueilles : c’eſt qu’il aſſembla en vne cité, & reduiſit en vn corps de ville les habitans de toute la prouince d’Attique, leſquels auparauant eſtoient eſpars en pluſieurs bourgs, & par conſequent mal-aiſez à aſſembler quand il eſtoit queſtion de quelque affaire d’Eſtat. Il trouua les pauures gens & les perſonnes priuees, preſtes à ſuiure ſa ſemonce ; mais les riches & ceux qui auoient authorité en chaſque bourg, non : toutesfois il les gagna auſſi, leur promettant que ce ſeroit vne choſe publicque, non ſubiecte à la puiſſance d’vn Prince ſouuerain, ains pluſtoſt vn gouuernement populaire, auquel il ſe retiendroit la ſuperintendance de la guerre, & la garde des loix ſeulement. Ainſi les vns s’y rengerent de leur bon gré, les autres qui n’en auoient point d’enuie, neantmoins aymerent mieux y conſentir que d’attendre qu’ils y fuſſent contraints par force, car ſa puiſſance, hardieſſe & authorité eſtoit deſia grande. Inſtitutiõ du Panathenæe par Theſee.Si fit adonc demolir tous les Palais à tenir la iuſtice, & toutes les ſales à conuocquer le Conſeil ; oſta tous Iuges & Officiers, baſtit vn Palais commun, & vne Sale pour tenir le Conſeil : puis inſtitua la feſte ſolemnelle & generale & le Sacrifice commun à tous ceux de l’Attique, qui fut nommee Panathenæe, & vn autre particulier pour les eſtrangers, dict Metœcie. Gouuernement Royal d’Athenes reduit en populaire.Cela faict il quitta ſon authorité Royale : comme il auoit promis, & ſe mit à ordonner l’Eſtat & police de la choſe publique, commencant au ſeruice des Dieux, car il enuoya en premier lieu vers l’Oracle d’Apollon à Delphes pour ſçauoir des aduantures de ceſte nouuelle ville, dont luy fut rapportee telle reſponſe :

Fils d’Ægæus & de la fille chere De Pitheus, le haut-tonnant mon Pere En voſtre ville amis la deſtinee D’autres pluſieurs, & leur fin terminee. Et quant à toy ne va ton cœur vaillant De trop d’ennuy à penſer trauaillant : Car comme vn cuir enflé, touſiours iras Flottant ſur mer, & point ne periras.

On trouue par eſcrit que la Sibylle depuis prononça de ſa bouche vn tout ſemblable oracle pour la ville d’Athenes :

Le cuir enflé flotte bien ſur la mer, Mais il ne peut au dedans abyſmer.

Et pour peupler ſa ville, il offrit meſmes droicts & meſmes priuileges de bourgeoiſie à ceux qui s’y voudroient venir habituer, qu’aux naturels citoyens, diſtingua les eſtats, diuiſa la Nobleſſe d’auec les laboureurs & d’auec les artiſans & gens de meſtier, leur donna la charge des choſes appartenantes au faict de la Religion & du ſeruice des Dieux, de pouuoir eſtre eſleus aux offices publics, d’interpreter les loix, d’enſeigner les choſes ſainctes & ſacrees : Marque de la mõnoye de Theſee.fit forger de la monnoye marquee de la figure d’vn bœuf, en memoire du Taureau de Marathon, ou du Capitaine de Minos ; ou pour inciter ſes citoyens à s’adonner au labourage. En vn mot, ce gouuernement populaire inſtitué par Theſee à Athenes, dura iuſqu’à ce que Piſiſtrate opprimant la liberté de la choſe publique, ſe fit par ſon beau dire donner le tiltre de Roy. Il inſtitua les ieux Iſthmiques, comme nous auons dit en ſon lieu. Voyage de Theſee en Mer Majour.Quant au voyage qu’il fit en mer Majour, les autheurs le content fort diuerſement. Les vns diſent qu’il y alla auec Hercule contre les Amazones ; & que pour honorer ſa vertu Hercule luy donna Antiope Royne des Amazones. Les autres ſouſtiennent qu’il y fit vn voyage à part apres celuy d’Hercule, & qu’il y print ceſte Amazone priſonniere. Les autres eſcriuent qu’il l’emmena par tromperie & par ſurpriſe, pource que les Amazones aymans naturellement les hommes, ne s’enfuyrent point quand elles le virent aborder en leur pays ; mais luy enuoyerent des preſens ; & qu’il conuia celle qui les luy apporta, d’entrer en ſon nauire : mais que ſi toſt qu’elle y fut entree, il fit mettre la voile au vent, & ainſi l’emmena. Guerre de Theſee contre les Amazones.Quoy que ſoit, il eſt bien certain que les Amazones entrerent vne fois auec vne puiſſante armee dedans la Grece, & ayans paſſé le bras de mer qui s’appelle Boſphore Cimmerien, ſe vindrent camper dedans l’enceinte de la ville meſme, en vn lieu qui pour ceſte cauſe fut nommé Amazonion. Theſee d’autre coſté leua autant de troupes qu’il pût, tant de la ville que des lieux circonuoiſins, & leur dõna la bataille, en laquelle dés la premiere rencontre les Atheniens furent viuement repouſſez : mais en fin ils rembarrerent leur pointe droite iuſques dans leur camp, en tuerent grand nombre, & mirent le reſte en route. Femmes de Theſee legitimes rauies.Les autres diſent que cette guerre ayant duré quatre mois, fut terminee par appoinctement faict entr’eux par le moyen d’Hippolyte, que les autres nõment Antiope, qu’il auoit eſpouſee : toutefois aucuns diſent qu’elle fut tuee en combattant du coſté de Theſee, par vne autre nommee Molpadie. Les tombeaux des Amazones qui ſe voyoient iadis autour d’Athenes, font foy de ce ſiege & de cette bataille, D’autres eſcriuent qu’elles entreprindrent cette guerre pour venger le tort qu’il faiſoit à leur Royne Antiope, en la repudiant pour eſpouſer Phedre fille de Minos. Mais la verité eſt qu’aprés la mort d’Antiope il eſpouſa Phedre, ayant deſia eu d’Antiope vn fils nommé Hippolyte, que Pindare appelle Demophon. On trouue pluſieurs contes touchant les mariages de Theſee, dont les commencemens n’ont point eſté honneſtes, ny les iſſuës heureuſes. Il rauit Anaxo Trœzenienne ; & aprés auoir tué Sinnis & Cercyon, il prit à force leurs filles. Il eſpouſa auſſi Peribœe mere d’Aiax, puis Pherebœe & Ioppe fille d’Iphicle. Il abandonna laſchement (au moins on l’en blaſme) Ariadne pour l’amour d’Æiglé fille de Panopee. Il rauit Antiope : puis voulant eſpouſer Phedre, craignant que ſon fils Hippolyte ne gourmandaſt les enfans qu’il pourroit auoir d’elle, on dit qu’il l’enuoya à ſon ayeul Pithee. Ce qu’il fit, affin qu’il fut nourry prés de luy, & qu’il le fiſt ſucceſſeur de ſon Royaume. Puis ayant occis Pallas & ſes enfans, pource qu’ils vouloient remuer meſnage & troubler l’Eſtat, il s’en alla à Trœzene pour s’en purger ; où Phedre vid premierement Hippolyte ; Liu. 2. ch. 8.& dés cette premiere veuë s’eſtant amourachee de luy, s’enſuiuirent les piteuſes aduantures d’Hippolyte, que nous auons amplement deſcriptes ailleurs. Helene rauie par Theſee.Finalement il rauit Helene à Aphidne place d’Attique, que Caſtor & Pollux reuenus de la pourſuite de Theſee & recouſſe de leur ſœur, raſerent, comme dit Strabon au 9. liure. Ce rauiſſement par luy fait en l’aage de cinquante ans, remplit de guerre toute la prouince d’Attique, & fut en fin cauſe qu’il luy fallut abandonner ſon pays : & au bout de cela le fit mourir, comme nous dirons tantoſt. Bref recueil des proüeſſes de Theſee.Il fut au demeurant ſi valeureux & magnanime, que beaucoup de preux & vaillans perſonnages l’eurent pour coadiuteur en pluſieurs beaux & grands exploits d’armes. Il ſe trouua en l’aſſemblee du Sanglier de Calydon : il aida au Roy Adraſte à recouurer les corps de ceux qui eſtoient morts en la bataille deuant Thebes : il fut au voyage de la Colchide auec Iaſon : il ſe trouua à la bataille des Lapithes contre les Centaures aux nopces de Pirithoüs. Et d’autant que ceſte paire d’amis eſt nombree entre ceux qui ont iuré & entretenu vne amitié inuiolable entr’eux, il faut ſçauoir par quel moyen ils s’allierent enſemble d’vne ſi eſtroitte amitié. Subiet de l’amitié contractee entre Theſee & Pirithe.La renommee de la vaillance de Theſee eſtoit fort eſpanduë par toute la Grece, lors que Pirithoüs la voulant cognoiſtre par experience, alla exprez courir ſes terres, & emmena quelques aumailles qui eſtoient à luy, au territoire de Marathon. Theſee en ayant aduis, alla ſoudain en armes à la recouſſe. Pirithe en eſtant aduerty ne s’enfuit point, ains retourna tout court au deuant de luy : & incontinent qu’ils s’entreuirent, ils furent tous eſtonnez de la beauté & hardieſſe l’vn de l’autre, tellement qu’ils n’eurent point enuie de combattre : ains Pirithe tendant le premier la main à Theſee, luy dit, qu’il le faiſoit luy meſme iuge du dommage qu’il pouuoit auoir receu de cette ſienne courſe, & que volontiers il en payeroit l’amende telle qu’il luy plairoit taxer. Theſee adonc luy quitta non ſeulement tout ce deſdommagement, mais dauantage le conuia à vouloir eſtre ſon amy & ſon frere d’armes. Ainſi iurerent-ils ſur le champ amitié fraternelle. Depuis laquelle iuree entr’eux, Pirithe eſpouſa Deidame, & enuoya prier Theſee de venir à ſes nopces, viſiter ſon pays & faire bonne chere auec les Lapithes : là où les Centaures enyurez firent des inſolences Chap. 4. de ce liu.& receurent le chaſtiment que nous auons cy-deſſus declaré. Rauiſſement d’Helene.Quant au rauiſſement d’Helene, voicy comme la plus grand’part des autheurs le content. Theſee & Pirithoüs s’en allerent enſemble à Lacedemone, où ils rauirent Helene fort ieune encore, ainſi comme elle dançoit au Temple de Diane, & s’enfuirent à tout. Et comme ils furent hors de la Moree, ils accorderent entr’eux de tirer au ſort à qui des deux elle demeureroit, à la charge que celuy auquel elle eſcherroit, l’auroit pour ſa femme ; mais qu’il ſeroit auſſi tenu d’aider à ſon compagnon à en recouurer vne autre. Le ſort la donna à Theſee : qui l’emporta en la ville d’Aphidne ; pource qu’elle n’eſtoit pas encore mariable, & y faiſant venir ſa mere Æthre pour la gouuerner, les bailla en garde à vn ſien amy nommé Aphidne, auquel il recommanda de la garder ſi ſoigneuſement & ſi ſecrettement que perſonne n’en ſceuſt rien. D’autres adiouſtent qu’Helene recouuree par ſes freres d’entre les mains de Theſee, comme elle ſe retiroit à Lacetemone, accoucha dans Argos, enceinte de la ſemence de Theſee, où elle fit baſtir vn magnifique Temple à Lucine : combien qu’Ouide en l’Epiſtre d’Helene à Pâris, diſe que Theſee ne luy oſta point ſa virginité, comme ces vers le demonſtrent :

Sçauoir-mon ſi d’autant qu’vn Heros de la race De Neptun prit vn iour de me rauir l’audace, Il penſe qu’on me puiſſe enleuer par deux fois ? Certes de ce meffaict coulpable ie ſerois, S’il m’auoit engeolee, ou bien par fine eſmorce Atrapé mon amour : mais puis qu’il m’eut de force, Il ne tira de moy ſinon qu’vn non vouloir. Si ne peut-il brauer qu’il ait eu ce pouuoir, Qu’il ait eu ce credit, d’obtenir iouiſſance, Par ſon rapt, du doux fruit qu’il auoit eſperance. I’en reuins n’ayant eu que la peur & l’eſmoy, Cét outrageux tira quelque baiſer de moy. Ouy, mais baiſers rauis maugré moy par contrainte, Il ne m’a iamais veu de ſon amour eſprainte, Et ne ſe peut vanter qu’il ait onc obtenus Pour ſa flame aſſouuir, aucuns faicts de Venus.

Ce que deſſus a quelque apparence de vérité : mais ce qui ſuit de leur deſcente aux enfers pour enleuer Proſerpine, eſt tres-fabuleux. Deſcente de Theſee & Pirithe aux enfersOn dit donc que ſuiuant leur compromis ayans ouy tant de recit de l’excellente beauté de Proſerpine, ils prindrent reſolution de deſcendre aux enfers, où eſtans arriuez, bien las de la longueur du chemin qu’ils auoient faict, ils ſe repoferent ſur vne roche, à laquelle ils demeurerent tellement attachez, que iamais ils n’en ſceurent partir, iuſqu’à tant qu’Hercule y abordant pour emmener Cerbere, deliura Theſee. Mais la verité du faict eſt qu’ils s’en allerent enſemble pour rauir la fille d’Ædonee Roy des Moloſſiens, lequel ſe ſurnommoit Pluton ; ſa femme, Cerés ; ſa fille Proſerpine ; & vn tres-dangereux chien qu’il nourriſſoit, Cerbere (ſelon que ceſte Prouince faiſant partie de l’Epire, aujourd’huy Albanie, produiſoit iadis de merueilleuſement gros chiens qu’ils appelloient Moloſſes, du nom des habitans meſmes, que nous nommons communément maſtins de cour, & dogues d’vn mot Anglois) contre lequel il faiſoit combattre ceux qui venoient demander ſa fille en mariage, promettant la donner à celuy qui demeureroit vainqueur. Mais eſtant lors auerty que Pirithoüs eſtoit venu, non pour requerir ſa fille en mariage, ains pour la rauir, il le fit incontinent defaire par ſon chien, comme chef de l’entrepriſe ; & ſerrer Theſee en eſtroite priſon, comme ayant ſeulement accompagné ſon amy, où il demeura iuſqu’à tant qu’Ædonce feſtoyant vn iour Hercule comme il paſſoit par ſon païs, il luy fit le diſcours comme Theſee & Pirithe eſtoient venus pour luy rauir ſa fille, & comme eſtans deſcouuers ils en auoient eſté punis. Theſee deliuré à la requeſte d’Hercule.Hercule fut bien deſplaiſant d’entendre que l’vn eſtoit deſia mort, & l’autre en dãger de mourir, lequel il pria Ædonee de vouloir laſcher pour l’amour de luy : ce qu’il luy octroya. Durant la priſon de Theſee ſuruint la guerre des Tyndarides, Caſtor & Pollux enfans de Tyndare, leſquels vindrent à main armee contre la ville d’Athenes redemandans leur ſœur rauie par Theſee : auſquels les Atheniens firent reſponſe qu’ils ne ſçauoient où elle auoit eſté laiſſee. Attique rauagee par les Tyndarides.Adonc ſe mirent les freres à faire la guerre à bon eſcient, & rauager tout le pays, excepté l’Academie, lieu plaiſant & couuert d’vn frais ombrage, diſtant de la ville d’enuiron mille pas, renommé pour la natiuité de Platon, où depuis il tint ſon eſchole ſi celebree par les Anciens autheurs. On dit qu’ils eſpargnerent ceſte place pour l’amour d’vn nommé Academe, qui leur deſcouurit que leur ſœur eſtoit recelee en la ville d’Aphidnes. Mais ceux qui ſçauent tres-bien que les Grecs par leur vanité & grande preſomption ont touſiours obſcurcy les Antiquitez Hebraïques, voire de toutes autres nations pour ſe les attribuer, prouuent que l’Academie fut ainſi nommee du nom de Cadme Phœnicien (la Phœnice eſt voiſine de la Iudee) qui de ſon temps inſtaura en toute la Grece l’eſtude des lettres & ſciences liberales. Quand les Tyndarides eurent leur ſœur, ils la remmenerent à Lacedæmone, & prindrent Æthre priſonniere, laquelle fut depuis emmenee à Troye lors que Pâris rauit Helene, ſelon le teſmoignage d’Homere en ces vers :

Aethra la fille à Pithee le vieux, Et Clymené auec elle aux beaux yeux.

Troubles dãs Athenes.Cette Clymené eſtoit Damoiſelle d’Helene, participant à ſes conſeils, meſſagere & entremetteuſe de ſes larcins amoureux. Theſee deliuré de ſa captiuité retourna à Athenes, où il trouua l’Eſtat bien brouillé par les menees & prattiques d’vn Meneſthee, fils de Pelee, qui fut fils d’Ornee, qui fut fils d’Erechthee en ſon viuant Seigneur de ce pays-là. Ce Meneſthee, deſcendu du vray & legitime ſang Royal, auoit en l’abſence de Theſee flatté ſi bien le peuple, & par belles & attrayantes paroles gaigné la grace de la commune ; que par meſme artifice il irrita contre Theſee les principaux de la ville, qui ia de longue main s’ennuyoient de luy. Il leur auoit mis en auant qu’il auoit oſté à chacun d’eux leurs Royautez & ſeigneuries, & les auoit ainſi renfermez dedans la cloſture d’vne ville, affin de les pouuoir mieux aſſeruir & aſſubiectir de tout poinct à ſa volonté. Quant au menu peuple, il l’auoit auſſi mutiné, en luy donnant à entendre, que ce n’eſtoit qu’abus & ſonge, de la liberté qu’on leur auoit promiſe : mais au contraire qu’ils auoient realement & de faict eſté priuez de leurs propres maiſons, de leurs Temples & lieux de leurs naiſſances, à fin qu’au lieu de pluſieurs bons & naturels Seigneurs qu’ils ſouloient auoir auparauant, ils fuſſent contraints de ſeruir à vn ſeul maiſtre & ſeigneur eſtranger. Raiſons aſſez ſuffiſantes pour eſmouuoir vn peuple de ſon naturel aſſez enclin à ſedition : tellement qu’arriué à Athenes, & voulant commander & ordonner comme il auoit accouſtumé, il ſe trouua ſi embrouïllé de diuiſions & partialitez ciuiles, à cauſe que ceux qui le haiſſoient de long temps, auoient adiouſté à leur haine ancienne le meſpris de ne le craindre plus ; & le commun populaire eſtoit deuenu ſi corrompu que là où il ſouloit auparauant faire, ſans mot dire, ne repliquer au contraire, tout ce qui luy eſtoit commandé, alors il vouloit eſtre obey & flatté. Au commencemẽt Theſee ſe fit acroire qu’il pourroit vſer de force : mais il fut contraint par les brigues & menees de ſes aduerſaires, de s’en deporter : & à la fin n’eſperant plus que ſes affaires ſe portaſſent iamais comme il deſiroit, il enuoya ſecrettement ſes enfans en l’iſle d’Eubœe à Ephenor fils de Chalcode : Contraignent Theſee de ſe retirer à Scyre.& luy, aprés auoir fait pluſieurs imprecations & maledictions contre les Atheniens dedans le bourg de Garget, monta ſur mer, & s’en alla en l’iſle de Scyros, où il auoit des heritages, & y penſoit auoir auſſi des amis. Lycomede eſtoit pour lors Roy de l’iſle ; auquel Theſee demanda ſes terres, comme ayant intention de s’y habituer : combien que les autres diſent qu’il luy demandoit ayde contre les Atheniens. Lycomede, fuſt ou pource qu’il redoutaſt la renommee d’vn ſi grand perſonnage, ou pource qu’il vouluſt gratifier à Meneſthee, le mena ſur de hauts rochers, feignant que c’eſtoit pour luy montrer de là ſes terres : mais quand il y fut, il le precipita du haut en bas, & le fit ainſi malheureuſement mourir. Piteuſe mort d’iceluy.Les autres diſent qu’il tumba de luy-meſme par cas de meſchef, en ſe proumenant vn iour aprés ſouper, ainſi qu’il auoit accouſtumé. D’autres encore ſouſtiennent que Lycomede le fit traitreuſement aſſaſſiner par les habitans de l’iſle, qui neantmoins luy auoient faict très-bonne reception. Alors Meneſthee demeura paiſible Roy d’Athenes, & les enfans de Theſee, comme perſonnes priuees, ſuiuirent Ephenor en la guerre de Troye, mais aprés la mort de Meneſthee, qui mourut en ce voyage, ils s’en retournerent à Athenes, & recouurerent le Royaume. Theſee deifie.Depuis la mort de Theſee les Atheniens eurent pluſieurs occaſions de le reuerer comme demi-Dieu : car en la bataille de Marathon pluſieurs penferent auoir veu ſon image en armes, combatant contre les Barbares : & depuis les guerres Medoiſes, ils eurent auertiſſement par la Religieuſe Pythie de retirer les os de Theſee, & les mettre en lieu honorable pour les garder religieuſement. Mais ils n’en ſceurent iamais auoir nouuelles, iuſqu’à ce que Cimon ayant pris l’iſle de Scyros, ſe ſouuenant de cette ancienne prophetie, ſe mit en deuoir de s’informer de la ſepulture de Theſee : mais les Scyriens ou par malice ou par ignorance ne la luy voulurent enſeigner. Os de Theſee mitaculeuſemẽt recouurez.En fin comme il la cerchoit, il apperceut de bon-heur vn Aigle qui frappoit du bec & gratoit des griffes en vn endroit vn peu releué, ſi luy veint incontinent en penſee de faire foüiller en ce lieu ; là où l’on trouua le tumbeau d’vn grand corps, Les armes des Anciens Heros eſtoient d’airin.auec la pointe d’vne lance qui eſtoit d’airin, & vne eſpee de meſme, leſquelles choſes furent toutes portees à Athenes par Cimon ſur la galere capitaineſſe, que les Atheniens receurent à grand’ioye, auec proceſſions & Sacrifices magnifiques inſtituez à ſon honneur au huictieſme iour de chaſque mois : mais le plus grand & le plus ſolemnel fut eſtabli au 8. d’Octobre, parce qu’en tel iour il retourna de Candie auec les autres ieunes enfans d’Athenes. Voyla les principaux & les plus memorables chefs concernans les proüeſſes & actions de Theſee, plus veritables que fabuleux. Pourquoy Theſee fut dict fils de Neptun.Or il fut dict fils de Neptun, d’autant que les anciens appelloient fils de Neptun les preux & vaillans perſonnages, qui ſembloient auoir en leur valeur & vertu quelque choſe plus qu’humaine, & ceux auſſi auſquels leurs entrepriſes ſur mer auoient heureuſement ſuccedé, comme ainſi fuſt qu’ils n’euſſent aucun Dieu ne plus prompt ny plus felon auquel ils peuſſent rapporter les exploits de tels perſonnages. La renommee de ſes vaillances a eſté hault-loüee par pluſieurs auteurs, d’autant que ſe façonnant à l’imitation d’Hercule ; il a laiſſé beaucoup de preuues & de teſmoignages de ſa vertu, effaçant la memoire de tant de cruels & barbares tyrans, & mettant à mort tant de voleurs & autres tels mal-faiſans. Car il ne ſe peult faire que les beaux & genereux faits auec vertu ſoiẽt defraudez des iuſtes loüanges & tiltres honorables qu’ils meritent de trouuer és labeurs de ceux qui font profeſſion d’eſcripre : par leſquels ils aiguiſent infiniment les cœurs aſſis en bon lieu à ſuiure & imiter la vertu des hommes illuſtres. Que ſi l’on taiſt & ſupprime les geſtes de ceux qui touſiours bien-faiſans en de bons affaires ont acquis de la reputation ; il faut qu’au lieu de la vertu, la pareſſe, la faineantiſe, & la coüardiſe eſtabliſſent là ſon regne. Mais pourquoy eſt-ce qu’on nous chante tant la forme de ce Labyrinthe, tant de tours & deſtours deſquels il eſtoit compoſé ſans qu’on s’en peuſt depeſtrer ? & pourquoy nous bat-on les oreilles de tant de diſcours touchant le Minotaure ? Les anciens ont-ils point voulu empraindre és cœurs de leur poſterité quelque terreur qui les effraiaſt, veu qu’ils n’ont rien eſcript dont on ne puiſſe tirer quelque proufit pour l’amandement des mœurs & inſtitution de la vie humaine ?

Expoſition du Labyrinthe.Par ce Labyrinthe ils n’ont entendu autre choſe, ſinon que la vie de l’homme eſt pleine de perplexité, & empeſtree d’vne infinité de bourraſques, l’vne deſquelles en engendre & traine quãt & ſoy touſiours d’autres plus griefues & faſcheuſes ; dont perſonne ne ſe peut deſueloper qu’auec vne ſinguliere prudence & grandeur de courage. Or cela ne touche pas ſeulement ceux qui menent vne vie priuee : mais beaucoup plus les Magiſtrats, l’auarice & ambition des hommes : toutes leſquelles choſes ſont embroüillees de terribles tempeſtes d’eſprit. Que ſi les gens de bien manioient auecque prudence les affaires d’vn Eſtat, pluſtoſt qu’vn tas d’ambitieux bruſlans d’auarice & de toutes ſortes de vices, la plus grand’part des troubles qui affligent la vie humaine ceſſeroient : d’autant qu’il n’y a rien tant à craindre, ne ſi difficile, ne ſi laborieux que par vertu l’on ne puiſſe ſurmonter. C’eſt pourquoy les anciens auteurs font tant de contes de Theſee. Car il ne ſe pût deſpeſtrer du Labyrinthe ſans l’art de Dedale, c’eſt à dire, ſans quelque diuinité & excellence d’eſprit. Iſſuë des luxurieux.Mais d’autant qu’il eſt plus malaiſé de combattre les voluptez que les difficultez & œuures de prix, & que pluſieurs aprez auoir dompté, voire deffaict grand nombre de monſtres hideux, & deuoré quantité de grands dangers, ſe ſont laiſſez tellement enlacer aux plaiſirs de leur chair, qu’ils ſe ſont veus preſts d’y laiſſer la vie : C’eſt pour ceſte cauſe qu’ils diſent que Theſee rauit pluſieurs femmes, pour l’amour deſquelles il a beaucoup ſouffert & enduré de griefs maux, comme ainſi ſoit qu’à peine ſe pût-il ſauuer de la violence des freres d’Helene, & que les Centaures faillirent à l’accabler, & que deſcendu aux enfers il n’en put ſortir que par l’aſſiſtance d’Hercule. Car auec vne fermeſſe de nerfs & force incomparable de corps on void ordinairement conioinct vn appetit desbordé & inclination à Venus, qui a beſoing d’eſtre bridee par temperance & moderation d’eſprit. Toutefois quelques vns taſchent de verifier cette deſcente aux Enfers par le diſcours que nous en auons faict cy-deſſus. Ainſi la recitent Zezes en l’hiſtoire 51. de la 2. Chil. & Plutaque en la vie de Theſee. Pauſanias en l’hiſtoire d’Attique, dit que ces deux icy n’allerent pas chez Ædonce Roy des Theſprotiens & des Moloſſiens, par dol ou fraude, pour luy enleuer ſa fille : mais que Pirithe extremement deſireux de l’auoir pour femme, y alla en armes auec Theſee, où perdant la plus grande partie de ſon armee il fut tué luy meſme en combatant, & Theſee mené priſonnier à Cithyre. C’eſt l’iſſuë que recoiuent preſque tous tels actes laſcifs & deſordõnez. Or paſſons à Teree.