Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 11 : De Teree Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Teree.

CHAPITRE XI.

Exemple ſingulier de la vengeance diuine contre les inceſtueux & laſcifs.TEREE fils de Mars & d’vne Nymphe du lac ou eſtang de Biſton en Thrace, Roy de Thrace & de la Phocide, fut auſſi tres griefuement chaſtié pour s’eſtre trop immoderément laiſſé tranſporter à ſes plaiſirs voluptueux, comme ayant eſté contraint non ſeulement de s’enfuir de ſon Royaume, mais auſſi de quitter ſa figure humaine pour prendre celle d’vn oiſeau. Il auoit eſpouſé Progné fille de Pandion Roy d’Athenes, & de Zeuxippe. Car aprés la fondation d’Athenes, le premier qui y regna fut Actee, auquel ſucceda Cecrops, qui eſpouſa la fille d’Actee, & eut d’elle Herſe, Pandroſe, & Anglaure filles, & vn fils Eriſichthon, qui mourut deuant ſon père : aprés lequel regna Cranaus, puis Erechthee, puis Pandion ſon fils. Or le bruit courut long temps entre les Phociens, ſelon le teſmoignage de Pauſanias en l’hiſtoire de la Phocide, que Philomele auec ſa ſœur Progné, voire Teree meſme & ſon petit Itys auoient eſté muez en oiſeaux. Voicy comme l’on conte cette Metamorphoſe. Progné ayant demeuré cinq ans auec le Roy Teree, vn iour entre autres luy fit entendre qu’elle deſiroit extremement voir ſa ſœur, & pourtant le ſupplia tres-humblement de deux choſes l’vne ; ou permettre qu’elle fiſt vn voyage à Athènes ; ou que luy meſme allaſt viſiter le Roy Pandion ſon pere, & fiſt tant enuers luy qu’il la laiſſaſt venir en Thrace ſe recreer auec elle pour quelque temps. Teree luy fit reſponſe, qu’il aimoit mieux l’aller querir pour la feſtoyer plus à ſon aiſe. Et de faict commanda qu’on appreſtaſt des nauires & toutes autres choſes neceſſaires pour le voyage, & peu de iours aprés fit voile vers Athenes. Puis comme il eſtoit ſur ſon partement, pria Pandion ſon beau-pere, de permettre à ſa fille Philomele de s’embarquer auec luy, & venir viſiter ſa ſœur Progné. Ce qu’il obtint à peu de prieres de Pandion, qui penſoit auoir pour gendre vn homme de bien, auquel il peuſt aſſeurément commettre ſa fille. Mais à peine auoit-il enuiſagé l’infante, qu’il s’en eſtoit amouraché : & dés lors auoit proietté de luy faire vn traict duquel perſonne ne ſe doutoit. Toutesfois il ſe retint iuſqu’à ce qu’il fuſt arriué à Daulis, ville ſituee vers la montagne de Parnaſſe : où la prenant par la main, l’emmena à l’eſcart (aucuns diſent dans des eſtables) ſur laquelle quelque reſiſtance que fit la ieune Princeſſe à cet outrageux & violent beau-frere, il executa par force ſa meſchante & damnable deliberation. Puis la voyant eſpleuree, & s’arrachant les cheueux, de peur qu’elle ne deſcouuriſt à ſa ſœur ny à autre vn ſi vilain, ſi proditoire & maudit acte, luy couppa la langue, & retournant vers ſa femme, luy fit accroire que Philomele eſtoit morte en chemin, n’ayant peu ſupporter l’air de la marine. Ce qu’elle creut aiſément, conſideré le dueil ſimulé qu’il en menoit. Cependant il l’auoit laiſſee priſonniere dans vn bois en la garde de gens à ce commis, auec defenſes expreſſes ſur peine de la vie, de la laiſſer eſchapper, ny d’en parler aucunement, là où elle fut vn an, durant lequel elle trouua moyen de recouurer de la gaſe ou caneuas, & ſur iceluy ouuragea en ſoye cramoiſie & blanche l’iniure que Teree luy auoit faicte (autres diſent qu’elle l’eſcriuit de ſon ſang) & pria par ſignes vne bonne femme de porter ceſte piece à la Royne ſa ſœur. Grande diſsimulation de Progné pour venger l’iniure faite à ſa ſœur.Progné ces nouuelles ouyes diſſimula pour l’heure ſon maltalent, & en remit la vengeance iuſques au iour des Orgies, feſte triennale de Bacchus, que les Dames de Thrace ſolemniſoient de nuict, auec grand bruit de flutes, hault-bois & inſtrumens d’airain, dont elles faiſoient vn eſtrange chariuary. Parmy ce tintamarre Progné ſortit de ſon Palais Royal, ſuiuie de quantité de Dames, tant de ſa Cour que d’autres aſſiſtans à ce Sacrifice ſolemnel, armees ſelon la couſtume des Bacchantes, de jauelines entortillees de fueillages de vignes & de hierre, dont elles portoient auſſi des chappeaux ſur leur teſte. Philomele retiree de priſon.Auec cet equipage elle s’en alla dans le bois ou ſa ſœur eſtoit detenuë priſonniere, & contrefaiſant la furieuſe à la mode des Bacchantes, enfonça la porte de ſa priſon, donna vne ſemblable jaueline à ſa ſœur, luy couurit le viſage de pampre & d’hierre, & l’emmena quand-&-ſoy, habillee en Bacchante. Quand elles furent à la Cour, & qu’elles eurent repris leurs ornemens ordinaires, s’entr’embraſſans d’affection tendre, elles ietterent vn ruiſſeau de pleurs, de regrets, & de lamentations : mais comme l’vne ne pouuoit exprimer ſon mal que par ſignes, l’autre comme forcenee & ne reſpirant autre choſe que menaces & que vengeance :

Il ne faut pas vſer icy de larmes (ce dict elle) Pour ſe vanger, mais d’horribles alarmes, De glaiue et fer : & ſi peux inuenter Choſe qui fer puiſſe encor ſurmonter. Toute vangeance, ô Sœur, en moy s’imprime, Et preſte ſuis d’executer tout crime, Ou de bruſler tout ce palais Royal, Et mettre au feu l’inuenteur deſloyal, Ayant oſé contre toy tant meſprendre. Ou bien en main le fer & glaiue prendre, Pour rudement la langue luy trancher ; Ou pour les yeux felons luy arrache ; Ou luy raſer ce vil membre impudique Qui t’a forcé, ma Sœur vierge pudique : Ou mille coups de mon glaiue tranchant Feront iſſuë à ſon eſprit meſchant C’eſt choſe grand’ du mal que ie prepare ; Mais quel il eſt encore ſuis ignare.

Comme Progné tenoit ce diſcours, voicy venir ſon pouppelet & fils vnique Itys, qui d’vne infantine & riante façon luy tendoit les deux bras, deſirant auec vne gentile contenance & plaiſans petits propos ſe ietter à ſon col, & la baiſer & rebaiſer. Amour filiale poſtpoſee par Progné à l’outrage faict à ſa ſœur.Mais elle qui auoit deſia conceu quelque enorme cruauté contre ce ioly petit enfant, ne tint conte de toutes ſes careſſes filiales : toutefois quelque compunction maternelle la combatoit encore, lors que deſtournant ſa veuë de deſſus ſon fils, elle la ietta ſur ſa dolente Sœur, & conſiderant l’outrage à elle faict par celuy qui deuoit eſtre le premier defenſeur de ſa chaſteté ; & que d’autre coſté elle n’auoit plus de moyen de prononcer ce tant amiable mot de Sœur, qu’elle ſouloit ouyr de ſa mieux-aymee : ces conſiderations feminines la mirent de tout point en rage deſeſperee. Itys tué par ſa mere.Progné prit donc ſon enfant, & de furie l’emporta en vn recoing à l’eſcart, où elle luy paſſa cruellement vne eſpee à trauers le ventre : puis Philomele acheuant luy couppa la gorge, & le mit en pieces, qu’elles firent partie boüillir, partie roſtir. Or eſtoit la couſtume du pays qu’en tel iour la Royne bãquetoit auec le Roy ſeul à ſeul. Seruy deuant ſon pere Teree.Elle luy ſeruit donc les mẽbres deſguiſez de ſon fils, duquel trouuant la chair delicate, il en mangea de bon appetit, & ſe repaiſſant de ſi piteuſe viande, commanda qu’on luy fiſt venir ſon fils Itys, auquel Progné reſpondit qu’il auoit là ce qu’il demandoit. Puis regardant de tous coſtez & ne le voyant point, il commanda derechef qu’on le luy ame- naſt. Dõt s’enſuiuent quatre metamorphosſes.Adonc Philomele ſortit toute deſcheuelee du lieu où elle eſtoit cachee, & luy ietta à la teſte, la teſte de ſon Itys encore toute ſaigneuſe, auec les extremitez de ſes membres. Ce que voyant Teree, il ſe leua de table, & mit la main à l’eſpee pour vouloir venger la mort de ſon fils : mais comme il couroit après, Progné par la volonté des Dieux fut tranſmuee en Arondelle, afin qu’elle ſe peuſt plus legerement ſauuer ; Teree la pourſuiuant, en Huppe, qui pour n’auoir l’aile ſi legere, ne la pût atteindre : Philomele en Roſſignol, Itys en Phaiſan. Tout cecy, dit Strabon au 9. liure, auint prés de Daulis, petite ville en Thrace. Virgile en l’Eclogue de Silene explique briefuement cette Fable :

—ou comme il raconta Le transformé Teré, & quels mets appreſta, Quels preſens Philomele, & de quelle volee, Elle prit aux deſerts ſa fuite deſolee.

Depuis les Poëtes dirent qu’Aëdon, ou Philomele, ou le Roſſignol, c’eſt à dire Philomele transformee, hante és bois, où par de continuelles lamentations & des chants plaintifs elle deſplore l’outrage que Teree luy fit, qu’elle ne pouuoit exprimer lors qu’elle eſtoit deſpourueuë de langue. Ædon mueé en Chardõneret.Toutefois les autres cõtent cecy d’Aëdon, femme du Roy Zethe, frere d’Amphion, laquelle ayant de nuict par meſgarde tué ſon fils Ityle, penſant que ce fuſt Aman, ou Amant, fils d’Amphion (car elle portoit enuie à la femme d’Amphion, parce qu’elle auoit ſix fils) comme elle reconnut ſon erreur, ſouhaita de mourir ; mais par la miſericorde des Dieux elle fut transformee en Chardonneret, qui deſguiſant ſa voix en mille & mille fredons diuerſifiez, pleure & regrette ſon Ityle. Progné n’a depuis ceſſé de loger és maiſons, ou par ſon chant tres-ſuaue, mais plein de regrets & plaintifs elle regrette ſon fils Itys. Quant à Teree il pourſuit encore à preſent de contrefaire la parole qu’il prononçoit en demandant ſon fils qu’il ne voyoit point, diſant poû poû, c’eſt à dire, où où ? comme s’il vouloit encore dire, Où eſt mon fils Itys ?

Mythologie partie hyſtorique, partie morale.Ce ſont les contes que les Anciens nous ont faits de Teree, de ſa femme, de ſa belle-ſœur & de ſon fils ; qui ne peuuent aucunement eſtre veritables, ains comme pluſieurs autres ont eſtimé controuuez pour l’vtilité commune de toutes perſonnes. Car la loy de nature ne permet pas, & l’eſprit de l’homme n’adiouſte point de foy à ceux qui diſent qu’aucun ait eſté tout à coup tranſmué en forme ſi diuerſe de la ſienne. Que Teree ait regné en Thrace & és marches de Daulis au deſſus de Chæronee : qu’il ait eſpouſé Progné fille de Pandion & de Zeuxippe ; qu’il en ait eu vn fils nommé Itys : qu’il ait pris à force Philomele, cela n’eſt point du tout eſloigné de vérité : ny que Progné & ſa ſœur pour aſſouuir leur vengeance ayent occis & faire manger à ſon pere cet enfant : car qu’y a-il en cela qui ne puiſſe eſtre auenu ? Mais qu’ils ayent eſté tous quatre changez en oiſeaux, ce ſont bayes ; joint que le ſepulchre de Teree fut dreſſé aupres d’vn rocher qu’on appelloit la Roche de Merge, comme dit Pauſanias en l’hiſtoire d’Attique. Et parce que ces deux femmes apres auoir commis ce meurtre, ſe ſauuerent à grand’haſte dans Athènes : voyla pourquoy les Poëtes feignent que de dueil & regret de ce qu’elles auoient commis & enduré, elles furent metamorphoſees en oiſeaux. Huppe oiſeau ſale.D’auantage, pource qu’ils n’auoient point auparauant cet incident apperceu de Huppe à Daulis, ils s’imaginerent que Teree auoit eſté transfiguré en cet oiſeau : & ce auec quelque raiſon. Car il n’y a rien de plus ſale qu’vne Huppe, qui ne s’aime à rien-autant qu’à fouïller dans quelque puante & orde fiente. En outre armee d’vn long bec & pointu comme d’vn glaiue, elle tyranniſe les petits oiſelets ; & a vne creſte ployable, laquelle quand elle dreſſe & eſtend du long de ſa teſte, elle reſſemble à vn diademe. L’vne des femmes fut (diſent-ils) muee en Arondelle, l’autre en Roſſignol ; Chant de l’Arondelle & du Roſſignol, beau, mais dolent.d’autant que ces deux oiſeaux chantent d’vn air piteux & lamentable. Car la force des ſons eſt telle, que meſme ceux qui ne referent aucune voix, nous eſmeuuent neantmoins tantoſt à ioye & lieſſe, tantoſt à pitié & triſteſſe, pource qu’eſtant l’ame des hommes, ſelon la doctrine des Pythagoriens, compoſee de nombres, elle apperçoit aiſément le ſon d’vne harmonie, & eſt en moins de rien par les voix & ſons qui meſme ne ſignifient rien, mais emportent quand & eux quelque maniere de nombres, agacee par ces deux mouuemens & paſſions, de ioye & de triſteſſe. Force & vertu des nombres.Cette maniere de nombres ſert auſſi de beaucoup en l’art & faculté de bien dire ; d’autant que non ſeulement par le diſcours, mais auſſi par le ſon de la voix les eſprits autrement lourds & peſans ſont aiguillonnez, & ceux qui ſont trop bouillans & trop volages, ſont refrenez & tenus comme en arreſt. Ainſi dit-on qu’anciennement les Poëtes par vn air harmonieux de vers qu’ils chantoient, enflammoient les courages des ſoldats au combat. Mythologie morale.Mais quant à ce qui concerne les mœurs, les Anciens ont voulu par cette Fable enſeigner ce que i’ay quelquesfois dit, qu’vn homme de bien & de ſens raſſis doit plus craindre les chatouïllemens des plaiſirs charnels, que les menaces de ſes ennemis : Effects de luxure.attendu qu’il n’y a ville tant fleuriſſante, ny Royaume ſi puiſſant, ny conionction de nature ou d’amitié ſi grande, ne ſi eſtroitte ny forte garniſon, ny ſi bonne barricade, que la volupté & intemperance ne puiſſe fauſſer, voire enfoncer : comme ainſi ſoit que la laſciueté & les plaiſirs de la chair ſont ordinairement ſuiuis & accompagnez de meurtres, calamitez, banniſſemens, pauureté, & perte de biens & commoditez de la vie preſente. Voylà quant à Teree : s’enſuit Meduſe.