Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 12 : De Meduse Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Meduſe.

CHAPITRE XII.

Genealogie de Meduse.MEDUSE au cas pareil attira ſur ſoy l’ire & fureur des Dieux par ſa desbordee conuoitiſe & trop exceſſiue incontinence, telle que de ſouffrir la compagnie de Neptun, dans le temple meſme de Minerue. Pluſieurs femmes ont porté ce nom ; car l’vne des filles de Priam, & vne autre de Sthenel & de Nicippe furent ainſi nommees : mais cette tant fameuſe és eſcrits des Poëtes, comme dit Pauſanias en l’hiſtoire de Corinthe, fut fille de Phorbe, qu’on appelle auſſi Phorcis ou Phorque : qui fut ſa mere l’on ne ſçait : bien dit-on que ce fut vne Balæne, ou autre monſtre marin, que les Grecs nomment Kétos. Toutefois quelques-vns maintiennent que ce n’eſtoit pas vne beſte marine, ains la fẽme de Phorcys, qui s’appelloit Cetò, ou Cethò. Meduſe eſtoit tres-belle femme ; & entre autres graces embelliſſans le ſexe, auoit le poil blond cõme de l’or. Ses cheveux muez en serpens.Minerue fut ſi faſchee de voir ſon temple pollué, & ſa majeſté tant criminellement offenſee, que pour ne laiſſer vn ſi grand forfaict impuny, elle conuertit premierement les cheueux de Meduſe (par la beauté deſquels elle auoit tant agreé à Neptun) en ſerpens, puis luy dõna cette vertu pour la rendre odieuſe & abominable à tout le mõde, que tous ceux qui l’enuiſageroient, ſeroient transformez en pierres. Par ce moyen cõme elle tranſmuaſt pluſieurs perſonnes en rochers, & fit beaucoup de maux, ſpecialement aux habitans prés du marais de Triton ; Perſee ſuſcité pour la destruction de Meduſe.les Dieux par leur miſericorde ſuſciterent Perſee fils de Iupin & de Danaé pour l’occire ; ou pluſtoſt, comme diſent quelques-vns, Polydecte, Roy de l’iſle de Seriphe, l’vne des Cydeclades (qui auoit nourry & eſleué Perſee iuſques en aage d’homme, auquel temps ſon courage & hardieſſe cõmenca de luy eſtre ſuſpecte & mal-vouluë) l’enuoya ſous ombre de luy faire entreprẽdre vn acte digne d’eternelle loüange, pour decoller Meduſe, & luy en apporter le chef. Voyez au liu. 7. cha. 18. la vérité de cette histoire.Perſee donc ayãt receu les talonnieres des Muſes, le coutelas de Mercure fait d’vn fin diamant, courbé en façon d’vne faulx, dict Harpé ; le cabaſſet de Pluton, & le grand miroüer de Minerue qui luy ſeruoit de rondache, luy couppa la teſte tout d’vn coup, & l’emporta à Polydecte. Qui nonobſtant ne ceſſa point de le trauerſer & meſdire de luy : ce que ne pouuãt ſouffrir Perſee, il le cõuertit aprés beaucoup de patience en pierre, luy preſentant le chef de Meduſe, duquel Polydecte ne ſçauoit pas la vertu. Depuis il en fit preſent à Pallas, qui le porta touſiours placqué à ſa rondache. Voyez livre 8. chap. 26.Dionyſiocle dit que Perſee deliura Andromede garrottee contre vn rocher, & expoſee à la mercy d’vn Phyſetere, transfigurant ce monſtre en rocher, par l’exhibition de ladicte teſte. Mais Iſace allegue vn autre ſubiect de l’auenture de Meduſe : Autre ſuiect de l’auenture de Meduſe.Que Meduſe eſtant la plus belle femme qui ſe trouuaſt de ſon temps, elle ſe glorifioit principalement de ſa beauté, de ſa cheueleure, voire meſme ſe vantoit fierement de ne rien ceder à Pallas, iuſques à oſer la defier en beauté. La Deeſſe indignee de cette trop arrogante & fiere impudence, pour premiere punition de ſon meſchef luy changea ſes beaux cheueux, deſquels elle brauoit ſi fort ; en vilains & hideux ſerpens : puis-aprés deſtourna ſi bien les hommes de l’œillader, que s’il auenoit à quelqu’vn de la regarder en face, il deuenoit empierré. Mais comme grand nombre de perſonnes encouroient cet eſtrange changement : Pallas ayant pitie de l’affliction des hommes luy enuoya Perſee, & luy montra cette Gorgone en peinture à Samos. Voyez le chapitre ſuiuant.Or il faut noter que Perſee par la faueur diuine, deputé pour la mettre à mort, parce qu’elle putrefioit beaucoup de perſonnes, s’en alla deuant toute œuure trouuer Pephredon, Enyon & Dinon qu’on appelloit Phorcydes, filles de Phorcys, & ſœurs des Gorgones. Elles n’auoient qu’vn œil commun à toutes ; ſi que quand l’vne s’en vouloit ſeruir, elle l’empruntoit de celle qui l’auoit, & le fichoit en ſa teſte ; puis quand elle en auoit faict, le preſtoit à celle qui en pouuoit auoir affaire. Ainſi s’en ſeruoient-elles tour à tour. Elles n’auoient auſſi qu’vne dent commune, de laquelle elles faiſoient de meſme. Perſee donc les ſurprenant ſe ſaiſit de cet œil & de cette dent vnique dont toutes ſe ſeruoient réciproquement : & ne les leur rendit point, que premierement elles ne l’euſſent conduit vers les Nymphes qu’il cherchoit. Alors equippé comme deſſus, il fut à trauers l’air tranſporté à Tarteſſe, ville d’Eſpagne, où habitoient les Gorgones, ayans les teſtes treſſees de ſerpens eſcailleux, de grandes vilaines dents, comme les defenſes des plus grands Sangliers, des mains de fonte, des griffes acerees & crochuës, & des aiſles pour voler. Il les trouua de bonne fortune endormies, elles & leur ſerpens. Il prit donc ſon temps là deſſus, & couppa la teſte de Meduſe, la regardant à trauers le miroir ſuſdit, la teſte tournee en arriere, & Pallas luy guidant la main. Au bruit de cette execution ſes autres ſœurs, Sthenon & Euryale, eſueillees, bien dolentes d’vn ſi piteux ſpectacle, & hurlans ſe prindrent à ietter vn eſtrange ſifflement par la multitude des ſerpens qu’elles auoient au lieu de treſſes & tortis : au ſon deſquels Pallas inuenta l’vſage & la loy des fluſtes, qu’on appelloit anciennement à pluſieurs teſtes. Cheuaux & beſtes venimeuſes nees du ſang de Meduſe.Ce braue coup faict, Perſee empocha cette teſte ; & la iettant ſur ſon dos, la porta à Pallas. Du ſang qui decoula du col de Meduſe, ſaillirent tout ſoudain Chryſaor (que les autres diſent eſtre fils de Neptun & de Meduſe) & le cheual aiſlé Pegaſe : & toutes les gouttes de ſang qui en diſtillerent le long des chemins en ces de- ſerts de l’Afrique engendrerent vne infinité de toutes ſortes de ſerpens & beſtes venimeuſes, ſelon ce qu’en eſcrit Apollonius Rhodien au baſtiment d’Alexandre.Voyez liu. 6. cha. 12.Mais Zenodote Theophile au 2. liu. de ſes hiſtoires dit qu’il y auoit vn frere & vne ſœur, en l’Attique, Phalanx & Arachné ; Pallax apprit à Phalanx à manier les armes ; à Arachné, à tiſtre & beſongner aux ouurages de l’aiguille. Ces deux-cy s’oublierent tant que de coucher enſemble, & faire la beſongne de Venus : dequoy la Deeſſe fut tant offenſee, qu’elle les conuertit en ſerpens : toutefois Acuſilas dit que leur origine vient du ſang de Typhon. Chef de Meduſe fiché au bouclier de Minerue.Pallas ficha depuis ce chef de Meduſe en ſon pauois, & le porta touſiours quand elle marchoit à quelque belliqueux exploit, ſuiuant ce qu’en diſcourt Perſee au 4. des Metamorphoſes d’Ouide, ſur la fin.

Voila les contes fabuleux que les Anciens nous apprennent quant à Meduſe, laquelle eſtant ſeule mortelle entre les Gorgones, fut occiſe. Or voyons à quoy tend telle fiction. Mythologie hiſtorique.Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe accommode la mort de Meduſe à l’hiſtoire, diſant qu’elle fut fille de Phorbe, & qu’apres le decez de ſon pere, elle fut inſtallee Royne des peuples habitans vers le marais de Triton en Afrique : & qu’elle ſouloit aller à la chaſſe & à la guerre auec ſes ſubiects : Mais Perſee la rencontrant vn iour, ſuiuy d’vne bonne troupe de gens d’elite qu’il amenoit de la Moree, la ſurprit de nuict, la chargea, defit ſes troupes & la tua. Mais comme le iour venu il l’eut connuë, il fut ſi fort rauy de la beauté de cette Royne, que pour en faire montre à tout le monde, il luy coupa la teſte & l’emporta en Grece, ceux qui la voyoient, en demeuroient ſi eſtonnez, qu’on les euſt proprement iugé tranſmuez en rochers. D’autres toutefois diſent, qu’on trouue en Afrique des beſtes d’vne admirable & prodigieuſe groſſeur : & des hommes ſauuages & cruels parmy elles : que Meduſe en eſtoit l’vne, laquelle s’eſtant eſcartee de ſes compagnes, & courãt le pays bien loing, arriua vers le marais de Triton, où elle porta beaucoup de dommage aux habitans du lieu, iuſques à ce que Perſee par l’aide de Minerue l’euſt miſe à mort, d’autant que les gens de ce pays-là eſtoient ſacrez & en la protection de Minerue, nee & nourrie vers ledit marais. Mais il n’y a pas ſi grand myſtere en tout cecy, qu’il meritaſt d’eſtre tranſmis à la poſterité, s’il n’enfermoit quelque ſens plus remarquable & plus vtile.

Morale.Qu’y pouuons-nous doncques deſcouurir ? Comme ainſi ſoit que Meduſe euſt la reputation d’eſtre la plus belle femme de ſon temps, qui nous empeſchera de dire que par elle les Anciens ont entendu la volupté & le deſir des actes veneriens ? Incontinence blaſmee par la Fable de Meduſe.Car leur force eſt telle qu’ils nous font mettre en oubly le ſeruice de Dieu, la pieté, l’humanité, tout office, deuoir & proffit pour les aſſouuir, ſi nous nous laiſſons aſſeruir à leurs appetits. Item l’orgueil & temerité.Puis donc que ce faiſans les hommes deuiennent inutiles à toutes autres choſes, c’eſt à bons tiltres qu’on dit qu’elle les transformoit en rochers. Les autres attribuent cette violence de Meduſe à l’orgueil arrogance & temerité. Parquoy nous en pouuons tirer double ſens : c’eſt que par ſon incontinence elle pollua le Temple de Minerue ; & par ſa fierté oſa bien conteſter auec cette Deeſſe touchant la beauté de ſes cheueux. Car ceux qui ſe laiſſent emporter à l’orgueil & à l’inſolence ne portent aucun reſpect ny aux hommes ny aux Dieux : ils deuiennent inutiles non ſeulement pour autruy, mais auſſi pour eux-meſmes : tels ſont les effects que produiſent l’arrogance & les voluptez deſordonnees. Ainſi donc nous ſommes auertis par cette Fable à fuir l’incontinence, puis qu’elle eſt mal-vouluë des Dieux ; & meſſeante, voire de dangereux rapport aux hommes : & auſſi à ne nous enorgueillir plus que de raiſon, d’autant que Dieu, eſt vengeur de toute temerité : afin que tous biens que nous auons nous les tenions en foy & hommage de Dieu ſeul ; auquel giſt la plenitude & largeſſe de tous biens. Car ſi quelqu’vn ayant receu de la main de Dieu, beaucoup de graces & de biẽs, en deueint fier & glorieux, & le met en meſpris, il luy oſtera tout ce qu’il luy auoit donné, & le comblera d’autant de maux & de diſgraces, comme il l’auoit enrichy de biens & de graces. Ainſi en print-il à Meduſe ; car au lieu qu’elle attiroit à elle les yeux de tout le monde par la beauté de ſon teint, par la bien-ſeance de ſa taille, & par ſa belle cheuelure, ou pour mieux dire, par ſa priſtine felicité : depuis que ſa perruque fut conuertie en treſſes ſerpentines, perſonne ne la voulut plus enuiſager. Inconſtance des amis de ce mõde.La raiſon eſt que tandis que la proſperité nous rid, & que l’heur de ce monde enſle noſtre voile d’vne douce & gracieuſe aure, nous ſommes coſtoyez d’vne grande brigade d’amis & d’alliez : Mais ſi Dieu vient à changer le cours de noſtre bon-heur, & que le vent gire de pouppe en prouë, la chance n’a pas ſi toſt tourné, que tous ces beaux amis, ces tant officieux donneurs de bon-iour, & preſenteurs de ſeruices & d’amitié en paroles, nous tournent le dos, s’enuolent d’vne aile legere : & la plus-part de ceux de l’amitié deſquels nous faiſons le plus d’eſtat, s’ils paſſent deuant nous, tournent la teſte d’vn autre coſté. Ie croy donc que pour rembarrer ces vices, les Anciens ont mis en auant cette Fable de Meduſe : non pas pour les raiſons cy-deſſus alleguees. Quant à ce qu’ils diſent que Minerue diuertit les hommes du regard d’icelle, cela concerne la volupté ; veu que rien ne nous peut tant deſtourner d’elle que les ſupplices & douleurs qui en prouiennent : ce nonobſtant les hommes de leur propre nature ſont ſi inconſiderez, que quelque mal-heur qu’ils preuoyent, pourueu qu’il ſoit emmiellé de quelque volupté, ils y courent à bride abatuë. Et pourtant l’aſſiſtance de cette ſage Pallas a eſté neceſſaire, dé- peſchant Perſee fils de Iupiter pour aualer la teſte à Meduſe : c’eſt à dire pour prendre & deſtruire cette effrenee volupté. Que ſignifie le chef de Meduſe porté par MinerueCar ſi nous ne ſommes bien fournis d’enſeignemens diuins, & que Dieu ne nous aſſiſte, à peine pouuons-nous par aucun moyen nous garentir des allechemens voluptueux. On dit que Pallas attacha ceſte teſte à ſa rondache (d’autres diſent à ſon plaſtron) c’eſt pour montrer combien de frayeur la ſageſſe & bonne conduite doit à bon droit apporter aux ennemis, & pour faire paroiſtre que la force de ſageſſe eſt ſi grande, qu’elle abruue les hommes d’vne ſi plaiſante ſuauité d’eſprit, qu’elle les eſmouſſe ; par maniere de dire, & rebouſche à l’endroit de ces ioüets de fortune, que nous appellons communément Biens, qui ne ſont que pierres & bois, ſi l’on les veut comparer à l’excellence & diuinité de la ſageſſe ; car l’vn des ſinguliers effects de ſageſſe, eſt qu’elle nous fait connoiſtre que c’eſt vne grande folie à nous, de penſer trouuer aucune aſſeurance ou fermeté en choſes ſi gluantes & legeres. Diſons maintenant des Gorgones en general.