Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 13 : Des Gorgones Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Des Gorgones.

CHAPITRE XIII.

Genealogie de Gorgones.COMBIEN que toutes les Gorgones ſoient filles de meſmes pere & mere que Meduſe, à ſçauoir des Phorcys & de Cetò ; Diuiſees en deux bandes.toutefois elles ſont diſtinguees en deux rangs ou claſſes. Les vnes parce qu’elles naſquirent chenuës, furent nommees Græes, mot Grec, qui vaut autant à dire comme vieilles. Heſiode en ſa Theogonie en nomme deux, Pephredron & Enyon ; auſquelles on adioint communément Dinon. Voyez liure 7. chap. 18.Elles naſquirent en vn lieu où iamais le Soleil ny la Lune ne penetroit, & faiſoient leur demeure en Scythie, n’ayans qu’vn œil & vne dent communs à toutes, dont elles ſe ſeruoient tour à tour ſortans du logis : & de retour, les enfermoient en vn certain vaiſſeau. Auſſi dit-on qu’elles voyoient fort clair hors de leur domicile : mais dedans, point. Les Latins les appellent Lamies, femmes ſorcieres, ou pluſtoſt phantoſmes de Dæmons & malins eſprits, qui empruntans la forme & la ſemblance de belles femmes, deuoroient les enfans, les attrapans par doux attraits & blandiſſemens. Philoſtrate en la vie d’Apolloine dit que quelques-vns les appellent Larues, Lemures, & Empuſes, eſprits allans principallement de nuict, comme Loups garous, Luitons & ſemblables. Lamie concubine de Iupiter.Toutefois Duris au deuxieſme liure de l’Eſtat de Lybie, dit qu’il n’y auoit qu’vne Lamie, qui eſtoit tres-belle femme, laquelle Iupiter ayant connuë & amoureuſement embraſſee, Cruellement punie par Iunon.Iunon luy fit mourir tout ce qui naſquit d’elle : dont elle conceut tant de faſcherie & regret, qu’elle deuint non ſeulemẽt laide & difforme : mais auſſi que de rage & d’impatience pour la perte de ſes enfans, & d’enuie mortelle ſur celles qui en auoient, elle deuoroit ceux qu’elle pouuoit attraper au berceau. Elle fut appellee Lamie, à cauſe de la grandeur de ſon goſier. Neantmoins Pauſanias és Phociques eſcrit que Lamie fut fille de Neptun, & que ce fut la premiere femme qui prophetiſa, dicte par les Africains Sibylle. Au demeurant Apollodore Athenien au 2. liu. ne les nomme pas de meſme que les autres, ains Pemphradon, Erithon, Dinon Melanthe au traitté des myſteres leur adiouſte Iænon, ſuiuant Æſchyle & Heſiode. Or Perſee ayant intention de decoler Meduſe, leur oſta cet œil & cette dent commune entr’elles, & les garda iuſqu’à ce qu’elles luy euſſent enſeigné où eſtoient les Nymphes portans des chauſſures ailees. Les trois ſœurs de ces Græes s’appelloient Gorgones, c’eſt à dire hideuſes & terribles à voir ; ayans leurs teſtes entreſſees de couleuures & ſerpens eſcailleux, les dents auſſi longues que les defenſes du plus grand Sanglier qu’on peuſt trouuer : des mains de fonte, & des ailes d’or ſur le dos. Celles-cy demeuroient és derniers confins de l’Eſpagne, vers la plage Occidentale, non loin des Heſperides, ſelon le teſmoignage d’Heſiode, nous apprenant que des trois ſœurs, Meduſe ſeule eſtoit mortelle :

Aprés il engendra celles qui font leur erre Es plus loingtains quartiers de la derniere terre Du bord de l’Ocean ſous le climat nuiteux Prés des filles d’Heſper ; Meduſe d’vn piteux Deſaſtre miſe à mort, Sthenon & Euryale. Meduſe entre ces trois toute ſeule deuale. Au manoir Stygien : les autres deux n’ont peur Des abois de la mort, ny du ſiecle dompteur De chacun animal : außi ſeule Meduſe De l’amour de Neptun aux pers-cheueux abuſe.

Quelques-vns diſent qu’elles habitoient en des iſles de la mer Æthiopique qu’on appelloit Dorcades : d’autres les ont auſſi nommees Gorgades ; diſans que les Gorgones prindrent leur nom de là. Ineptie de Zezes.Zezés en la vingt-deuxieſme hiſtoire de la cinquieſme Chiliade, aſſigne à fauſſes enſeignes l’œil des Græes aux Gorgones. Car il ne ſe peut faire que Perſee ait pris cet œil aux Gorgones, & qu’il l’ait gardé iuſques à ce qu’on luy euſt enſeigné les Gorgones. Menander au liure des Myſteres dit que quelques-vns nomment auſſi Scylle entre les Gorgones. Nymphodore au troiſieſme liure de ſes hiſtoires, & Theopompe au dixſeptieſme remarquent, aucuns auoir dict que les Gorgones n’auoient pas les cheueux liez de ſerpens eſcailleux ; mais qu’elles auoient des teſtes meſmes de ſerpens eſcailleux, des dents ſemblables aux defenſes des Sangliers : chacune vn œil, des mains de fer, & des aiſles pour voler. Au lieu de ceinture elles portoient deux viperes entortillees enſemble. Elles transformoient auſſi tous ceux qu’elles enuiſageoient. Et aprés que Perſee eut decollé Meduſe, elles prindrent leur volee contre luy comme pour l’engloutir ; mais parce qu’elles ne le ſceurent voir en ſace à cauſe de l’habillement de teſte de Pluton, dont il eſtoit couuert, elles ſe retirerent ſans l’endommager. Voila ce qu’il me ſouuient auoir leu touchant les Gorgones. Gorgone animal de Lybie venimeux.Alexandre Myndien a laiſſé par eſcrit en vn traicté qu’il a faict des Iumens, que les Nomades appelloient en Lybie vn certain animal, Gorgone, reſemblant fort à des brebis ſauuages : toutefois d’autres diſent qu’il eſtoit ſemblable au veau marin. L’haleine de cette beſte eſtoit ſi violente & peſtifere, qu’elle faiſoit mourir tous les animaux qu’elle rencontroit. Elle auoit vne cheuelure pendante depuis le front iuſques ſur les yeux, & quand elle venoit à la redreſſer en croulant ſa teſte peſante pour regarder quelqu’vn, elle tuoit ceux ſur leſquels ſa veuë s’eſtendoit. Les autres eſcriuent que cela ne procedoit ny de l’effect ny de la violence de ſon haleine : mais bien de certains rayons empoiſonnez, qui naturellement partoient de ſes yeux. Athenee au 5. liu. teſmoigne que quelques troupes de C. Marius faisãt la guerre pour les Romains contre le Roy Iugurtha, voyans cet animal, penſerent que ce fuſt vne brebis ſauuage, & coururent après : mais ſoudain ils tumberent morts, d’autant que cette beſte craignant le bruit de ceux qui la pourſuiuoient, heriſſa & croula cette touffe de poil qui luy couuroit les yeux ; finalement certain nombre de cheuaux Nomades l’eſpians de loing, la tuerent à coups de fleſches & de dars, & en apporterent la peau à Marius, que toute l’armee vid à ſon aiſe : tellement qu’on la pût teſmoigner depuis eſtre telle qu’il a eſté dit cy-deſſus. Au reſte, ſoient ces Gorgones, ou femmes, ou monſtres hideux, les Poëtes les ont depuis placees parmy les autres terreurs infernales, ſeruans à la vengeance & au chaſtiment des mal-faicteurs, auſſi bien que les plus cruels animaux qu’on ait peu imaginer, quelque part qu’ils fuſſent, ſelon ce teſmoignage de Virgile :

Dedans les portes ont les Centaures & Scylles, Engeance double forme, aßis leurs domicilles, Et Briare ſon corps de cent bras redoublant, Le monſtre Lerneen ſon ſiffler horriblant, La Chimere s’armant de deuorantes flammes, La gorgonide bande, et les oiſeaux mi-femmes, Et l’effroyable forme horrible de trois corps.&c.

Mythologie morale.Quelques-vns ſont d’opinion que ces Græës chenues filles de Phorcys & de Ceto, ſoit femme, ſoit monſtre marin, ne ſont autre choſe que la connoiſſance & ſageſſe qu’on acquiert par experience. Elles n’auoient qu’vn œil commun, duquel elles ſe ſeruoient au ſortir du logis ; d’autant que la prudence n’eſt pas tant neceſſaire aux caſaniers, & qui (comme on dict) gardent les cendres de leurs foyers, qu’à ceux qui employent & conſacrent leurs moyens & vies pour le bien public. Les autres diſent qu’en cecy eſt taxee la curioſité de beaucoup de perſonnes qui ne voyent goutte és affaires de leur meſnage, & ont neantmoins les yeux fort eſueillez & ſubtils pour deſcouurir celles d’autruy. C’eſt donc à bon-droit qu’on dit ces Græes eſtre nees chenuës & de monſtres marins, & repairer en lieux non iamais eſclaircis de la lueur ny du Soleil ny de la Lune : parce qu’en matieres claires & faciles, il n’eſt point beſoing d’vne exquiſe prudence. De cette prudence, ou de ces Græes, ſont Sœurs les Gorgones, que les vns cuident eſtre les plaiſirs voluptueux ; les autres les riſques de la vie humaine, de tous leſquels perſonne ne ſe peut bonnement ſauuer ſans le conſeil des Græes. Car la raiſon & la conuoitiſe naiſſent d’vne meſme ſource, voire d’vn meſme courage. Auſſi dit-on que Perſee ne la pût defaire ſans l’aide de Pallas, l’œil des Græes, le caſque de Pluton, & le coutelas de Mercure, & qu’il en eſchappa ſain & ſauf : d’autant qu’en matieres difficiles & de conſequence, il faut premierement apporter vne ſageſſe & diſcretion, vne clair-voyance & ſubtilité, voire meſme aſtuce d’entendement, ſans leſquelles on ne fera iamais rien qui vaille : & à cecy les richeſſes apportent quelque commodité. Deſſein des anciẽs en la compoſition de cette Fable.Qu’eſt-ce donc que les Anciens vouloient dire par tels contes, pour colliger ſommairement ce diſcours ? C’eſt que la vie humaine eſt aſſaillie, voire deceuë par beaucoup de voluptez, qui nous emportent à noſtre propre ruine & deſolation ; ſi nous ne prenons garde qu’il ne nous faut pas comme gens ſtupides laiſſer fleſchir à leurs alechemens. Et parce que d’autre coſté beaucoup de dangers nous enuironnent, il faut auiſer que n’y ſuccombions, ains que les vainquions courageuſement, en toutes leſquelles choſes il nous faut ſeruir de noſtre prudence & bon auis, auec l’inuocation du nom & ayde de Dieu, qu’il n’a pas accouſtumé de refuſer à quiconque l’en requiert auec ſincerité. Ce faiſans nous eſchapperons ſains & ſaufs de tous perils, quelques grands qu’ils ſoient, & les pernicieuſes voluptez ne nous ſuborneront point. Celuy qui le fera, ſera vn autre Perſee, fils de Iupiter, c’eſt à dire amy plaiſant & agreable à Dieu. Gorgones femmes belliqueuſes en Lybie.Quelques-vns diſent qu’il y auoit iadis és frontieres de Lybie vers le Couchant, beaucoup de femmes belliqueuſes, mais principalement la race des Gorgones, auſquelles Perſee fit la guerre, qui gardans leur virginite eſtoient tenuës de porter les armes vn certain temps, lequel accomply elles ſe pouuoiẽt mettre à faire race, leurs maris leur obeyſſoient, gardoient la maiſon, & faiſoient le meſnage. Elles habitoient anciennement vers le marais de Triton en la plage Occidentale du long de la mer Æthiopique ; Defaite par Perſee.Perſee fils putatif de Iupiter les défit lors que Meduſe leur commandoit, Exterminees par Hercule.& depuis Hercule en fit faillir la race quand il planta l’vne de ſes colomnes en Lybie. Quant au marais de Triton, l’on tient que par tremblemens de terre & rauages de la mer il a eſté engoufré, comme pluſieurs autres iſles, marais & eſtangs en diuers lieux. Dailleurs, Iſace s’efforce d’accommoder cette Fable aux choſes naturelles, & dit que les Gorgones ſont filles de la mer, ainſi dictes à cauſe du bruict & du fremiſſement que font les eaux. Perſee, c’eſt à dire le Soleil, fils de Iupiter, les vient par le conſeil de Minerue trouuer, comme miniſtre & ſeruiteur de l’entendement diuin : attendu que toutes les actions de la nature ſe font ſelon la ſageſſe diuine, non en vain, ny inutilement. A cauſe de la viſteſſe de ſon mouuement on dit qu’il auoit les ſouliers ailez des Nymphes : & pource que ſa force penetre par tout, il receut vn glaiue de Mercure : mais d’autant qu’il amenuiſe & ſubtiliſe tellement les vapeurs qu’il attire à ſoy, que perſonne ne les peut diſcerner à l’œil, on dit qu’il eut l’habillement de teſte de Pluton. Ainſi doncques il occit Meduſe, qui ſeule entre ſes ſœurs eſtoit mortelle, parce qu’il attire non ſeulement la plus ſubtile & ſurnageante eau de la mer, les autres eaux ſe r’aſſeans & demeurans coyes. Ceux que Meduſe enuiſageoit eſtoient auſſi-toſt empierrez ; pource que la ſageſſe de Dieu eſt admirable : & ſi quelqu’vn pouuoit à ſon aiſe contempler la force, les actions & vertu du Soleil, il demeureroit tout eſtonné de voir choſe ſi eſmerueillable. On peut donc ſuiuant ce que nous auons diſcouru, transferer toute cette Fable à l’inſtitution de la vie humaine. Or il eſt temps de traitter des Serenes.