Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 15 : D’Orphee Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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D’Orphee.

CHAPITRE XV.

Parens d’Orphee.ORPHEE, ſelon l’opinion d’Aſclepiade de Myrlee en Bithynie, fut fils d’Apollon & de Callioppe, l’vne des Muſes. Et combien qu’on allegue diuers auis touchant ſa parenté, toutefois Virgile eſt de meſme opinion en l’Eclogue de Pollion :

Orphee & Line en vers ne pourront m’eſtonner, Bien que ſa mere à l’vn, ſon pere à l’autre encline, Calliope à Orphee, & Apollon à Line.

Menæchme dit bien qu’il fut fils d’Apollon, toutefois il ne fait nulle mention de ſa mere. Mais Apollonius au 1. liure des Argo-Nochers le fait fils d’Oeagre & de Calliope :

Or nous entonnerons ſur tous autres Orphee, Qu’à Oeagre iadis prés du mont de Pimplee Calliope engendra s’esbatant vne nuict En ſon lict coniugal d’vn amoureux deduit.

Sa perfection en l’art de Muſique.Quelques-vns veulent dire qu’il fut fils d’Oeagre & de Polymnie, les autres de Menippé, les autres de Thamyris. Il eut deux freres, Ialene & Hymenæe. Sa perfection en l’art de Musique.On luy donne la reputation d’auoir eſté ſi accomply en l’art de Muſique, & ſi parfait iouëur de luth, & autres inſtrumens à corde, que les riuieres arreſtoient leurs cours pour l’ouyr chanter, les oyſeaux y conuoloient, les beſtes meſmes les plus farouches y accouroient, les foreſts, les rochers, les vents, en ſomme toutes creatures meſmes inanimees & inſenſibles haſtoient le pas pour auoir part de ce plaiſir. Ce qu’Horace exprime en ces vers au premier liure des Carmes,

Soit du verd Helicon ſur les riues ombreuſes, ſoit ſur Pinde ou ſur Heme aux croupes froidureuſes, D’où ſans ordre ont ſuiuy Orphee aux voix nombreuſes De gré les foreſts et bois verds : Orphé tardant le cours des riuieres ſoudaines Par le maternel art, & les viſtes haleines, Des vents, faiſant bondir les grands oreillez cheſnes Au plaiſant accord de ſes nerfs.

Voicy ce qu’en dit Apollonius au premier liure :

On dit qu’à ſes accords doucement meſurez Les durs rochers eſtoient en l’oyant attirez, Les eaux tardoient leurs cours, & des fouteaux la race Qui maintenant verdit dans les confins de Thrace Le ſuiuit pas à pas, quand deſcendre il voulut Du mont Pierien, au pinſer de ſon luth.

Ouide au 10. des Metamorphoſes dit qu’Orphee ſe vid vne fois ſur la croupe d’vne montagne, tapiſſee d’vne plaiſante verdure, mais au reſte n’ayant ny arbre ny ombrage quelconque. Alors ſe mit à ioüer de ſa lyre, au chant de laquelle incontinent y creurent cheſnes, peupliers, fouſteaux, coudriers, fraiſnes, tils, aulnes, pins, ſapins, planes, aliſiers, erables, ſaules, bruyeres, hierre, myrthes, ormes, vigne, figuiers, palmiers, pommiers, poiriers, noyers, lauriers, cyprez ; en ſomme toutes autres eſpeces d’arbres. Or combien qu’il y ait eu pluſieurs Orphees, toutefois tout ce qu’ils ont faict s’attribuë à cet ancien Orphee, fils d’Oeagre, qui fut du temps d’Hercule, cent ans deuant la guerre de Troye. Orphee premier autheur d’Aſtologie entre les Grecs.Ce fut le premier entre les Grecs qui eſcriuit de l’Aſtrologie, ſelon le teſmoignage de Lucian au dialogue de l’Aſtrologie, diſant : Les Grecs n’ont rien appris en Aſtrologie, ny des Æthiopiens, ny des Ægyptiens : mais Orphee, fils de Oeagre & de Callioppe la leur a le premier de tous enſeignee : non toutefois apertement ; mais fort embroüillee & couuerte d’enigmes & d’obſcuritez, pour la rendre moins vulgaire, & par conſequent plus admirable. Il introduiſit auſſi le premier en Grece les ceremonies & myſteres de Bacchus, & inſtitua le premier les feſtes & ſolemnitez qu’on appelloit Orphiques, & ſe celebroient en vne montagne de Thebes en Bœoce, où le pere Liber naſquit, durant leſquelles il fut depuis mis en pieces par les Mænades. Il inuenta pluſieurs choſes duiſibles à la vie humaine & poly- tique, comme dit Pauſanias en l’Eſtat de Bœoce. Ses inuentionsCar il donna le preſmier ouuerture aux myſteres & ſecrets des Dieux, & de la Theologie vniuerſelle : il trouua la maniere de purger & expier les meſchans actes qu’on pouuoit auoir commis : il enſeigna par quelles ceremonies & ſeruices il falloit appaiſer les courages des Dieux courroucez, & fut autheur de pluſieurs bonnes receptes, comme il teſmoigne de luy-meſme au voyage des Argonauchers. Ses œuures.Il compoſa beaucoup de bons traittez, la perte de la pluſpart deſquels n’eſt pas petite ; comme de la mutuelle generation des elemens, de la force d’amour és choſes naturelles, de la bataille des Geans contre Iupiter, du rauiſſement & dueil de Proſerpine, des auentures de Cerés, des trauaux d’Hercule, des ceremonies & façõs de faire des Idees & Corybantes, Preſtres de Cybele ; des pierreries, des occultes reſponſes des Oracles, des Sacrifices de Venus & Minerue, du dueil des Egyptiens pour la mort d’Oſiris, & de leurs purifications ; des propheties, de l’obſeruation des deuinemens par le vol des oyſeaux, de la ſituation des veines, de l’interpretation des ſonges, & des ſignes & prodiges, de la maniere de les purifier, du mouuement & du cours des Eſtoilles, de la purification des Enfers, de la maniere d’appaiſer le courroux des Dieux : de toutes leſquelles matieres il teſmoigne au commencement de ſes Argonautiques auoir eſcrit. Il a eſté homme de ſinguliere ſageſſe, auditeur de Line, &, ſelon que ce ſiecle le pouuoit porter, bien practic és choſes diuines, comme on peut recueillir de ſi peu qui reſte de ſes œuures. Quelques-vns eſtiment qu’Orphee & Amphion ayent eſté des Mages d’Egypte. Plutaque au banquet des ſept Sages dit qu’il s’abſtint toute ſa vie de manger chair, enquoy l’enſuiuit depuis Pythagore. Ce que touche auſſi Platon au 6. des loix, où il appelle la vie Orphique, de ceux qui ſe contentoient des vegetaux, s’abſtenans de toutes choſes qui auoient vie. Or ayant par le moyen de ſes chants gaigné l’amour d’Eurydice, & icelle eſpouſee, Ariſtæe Roy d’Arcadie, premier inuenteur de l’vſage des abeilles & du miel, en deuint amoureux ? & comme il couroit après le long d’vne prairie pour l’empoigner & luy faire violence, elle ſe mit en fuitte, & rencontra d’auenture vn ſerpent caché parmy l’herbe, qui la mordit au talon, dont elle mourut. Abeilles d’Ariſtæe deſtruites pour la mort d’Eurydice.Les Nymphes pour venger cette violence d’Ariſtee, deſtruiſirent toutes ſes abeilles. Et pourtant il s’en alla implorer l’aide de Cyrene ſa mere de par Apollon, laquelle le mena vers l’Oracle de Prothee, qui ſçachant le ſujet de ſon malheur, luy commanda d’appaiſer Eurydice par Sacrifices. Recouurees.Ce que luy faiſant par vne offrande de quatre taureaux & d’autant de genices, il ſortit de ces animaux vne grand’quantité d’abeilles : par ce moyen il reſtanra ſes ruches. Quant à Orphee, prenant ſon luth il deſcendit aux Enfers, où aprés auoir chanté vne piteuſe & lamentable chanſon, il fit pleu- rer de pitié les ames des treſpaſſez : Deſcente d’Orphee aux Enfers pour la recouurance de ſa femme.puis ayant flechy Pluton & Proſerpine, ſeueres Roys des morts, il obtint par ſa douce harmonie non ſeulement de retourner au monde aprés auoir veu ſon Eurydice, mais auſſi de la remmener quant & luy : toutefois à telle condition qu’il ne l’enuiſageroit point, & ne regarderoit derriere ſoy qu’il ne fuſt remonté ſur terre, comme diſent Virgile au quatrieſme des Georgiques, & Ouide au dixieſme des Metamorphoſes. Mais comme il eſtoit preſt de ſortir des Enfers, vaincu d’vne impatience amoureuſe, il ne pût s’empeſcher de ſe retourner pour voir ſi elle le ſuiuoit :

—adonc la mal-heureuſe Derechef tumbe en la vallee ombreuſe, Et luy tendant les deux bras bien ſouuent, Elle ne prend rien que l’ombre & le vent.

Orphee deſchiré par les Bacchantes.On dit qu’eſtant deſcendu aux Enfers il ſe prit à chanter les loüanges de tous les Dieux, horſmis de Bacchus, qu’il oublia par meſgarde : dont malcontent il mit ſes Bacchantes en furie, aprés qu’il fut remonté, leſquelles le deſchirerent en pieces vers la riuiere d’Hebre (auiourd’huy Mariſe) en Thrace, & ietterent ſes membres emmy les champs pour ſeruir de paſture aux chiens ; Recueillis par les Muſes.mais les Muſes les recueillirent & enſeuelirent en vn lieu de Macedoine nommé Die, pourautant qu’il auoit fait merueilles en chantant ſur tous autres les loüanges d’Apollon. Les autres eſcriuent que Iupiter le foudroya en Thrace, comme le teſmoigne cet epitaphe de Leonidas :

Icy giſent les os du Thracien Orphee, Que Iupiter occit d’vne fleche enflammee.

Pauſanias dit que les roſignols qui ſe trouuoient autour de ſon ſepulchre, chantoient beaucoup plus doucement & de meilleure grace que tous autres. Lire d’Orphee eſtoillee.Sa teſte iettee auec ſon luth dedans l’Hebre, fut par la violence de la riuiere emportee en Lesbos, & là enſeuelie : ſa lyre fut placee entre les Aſtres, & embellie de neuf belles & claires eſtoilles, dont chaſque Muſe bailla la ſienne, pour auoir hautement chanté leurs loüanges. Les autres veulent dire qu’aprés le decez d’Eurydice il meſpriſa les amours de toutes autres femmes, & reſolu de viure veuf, n’en voulut iamais eſpouſer aucune, ains deſtourna pluſieurs de s’allier auec elles, leur remonſtrant que c’eſtoit vn grand mal que la femme, fuſt-elle bonne ou mauuaiſe. Comme donc beaucoup de perſonnes deſdaignoient deſia tant les femmes qu’ils refuſoient de ſe marier, elles prindrent occaſion de contrefaire les Sacrifices de Bacchus, & aſſemblees en troupe, dés qu’elles eurent deſcouuert Orphee, qui venoit chantant, l’vne ſe print à crier :

Voicy celuy qui a ſi bien appris De nous blaſmer & nous mettre à meſpris.

Diuers auis ſur la la mort d’Orphee.à la ſuſcitation de laquelle tous d’vn commun courage ſe ruerent furieuſement ſur luy, & le deſpecerent en quartiers, comme teſmoigne Apollodore Cyrenien au liure des Dieux. Les autres alleguent vn ſale & laid ſubiect de ſa mort, qu’Ouide touche au dix-huictieſme des Metamorphoſes :

On dit qu’il induiſoit les habitans de Thrace S’accoupler à la tendre & maſculine race.

Pauſanias en l’hiſtoire Bœotique dit que les femmes des Thraciens ſe mutinerent pource que par la douceur de ſa Muſique il entrainoit beaucoup d’hommes aprés luy ; & que comme elles eurent vn iour entre autres pris de leur vin en aſſez bonne quantité, elles le mirent furieuſement à mort. Mais Apollodore és Philadelphes eſcrit que Venus & Proſerpine querelans enſemble à qui iouyroit d’Adonis, Iupiter commit Calliope pour vuider leur differend : laquelle ayant adiugé Adonis commun à toutes deux, & que chacune l’auroit à ſon tour par ſemeſtre : Venus malcontente de n’auoir eu iugement entier à ſa faueur, ſuſcita les femmes à l’encontre d’Orphee, fils de Calliope. Les autres diſent que Venus rendit toutes les femmes de Thrace ſi furieuſement amourenſes d’Orphee, qu’elles ſe ruerent toutes ſur luy ; & comme elles conteſtoient à qui l’auroit, chacune en emporta ſon lopin. Agatharchide de Chio au vingt-deuxieſme liure de l’hiſtoire d’Aſie, dit qu’Orphee aprés la mort d’Euridice s’en alla en la Threſprotie vers cet ancien oracle d’Aorrhe, qui faiſoit reuenir les ames des treſpaſſez, penſant là trouuer Eurydice : mais quand il ſe vid fruſtré de ſon intention, il ſe tua ſoy-meſme. D’autres ont opinion qu’il fut frappé de foudre pour auoir diuulgué à gẽs profanes & ignorans, les ſecrets & myſteres des Dieux. Il laiſſa vn fils nommé Methon, qui habita en Thrace, & y fonda vne ville à laquelle il donna ſon nom. Les autres maintiennent que voyant ſa femme morte il s’ennuia de plus viure, & s’attriſta tant qu’il en mourut de dueil. Helicon abhorre la mort d’Orphee.Ceux qui diſent que les femmes de Thrace l’eſcartellerent, adiouſtent que la fontaine d’Helicon, laquelle ceux de Die appelloient Baphyre, ſe cacha en terre, afin qu’elle ne fourniſt en ſuite d’eau pour purifier des femmes ſoüillees & polluës du ſang d’Orphee. Apollodore au premier liure dit qu’il fut enterré en la montagne de Piere en Thrace. Les Muſes menerent grand dueil de ſa mort, mais ſur toutes Calliope, comme dit Antipater en ces vers :

Tu ne charmeras plus par ta douce harmonie Les cheſnes ny rochers : plus ne verras ſuiuie Ta lyre doux-ſonnant des animaux viuans. Tu ne dompteras plus les neges ny les vens, Ny la greſle ou frimas, ny la mer bourſouflee Eſcumant à boüillons ; car tu és mort Orphee, Et deſſus ton cercueil ont verſé les neuf Sœurs Vn ruiſſeau, vne mer, vn abyſme de pleurs, Et ſingulierement Calliope ta mere. Mais pourquoy pleurons-nous nos enfans, ſi le pere Des manes treſpaſſez eſt tellement peruers, Que les enfans des Dieux n’eſchappent les Enfers ?

Voila ce que les Anciens content touchant Orphee. Eſpluchons maintenant le motif de cette fiction.

Mythologie hisſtorique & morale.Orphee eſt dict fils d’Apollon & de Calliope, ou de Polymnie, pource qu’il a eſté fort habile en l’art de bien dire, & principalement en poëſie : & tous hõmes de bien & d’hõneur eſtoient anciennement appellez enfans des Dieux, car ils cuidoient que les ames des hommes illuſtres fuſſent de quelqu’vne des ſphæres, ſingulierement du Soleil, deuallees en leurs corps. Cettuy-cy ayant affaire à vne maniere de gens encores groſſiers & rudes, viuans ſans aucune ciuilité, ſans loix ny police, & errans comme beſtes emmy les champs ſans ſe ſçauoir dreſſer aucun logis pour ſe mettre à couuert des iniures de l’air, gagna tant par ſon bien-dire, & par la douceur de ſes diſcours, qu’il leur fit ſuiure vne maniere de viure plus courtoiſe & plus humaine, les aſſemblant en corps de villes, leur apprenant à faire des baſtimens, leur enſeignant à ſe ranger & obeyr aux loix publiques, & garder les ordonnances des mariages. C’eſtoit là l’occupation & charge des Anciens Poëtes, comme le teſmoigne Horace en l’art Poëtique :

Du meurtre & cruel viure a jadis diuertie La gent ſauuage Orphé ſainct truchement des Dieux, Que pour ce on dit auoir des lions furieux Et des tigres rendu la nature priuee. Tout de meſme Amphion, par qui fut eſleuee La muraille Thebaine ; on dit par le ſon doux D’vn luth harmonieux auoir meu les cailloux, Et conduit à ſon gré par ſa douce eloquence. Cette-cy a eſté iadis la ſapience, D’auecques le priué diſcerner le public, Du profane le ſainct : defendre l’impudic Et vague accouplement : droits aux maris preſcrire, Baſtir villes, & loix deſſus l’eſcorce eſcrire.

Il s’eſt le premier ſeruy du luth à ſept chordes, à raiſon des ſept planetes, les alongeant, bandant, laſchant & groſſiſſant chaſcune ſelon leur iuſte proportion. Loüange des anciens Poëtes.C’eſtoient, à vray dire, des ſages & honeſtes perſonnages que les Poëtes de ce temps-là, au prix de la plus grande part de ceux de noſtre ſiecle, qui ne faiſoient pas eſtat que l’artifice de la Poëſie conſiſtaſt en choſes friuoles, ny en l’obſeruation ſeulement de la meſure & quantité des syllabes ; & ne deſgorgeoient point indiffe- remment tout ce qui leur venoit en bouche, flattans les Princes & les grands Seigneurs pour en attraper quelque preſent & bien-faict : ains tels eſtoient leurs carmes qu’on les tenoit pour de tres-ſainctes loix ; & bien ſouuent les villes ayans quelque differend enſemble, s’en ſont rapportees à la Poëſie de quelque Poëte, comme d’vn tres-graue & tres-entier iuge. Il auoit vne telle faconde, & la langue ſi bien penduë, qu’il redreſſoit les eſprits des hommes abatus & comme eſperdus, ou par quelque preſente calamité chuts en deſeſpoir, & les ramenoit en leur premier eſtat, calmans les troubles de leurs eſprits. Qui en peut faire autant, doit eſtre eſtimé plus habile homme que les autres : non pas celuy qui ne vit & n’eſt bon que pour ſoy, & qui n’a ſoing ne ſoucy que de s’accommoder & preualoir des biens qu’il aura amaſſez ou trouuez tout acquis ; ſe rendant du tout inutile à autruy, comme s’il n’auoit iamais eſté né. Luy doncques ayant appaiſé les Enfers, c’eſt à ſçauoir les troubles de l’eſprit, eſſaya de ramener Eurydice au monde, qui ſelon que le nom montre, n’eſt autre choſe que la iuſtice & l’equité. Elle redeualla aux Enfers par la trop impatiente amour d’Orphee : parce qu’il n’eſt pas beſoin d’eſtre par trop conuoiteux de iuſtice, veu que les troubles de l’eſprit s’accoiſent par la raiſon : & ſi quelqu’vn ſe montre trop laſche en cet affaire, ou meſme trop cupide, il eſt repouſſé comme par extreme violence, & rechet en ſon premier train. Il eſt donc bien requis à l’homme ſage de veiller touſiours, & d’auoir l’œil au guet, & ne ceder outre meſure, non pas meſmes aux honneſtes cupiditez, qui embroüillent l’eſprit de beaucoup de grands troubles. Si neantmoins quelqu’vn cede aux appetits & conuoitiſes, il luy aduiendra puis-aprés, ou de choir en de tres-faſcheuſes afflictions, ou de mourir miſerablement. Ainſi donc les Anciens ont eſcrit les choſes ſuſdites touchant Orphee, pour nous apprendre à bien aſſaiſonner les affections de noſtre ame, & qu’il ne nous faut rien ſouhaitter auec vne trop vehemente ardeur de courage. Cependant les autres expoſent cette Fable d’Eurydice en ſorte qu’ils diſent qu’elle eſt l’ame, mariee & coniointe à Orphee, c’eſt à dire au corps, de laquelle deuint amoureux Ariſtée, par lequel il faut entendre le ſouuerain bien. Elle s’enfuit de luy à trauers les herbes & fleurs, & morſe d’vn ſerpent caché parmy ces voluptez, meurt & deſcend aux enfers, d’où elle eſt reuoquee au ſon du luth, toutefois à tel ſi, & ſous telle capitulation, que le corps la peut aiſément perdre, s’il n’obeyt à la raiſon & à la loy. Voyla quant à Orphee, s’enſuiuent les Muſes.