Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 16 : Des Muses Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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Des Muſes.

CHAPITRE XVI.

Engeance des Muſes.LES Muſes, que preſque tous les Autheurs, notamment les Poëtes, inuoquent au commencement de leurs eſcrits comme leurs Preſidentes & auctrices de Poëſie ; naſquirent du Ciel quand-& Saturne, ſuiuant l’opinion de Muſæe, & de pluſieurs autres Anciens. Mais les plus recents les diſent filles de Iupiter & de Mnemoſyne, c’eſt à dire, Memoire ſelon le teſmoignage d’Orphee en l’hymne des Muſes, & de Heſiode en ſa Theogonie, qui les fait amies des feſtins & ſolemnitez publiques ; parce qu’elles y preſidoient, comme nous dirons tantoſt. Ciceron au 3. liure de la Nature des Dieux, eſcrit que de Iupiter II. de ce nom ſortirent quatre Muſes, Thelxiope, Mneme, Aœde, Melete : de Iupiter III. & de Mnemoſyne, neuf : Item de luy & d’Antiope, les Pieries, en pareil nombre que les premieres : & iaçoit qu’il y en ait trois rangs & volees, ſi ſont elles toutes reputees filles de Iupiter & de Mnemoſyne. Lieu de leur naiſſance.Elles naſquirent en la montagne de Piere ; furent nourries par Eupheme, c’eſt à dire Bon-renom : De leur demeurance.& depuis tindrent leur ſiege en Helicon, montagne de Bœoce, prés de la Phocide. Leur nõbre.Quant au nombre de leur compagnie, il eſt fort irreſolu. Trois ſelon Varro.Varro, ſelon le teſmoignage de S. Auguſtin, le plus docte & le plus curieux de cette matiere qui fuſt entre les Romains, n’en fait que trois. Car il dit qu’vne certaine ville (on preſume que ce fut Sicyon) commanda vne fois de mouler trois images des Muſes, à trois braues ouuriers, pour faire preſent au temple d’Apollon, des trois qui ſe trouueroient les plus belles. Il aduint que tous trois y trauaillerent ſi dextrement, que toutes leurs neuf pieces ſe trouuerent parfaictes en beauté, & pleurent egalement aux Seigneurs de la ville, qui les achepterent toutes, & les dedierent au Temple d’Apollon. Ainſi doncques (dit-il) Iupiter n’engendra pas neuf Muſes, ains trois Imagers en firent chacun trois. Or cette ville-là n’en commanda pas trois preciſément, pour les auoir veuës en ſonge, ny pour eſtre apparuës à quelqu’vn d’eux en pareil nombre : mais parce qu’il eſtoit aiſé de iuger que tout ſon, ſoit vocal, ſoit inſtrumental, eſt naturellement triforme, car il ſe fait, ou de voix, comme de ceux qui chantent de la voix ſeule ſans inſtrumens : ou par le ſouffle, comme de ceux qui ſonnent, ou de la trompette, ou des cornets, ou du chalumeau, ou d’autres tels inſtrumẽs de bouche : ou par le poulx, comme de ceux qui touchent le tambour, ou pinſent les inſtruments à doigts. Pauſanias en l’Eſtat de Bœoce, dit que les filles du Geant Aloë firent les premiers Sacrifices à trois Muſes en la montagne d’Helicon, & les nommerent Melete, Mneme, Aœde. Excellence du nõbre quaternaire ſelon les Pythagoriens.Les vns n’en tiennent que deux, les autres quatres, à cauſe de l’excellence de ce nombre, que les Pythagoriens auoient en ſi grande reuerence, qu’ils iuroient par luy, comme par quelque diuinité. Aucuns en nomment cinq : d’autres ſept ; nombre qui n’eſt pas de peu d’efficace, ſelon que nous enſeignent les autheurs : mais cela requiert vn autre traicté. Puis aprés Pierre Macedonien en allant à Theſpie, ville de Bœoce, proche d’Helicon, ordonna le ſeruice des neuf Muſes, ſous les meſmes noms qu’elles ont retenus iuſqu’à preſent, leſquels nous expoſerons en bref.

Noms des Muſes. Clio I.Clio (comme ſes Sœurs) fille de Iupiter & de Mnemoſyne, prend l’etymologice de ſon nom, de Kléos, & ne ſignifie autre choſe que Gloire & Renommee ; laquelle il n’eſt loiſible chercher ailleurs, ny eſperer d’autre que de Dieu ſeul, qui par la memoire & contemplation nous acquiert bonne reputation de ce que nous faiſons de bien & beau, dont la ſouuenance dure à iamais. Aucuns eſtiment que ce nom luy ſoit donné, parce que les gens de lettres, aprés longs exercices & trauaux, r’emportent beaucoup d’honneur & de gloire, que par leurs eſcrits ils communiquent à ceux qu’ils entreprennent de loüer. Auſſi fut-elle inuentrice de l’hiſtoire. Elle fut mere de Ialeme & d’Hymenæe, homme de ſort & condition bien contraire. Quelques-vns r’apportẽt cette lignee à la connoiſſance de l’hiſtoire : pource que Ialeme fut autheur des chants plaintifs, nourriſſant ſes penſees de pleurs & d’hullemens. Hymenæe inuenta les chants nuptiaux qui ſe chantoient à gorge deſployee és nopces, deſquelles on l’appelle Preſident, auec Iunon la Nopciere, & ne ſe trouuoit qu’és feſtins gais & ioyeux, eſquels on l’inuoquoit à pleine voix. Par ces deux fils de Clio, les Anciens n’ont entendu autre choſe, ſinon que ceux qui deſirent acquerir de la gloire & de l’honneur, ſe trouuent tantoſt en aduerſité, embarraſſez de maintes afflictions qui les contraignent de ietter des ſouſpirs & des voix dolentes, ſemblables à celles de Ialeme : tantoſt en proſperité, lors que le cours des affaires de ce monde leur rit à ſouhait, qui les fait chanter de ioye quelque gaillarde chanſon auec Hymenæe. Quelques-vns luy donnent vn troiſieſme fils, Orphee : mais plus communément à Calliope.

Euterpe. II.Euterpe ſignifie plaiſir & delectation. Elle ayme fort les fluſtes & tels autres inſtrumens ſur leſquels elle preſide. Auſſi dit-on qu’elle en fut inuentrice ; inuention petite & rare du commencement, mais par ſucceſſion de temps ſi bien accreuë, qu’à peine y a-il coing au monde, où l’on ne chante quelque chanſon ſur la fluſte. Pour cette cauſe on l’appelle Fluſteuſe. Les Interpretes d’Apollonius diſent qu’elle inuenta les ſciences : autres eſcriuent qu’elle print ſingulier plaiſir à la Dialectique. Fulgence dit qu’Euterpe eſt ainſi nommee ; pource que le premier poinct, eſt d’acquerir de la ſcience, de l’honneur & de la gloire : le ſecond, de prendre plaiſir à ce qu’on a acquis. Ainſi donc elle ne demontre autre choſe, que la ioye & contentement que nous receuons à bon droict, aprés beaucoup de trauaux & de temps employé aux Muſes, & à l’acquiſition des ſciences.

Thalie III.Thalie Deeſſe des banquets, dit Plutaque en ſon banquet, faict l’homme compagnable en feſtins, lequel autrement euſt eſté inhumain & beſtial. Auſſi vient elle de Thaliazein, c’eſt à dire s’aſſembler pour ſe reſiouyr, toutefois auec modeſtie. Varro conſeille de banqueter principalement auec des Muſiciens, gens de lettres, & de plaiſante compagnie ; & ne point exceder le nombre des Muſes & des Graces, qui ſont neuf & trois. Et de faict nous voyons qu’entre nous pluſieurs font ſcrupule d’admettre vn treizieſme à table, cõme nombre de mauuais augure : encore que le ſuiect communement allegué, ſoit ridicule. Aucuns la deduiſent de Thaleia, c’eſt à dire, germe : d’autres de Thallein, c’eſt à dire verdir & fleurir ; laquelle fauoriſant ſur tout aux Poëtes, qui ayment volontiers à chaſſer tout chagrin, comme poiſon de la vie humaine, par vn tres-excellent contre-poiſon (bon vin) ne laiſſe point fleſtrir leur renommee : mais fait verdir & durer à iamais la reputation qu’ils auront vne fois acquiſe, tant pour eux, que pour ceux qu’ils celebrent en leurs eſcrits. Les vns luy donnent l’inuention de la Comedie, les autres de la Geometrie : d’auoir auſſi montré l’Agriculture, & le moyen d’edifier les arbres & autres plantes.

Melpomene. IV.Melpomene vient du verbe Mélpeſthai, c’eſt à dire, chanter par meſure & melodie, ou de mélos poieîn, faire concert ou accord, tel que le requiert vne bonne harmonie. Or tout animal viuant preſte volontiers l’oreille à la Muſique. Strabon eſcrit que les Elephans ayment fort à ouyr chanter & ſonner le tambour. Plutaque au Banquet parle de pluſieurs beſtes qui prennent grand plaiſir aux chanſons & inſtrumens de Muſique. Que les Dauphins l’ayment, Arion & Pindare en ſont ſuffiſans teſmoins, à plus forte raiſon l’homme, quelque groſſier & hagard qu’il ſoit. Elle eſtoit commiſe ſur les Tragedies. Quelques Grecs luy attribuent l’inuention de la Rhetorique. Toutes ces diuerſitez d’opinions ne denotent autre choſe que l’homme eloquent & diſert, qui par beaucoup de veilles & trauaux, s’eſt acquis l’art & la faculté de bien dire.

Terpſichore. V.Terpſichore deſcend de ces mots, Térpein chórous, c’eſt à dire delecter les compagnies, auſſi ſon plaiſir eſt de dancer aux aſſemblees, & pour ce regard on l’appelle Meneſtriere, ou baladine, parce que les dances & balets ſont de ſon inuention. Que les Anciens ayent faict beaucoup d’eſtat des dãces, il eſt euident de ce qu’à peine faiſoient-ils aucun Sacrifice ou ſolemnité publique, que le bal ne s’y celebraſt auſſi. D’autres la nomment ainſi, pource qu’elle reſiouït ſes auditeurs & ſuiuans, à cauſe des biens que leur ſçauoir leur acquiert. Oultre Rhœſe, duquel nous parlerons tantoſt, elle fut mere des Serenes, comme nous l’auons deduit en ſon lieu. Ces Muſes ioyeuſes montrent qu’il ne ſe peut faire que l’homme ayant employé la meilleure partie de ſon aage à la ſuitte de Calliope & d’Vranie, n’en reçoiue finalement vn ſingulier plaiſir & contentement.

Eratos VI.Eratos, vient d’Ero, c’eſt à dire, Amour, pource qu’elle chante les amours, notamment és nopces & balets, ſuiuant quoy l’on dit que Thamyras fut ſon fils, qui le premier chanta des vers amoureux, ou bien parce que les gens de ſçauoir ſont aymez & cheris. On la tire auſſi du mot Ereſthai, c’eſt à dire, interroger : pource que le propre des eſtudians eſt d’interroger & de reſpondre, pertinens moyens de profiter.

Polymnie. VII.Polymnie vaut autant comme excellente en memoire, neceſſaire à ceux qui veulent ſe conſacrer aux Muſes : ſoit qu’ils l’ayent de nature, ou par l’artifice de ceux qui en montrent l’vſage ; ou par continuel exercice. Mais on la nomme auſſi Polyhymnie, à cauſe de la multiplicité des hymnes & airs de Muſique ; pour ce regard les Interpretes des Argonautiques l’eſtabliſſent ſur le luth & la harpe, Heſiode ſur la Geometrie. D’autres luy donnent l’inuention des lettres de l’Alphabeth, & de la Grammaire, & des geſtes des Comediens. Plutarque luy attribuë l’hiſtoire, qui eſt comme la memoire de pluſieurs choſes, ſelon le premier nom d’icelle.

Vranie VIII.Vranie vant autant comme Celeſte, & s’adonne à la contemplation des choſes celeſtes, ſcience autant difficile que noble. C’eſt pourquoy Platon en ſon Epinome conſeille à ceux qui deſirent entendre l’Aſtronomie, qu’ils y vacquent dés leur enfance. Ce nom eſt extrait de Ouranós, c’eſt à dire, Ciel : d’autant que cette Muſe eſleue les eſprits doctes & amoureux d’elle, iuſques au Ciel : ou bien, comme dit Fulgence, pource que la gloire & la ſageſſe attire les courages à la conſideration des choſes celeſtes. Voyez liure. 2.Quelques-vns la deduiſent d’Ouranos, que les Latins nomment Cœlius, pere de Saturne, auquel Saturne coupa depuis les genitoires. Au reſte cette contemplation celeſte, qu’on appelle Aſtrologie ou Vranie, nous apprend que le deuoir d’vn bon & galant eſprit, eſt de choiſir auec meure & prudente diſcretion les choſes vtiles & permanentes, & laiſſer en arriere les caduques.

Calliope IX.Calliope, vient de Kalé ops, c’eſt à dire belle ou bonne voix, & ne ſignifie autre choſe que la douceur du chant & bon accord requis à chanter. Elle eſt de plus grãd merite que ſes Sœurs. Car elle apprend aux Poëtes, non à chanter des amours friuoles, ny d’imbuer les affe- ctions des ieunes gens de vain babil, & de complexions amoureuſes (tels Poëtes veut Platon qu’on chaſſe hors des villes, c’eſt à dire, de la compagnie de la ieuneſſe, & des ignorans, trop enclins aux paſſions de l’eſprit, & qui ne peuuent comprendre le ſens allegoric des Poëtes) mais bien à chanter les hymnes & cantiques diuins, les loüanges & beaux faits des Heros & perſonnages de merite & de renom. Neuf Poëtes inſpirez par neuf Muſes.On la faict mere d’Orphee, à cauſe de la grauité de ſes eſcrits, par laquelle il fut inſpiré particulierement ſur tous autres Poëtes : ainſi que Muſæe par Vranie, Homere par Clio, Pindare par Polyhymnie, Sappho par Eraton, Thamyras par Melpomene, Heſiode par Terpſichore, Virgile par Thalie, Ouide par Euterpe. Ainſi les neuf plus excellens Poëtes ont eſté rauis & inſpirez par les neuf Muſes, qui repreſentent les neuf ſons celeſtes & ne font qu’vn concert ou accord, & leur ont fourny dequoy chanter, tant en carmes comme ſur le luth & autres inſtrumens. En vn mot, Fulgence nous apprend que toute cette Fable des Muſes ne ſignifie autre choſe, ſinon que le premier poinct eſt d’eſtre ſi deſireux de doctrine : le deuxieſme, prendre plaiſir à ce qu’on deſire : le troiſieſme, trauailler à bon eſcient à ce où l’on prend plaiſir : le quatrieſme, à conſuiure ce à quoy l’on trauaille : le cinquieſme, s’imprimer en la memoire ce qu’on aura acquis : le ſixieſme, inuenter du ſien choſe ſemblable à ce qu’on tient en mémoire : le ſeptieſme, iuger de ce qu’on aura inuenté : le huictieſme, choiſir ce dont on aura iugé : le neufieſme, bien exprimer & dire ce qu’on aura choiſi.

La plus commune opinion ſe tient à ce nombre de Muſes ; c’eſt auſſi ce que veulent dire les Poëtes, quand ils chantent que Iupiter coucha neuf nuicts auec Mnemoſyne. Surnoms des Muſes.Elles ont obtenu pluſieurs ſurnoms, leſquels il eſt beſoin de connoiſtre par l’intelligence de beaucoup de paſſages poëtiques. Pierides 2.Du nom de ce Piere Macedonien, dont les Macedoniens donnerent le nom à la montagne de Piere, elles ſont appellees Pierides, ſi ce n’eſt de Pierie, prouince de Macedoine, auparauant dicte Emathie, pays & domicile des Muſes ; ainſi nommé d’vn boſcage dict Pieris, ou bien de la montagne de Piere meſme, ſituee par les vns en Thrace, où hantoit Orphee : par les autres en Macedoine, comme par les Grecs Interpretes d’Heſiode : par d’autres encor en Theſſalie, où l’on dit auſſi qu’elles ſont nees. Elles peuuent auoir en outre receu ce nom des filles de Piere Macedonien, riche homme, & d’Anippe ; lequel eut neuf filles, qui défierent vn iour les vrayes Muſes à chanter : mais vaincuës, furent muees en Pies : & depuis les Muſes voulurent par brauade porter le nom de Pierides. Chap. 2. de ce liur.Semblablement les filles d’Achelois oferent vne fois attaquer les Muſes : leſquelles auſſi ſuccombans, furent chaſtiees de leur temerité, comme nous auons dict ailleurs. Mais Ariſtocle au troiſieſme liure des Chœurs ou aſſemblees de dances, dit que ce Piere auoit neuf filles, qu’il nomma du nom des Muſes ; deſquelles naſquirent ceux que les Grecs ont nommé Fils des Muſes, ou Muſes-nez. On fait auſſi mention d’vn Piere, fort ancien Poëte, qui chanta les loüanges des Muſes d’vn air ſi gentil ; qu’il merita que de ſon nom elles fuſſent tiltrees Pierides. Et d’autant que leur ſiege & demeure ordinaire eſtoit en Helicon, montagne non beaucoup eſloignee de celle du Parnaſſe, leſquelles ne cedent rien l’vn à l’autre, ny en hauteur, ny en circuit ou eſtenduë de païs, & ont chacune vne haute croupe & roche pointue : Heliconides. 2.elles ſont ſurnommees Heliconides, & par vne figure qu’on appelle en Rhetorique Epentheſe, Heliconiades. Ptolemee en ſa Muſique deduit ce nom d’vn inſtrument dict Helicon, qui lors auoit neuf cordes. Quelques-vns diſent qu’Helicon eſt vne riuiere, qui coule ſous terre enuiron ſoixante & dix ſtades : autrement appellee Baphyras, & s’engoulfre d’vn cours ſouſterrain, parce que les femmes Thraciennes, qui deſchirerẽt en pieces Orphee, ſe voulans baigner en icelle, furent englouties par le courant de l’eau. Parnaſsides. 3.Quelquefois elles ſe tranſportoient au Parnaſſe à cauſe du voiſinage & plaiſance du lieu, dont elles portent le ſurnom de Parnaßides, ſi ce n’eſt de Parnaſſe, fils de la Nymphe Cleodore & de Neptun, ou Cleopompe. Aonides. 4.Dauantage, Aon fils de Neptun, par la faction & reuolte de ſes ſubiects, chaſſé de l’Apouille, ſe retira en Bœoce, & regna ſur les habitans des montagnes & de ſon nom appella cette prouince Aonie : de là ſont-elles auſſi dites Aonides. Cytheærones, ou Cythærides. 5.Item Cythærones, & Cythærides ou Cythæriades, de Cythæron, montagne de Bœoce (d’autres diſent de l’Attique) où l’on celebroit les Orgies de Bacchus : auſſi bien que les autres dediees aux Muſes. Quelques-vns diſent qu’en cette montagne y auoit vn antre de Nymphes de Cythæron, où iadis elles ont prophetiſé. Corycides. 6.Item Corycides, du coutau, ou pluſtoſt antre du Coryce au Parnaſſe prés de Delphes. Theſpiades. 7.Quelquesvns les font filles de Memnon & de Theſpie, dont elles ſont dictes Theſpiades, & les Theſpiens celebroient certains ieux & feſtes en l’honneur des Muſes, qu’ils appelloient Les Muſæes, eſquels on propoſoit des prix aux plus braues iouëurs d’inſtrumens. Elles prennent auſſi ce nom de la ſuſdite ville de Theſpie en Bœoce, voiſine de l’Helicon. Pegaſides. 8.Item Pegaſides, à cauſe du Pegaſe, cheual ailé de Bellerophon, qui heurtant du pied contre vne roche, en fit rejalir vne belle fontaine ſur l’Helicon, ſacree aux Muſes, dont les eaux rendoient vne certaine douce voix, ſelon le dire des Grecs : auſſi quelques-vns les qualifient, Eaux babillardes. Aganippides. 9.La fontaine fut nommee Hippocrene (comme qui diroit fontaine du Cheual, que les Latins imitãs les Grecs appellent Fontaine Caballine) autrement Aganippe : d’où l’on les ſurnomme pareillement Aganippides : ſi l’on n’ayme mieux extraire ce nom d’Aganippe, fille ou Nymphe de Termeſſe, riuiere coſtoyant l’Helicon. Ilyſſides. 10.Item elles portent le tiltre d’Ilißides, & d’Ilißiades ; d’Iliſſe riuiere d’Attique, ſelon Pauſanias eu l’Eſtat de l’Attique : ou ſuyuant les autres, de la ville d’Iliſſe. Libethrides. 11.Item on les nomme Libethrides, de la fontaine Libethre ſanctifice aux Muſes, en cette Prouince de Theſſalie qu’on appelle Magneſie. Pimpleides. ou Pimplæes. 12.Item Pimpleides, ou Pimplæes, de la montagne de Pimple en Thrace : ou de la fontaine Pimplæe, aſſiſe au pied de ladite montagne. Caſtalides. 13.Item Caſtalides, de la fontaine de Caſtalie, au pied du Parnaſſe, conſacree aux Muſes ; ainſi nommee de la Nymphe Caſtalie, laquelle fuyant de deuant Apollon qui l’aymoit, & en vouloit iouyr, fut conuertie en vne fontaine de ſon nom. Mnemoſynides. 14.Item Mnemoſynides, de leur mere Mnemoſyne. Pateides. 15.Item Pateides, d’vne fontaine de Macedoine, eau tres-ſubtile. Lygies. 16.Item Ligyes, à cauſe de leur chant clair ; ou pour quelque eſpece d’air de Muſique qui ſe chante à pleine voix, que les Grecs appellent Lygie, Olympiades 17.Item Olympiades, à l’imitation d’Homere, qui ſouuent les qualifie habitantes és maiſons de l’Olympe, c’eſt à dire, du ciel. Ardalides. 18.Item Ardalides, d’vn fils de Vulcan, Ardale, ou Artale, ſuiuant Plutarque au Banquet. Mæonides. 19.Item Mnæonides, de la Prouince de Mæonie. Etymologie du nom de Muſe.L’etymologie du de Muſe eſt fort diuerſe. Platon au Cratyle veut qu’il vienne de môſthay, c’eſt à dire, s’enquerir. Les vns diſent que c’eſt vn mot abregé de Meluſe, tiré de melos, douceur de chant : ou de meli ôuſa, qui n’eſt que miel. Les autres veulent dire qu’on les appelle Muſes au lieu de Homœouſes, c’eſt à dire, eſtans iointes & vnies enſemble : pource que toutes les ſciences ont entre elles quelque reſſemblãce, & ſont alliees l’vne à l’autre cõme par quelque accouple & lien de conſanguinité. Et de faict on les pourtrait en ſorte, que s’entretenans par la main elles menent vn bal. Les autres tirent leur nom de Myein, c’eſt à dire, inſtruire de bonne & honneſte ſcience. Muſes preſidentes ſur toutes ſolemnitez publiques.Au reſte Orphee en ſes hymnes nous apprend qu’on les eſtimoit preſider ſur les ſaincts banquets qui ſe faiſoient és Sacrifices de purification, ſur les ſolemnitez, & generalement ſur toute ioye & lieſſe publique. Il les fait auſſi inuentrices de la Poëſie & de la Muſique, & gouuernantes de toute la ſageſſe des hommes. Diuers inuenteurs de la Poëſie & muſique.Toutefois Plutarque au traicté de la Muſique, ſuiuant l’aduis d’Heraclyde, ne donne pas aux Muſes telle inuention, ains à pluſieurs perſonnes : comme à Amphion fils de Iupiter & d’Antiope, la premiere inuention du luth ou harpe, & de la Poëſie auſſi qui ſe chante ſur ledit inſtrument, comme l’ayant appris de ſon pere. En apres il dit que Line Eubœen fut le premier qui cõpoſa des vers Elegiaques, c’eſt à dire, piteux & lamentables : & Anthés d’Anthedon ville de Bœoce, fut premier auteur des Hymnes, Philammon de Delphes fit les premiers Cantiques de la natiuité d’Apollon, de Diane & de Latone. Demetrius Byſantin au 3. liure de ſon Poëme, n’attribue pas l’inuention des choſes ſuſdites ny aux Muſes ny aux fils des Muſes, mais à Apollon meſme : diſant qu’il trouua & la fluſte & la harpe, & les inſtrumens à chordes. Et preuue ſon dire, parce que durant les Sacrifices & ſolemnitez d’Apollon on chantoit des hymnes au flageol : duquel on voyoit iadis vne Idole à Delos tenant vn arc à la main droite, & les Graces en la gauche ; & de ces Graces l’vne mettoit en la bouche d’Apollon vne fluſte, l’autre luy tendoit vn luth, & l’autre vne viole. Toutefois Callimache en vn Epigramme eſcrit que les Muſes de n’inuenterent pas ſeulement l’art poëtique, mais auſſi toutes ſortes de ſciences & de diſciplines, comme nous verrons, ſelon qu’elles ſont deſignées à chacune d’icelles. Office des Muſes.Ces Deeſſes nous donnent vne ſinguliere conſolation en nos afflictions, & nous ſeruent d’amorſe & d’appaſt pour nous induire à œuures honorables, nous deſtournãs des voluptez deſreiglees de toute diſſolution & impudicité, comme dit Theocrite en ſon Cyclope, que noſtre Ronſard a ainſi exprimé en ſon Cyclope amoureux :

Contre le mal d’amour qui tous les maux excede L’artifice n’inuente vn plus plaiſant remede, Soit pillule, ou bruuage, emplaſtres, ou liqueurs, Que la ſcience apprinſe à l’eſchole des Sœurs.

Leur charge eſtoit d’enflammer par vers & chanſons les courages des gens-d’armes allans à la guerre, de conſoler les gens de bien en leurs aduerſitez, de magnifier la valeur, les beaux & cheualeureux actes des gens d’honneur, afin qu’à leur imitation les autres fuſſent aiguillonnez à ſuiure le chemin de vertu. Tels eſtoient les airs & chanſons qu’anciennement on chantoit és feſtins, comme on void en Plutarque au traicté de la Muſique. Homere meſme a eſtimé que ce fuſt choſe bien ſeante d’eſguiſer les courages des hommes valeureux par de graues & honneſtes chanſons, afin que leur reduiſant pluſieurs fois en memoire les beaux exploicts des illuſtres perſonnages, ils fuſſent mieux appareillez & plus courageux à charger l’ennemy. Car l’intention des Anciens Poëtes, qui faiſoient quand & quand profeſſion de Muſique vocale & inſtrumentale, eſtoit non ſeulement d’inſtruire l’eſprit, mais auſſi de façonner auec douceur les mœurs des perſonnes. Et les Grecs apprenoient à leurs enfans dés leur premiere ieuneſſe l’art poëtique, non pas toutefois vne poëſie nuë & deſpoüillee entierement de tout plaiſir, mais chaſte & honneſte. Ainſi doncques les Poëtes enſeignans la muſique, les tons & les accords des inſtrumens, reformoient par meſme moyen les complexions des ieunes gens. Dignité des anciẽs Poëtes.Et de faict Homere appelle les Chantres, Correcteurs des mœurs, eſcriuant au troiſieſme de l’Odyſſee, que le Roy Agamemnon laiſſa à Clytemneſtre ſa femme, vn Chantre, ſelon l’auis & conſeil duquel elle ſe conduiroit : qui luy faiſant vn ordinaire diſcours des vertueuſes Dames, leſquelles en l’abſence de leurs maris auoient mené vne honneſte & chaſte vie, luy engraua en l’ame vn deſir & vne enuie d’honneur, de gloire & de probité : puis conuerſant auec elle en toute modeſtie, l’eſloigna de toutes mauuaiſes penſees, & confirma l’eſprit d’icelle en ſi bon propos, qu’Ægyſthe ne ioüit point d’elle qu’il n’euſt premierement faict mourir ce Chantre. Chançõs anciennement vſitees aux feſtins.Quant aux chanſons que les Anciens chantoient és banquets, elles eſtoient ou Philoſophiques, ou Aſtronomiques : comme eſt le chant de Silene en la 6. Eclogue, de Virgile, & celuy d’Iope au banquet de Didon, au 4. de l’Æneide : ou bien on y chantoit les proüeſſes des hommes illuſtres, pour empraindre en l’ame de la poſterité des aiguillons d’vne ſemblable vertu : comme ce que teſmoigne Homere au 8. de l’Odyſſee :

Or apres que du corps le vin & la viande Eurent chaßé la faim, la Muſe leur commande D’entonner les hauts faicts des hommes valeureux.

Semblablement lors que les herauts deſpeſchez par Agamemnon vers Achille, arriuerent à ſa tente, ils le trouuerent chantant les vaillances des preux, comme l’on void au 9. de l’Iliade. C’eſtoient autant d’allumetes embraſans les cœurs des ieunes hommes bien nez, & les eſpoinçonnans à vn deſir d’en faire autant à l’auenir, quand ils entendoient és feſtins & publiques aſſemblees, voire en buuant d’autant, magnifier par ſi braues Chantres, les vertus & les hauts faicts de ceux qui d’vn braue courage auoient battu l’ennemy ; ou qui ſouſtenans la iuſte querelle de leur patrie eſtoient morts en galans hommes. Quelquefois ils chantoient des airs cõcernans la merueilleuſe creation du monde, & teſmoignans l’infinie ſageſſe & puiſſance de l’eſprit de Dieu ſouuerain Createur ; comme ce que chante Orphee au 1. liure des Argonauchers :

Or il chantoit comment ſous vne meſme forme Le Ciel, la Terre & Mer d’vn meſlange difforme Qu’vn Chaos ne faiſoit, qu’vn corps peſle-meſlé : Et comme fut iadis leur debat demeſlé : Comme les feux aſtrez eurent leur domicile Au pourpris eſtoilé : comme eſt le cours habile Du grand Flambeau du monde, & de la Lune außi Selon qu’on void ſon chef ou rond ou r’acourci. Et comme il eſtendit en hauteur les montagnes, Et comme les ruiſſeaux à trauers les campagnes, Auec les Nymphes nez, precipitent leur cours. Et comme furent faits les ſerpens à cent tours, Les poiſſons de la mer, les beſtes de la terre, Les oiſeaux empennez qui font au ciel leur erre. Et comment Ophion auec Eurynomé Fille de l’Ocean, iadis eſtoit nommé Tout-puiſſant Roy du Ciel, faiſant deſſous ſa crainte Trembler tout l’Vniuers : & comme par contrainte A Saturne il ceda maugré luy cet honneur, Eurynom’ à Rhea, de Souverain Seigneur : Puis culbutez du Ciel, d’vne piteuſe traite Es flots de l’Ocean chercherent leur retraite.

En vn mot telle eſtoit la modeſtie des anciens Muſiciens, que meſme ceux qui faiſoient l’amour à Penelope, n’oſoient rien chanter de ſale ny de laſcif : quoy que ce fuſſent ieunes ſeigneurs autrement aſſez desbordez, voire fort enclins à toute diſſolution, ains chantoient la peine & la difficulté que pourroient auoir les Grecs aſſiegeãs Troye, à regagner leur païs. Ainſi doncques les Muſes auoient la repuitation de preſider ſur telles chanſons, ſur tels chantres & Poëtes, deſquelles Apollon eſtoit le chef & conduceur. Les Anciens en faiſoient tant d’eſtime, & leur deferoient tant de douceur & de benignité, qu’ils ne penſoient point auoir aucune recepte plus preſſante à l’encontre de tous allechemens & mignardiſes de voluptez, comme dit Theocrite és Paſtres :

Le printemps n’eſt ſi doux aux auetes Hyblees, Ny le ſommet des fleurs, comme des Sœurs Pimplæes L’air aimable me plaiſt, car ſi leur œil benin Enuiſage quelqu’vn, de Circé le venin Ne le peut meduſer—

Les Muſes ont vne merueilleuſe efficace, veu que par la ſuauité de leur diſcours, & par l’admirable varieté des matieres & fictions qu’elles rencontrent, elles font croire beaucoup de fauſſetez, comme choſes véritables ; & n’y a rien de ſi petite valeur, que l’artifice d’vn habile Poëte ne puiſſe merueilleuſement eſleuer & enrichir : joint qu’elles meſmes en la Theogonie d’Heſiode ſe qualifient comme s’enſuit :

Nous faiſons s’il nous plaiſt le faux accroire en guiſe Du vray, puis noſtre bouche auſſi le vray deſguiſe.

Adonis occis par les Muſes.Muſes du tout continentes.On dit qu’vn iour les Muſes faſchees de ce que Venus les auoit chatoüillé de ſes aiguillons ordinaires, firent mourir ſon mignon Adonis, cependant que quelqu’vnes de leur trouppe furent eſpriſes de l’amour de certains hommes ; comme Calliope d’Oeagre ; qui luy engendra Orphee & Cymothon ; Terpſichore de Strymon, duquel elle eut Rhœſe Roy de Thrace, qui veint au ſecours des Troyens auec quantité de cheuaux blancs : mais par la trahiſon de Dolon eſpion Troyen il fut decelé à Diomede & Vlyſſe, qui ce iour là battoient l’eſtrade, & par eux tué dés la premiere nuict deuant que ſes cheuaux euſſent peu boire de l’eau de la riuiere de Xanthe, parce qu’eſtant arriué trop tard, les portes de la ville fermees, il fut contraint de ſe loger à la haye à l’ombre de ſes tentes. Deſtinee de Troye és cheuaux de Rheſe.Car il auoit eu aduis de l’Oracle, que ſi luy & ſes cheuaux beuuoient du Xanthe, & gouſtoient des paſturages de Troye, la ville ſeroit imprenable. Eux doncques ayans occis ce Roy, emmenerent quand & quand ſes cheuaux, deſquels dependoit la deſtinee de Troye. Pareillement Clio eut Line de Magnes : quelques autres auſſi firent de leur race. Mars corriual d’Adonis cauſe de ſa mort.Mais pour reuenir à leur vengeance, elles ſe prindrent à chanter vne chanſon ſur la loüange de la Venerie, qui fut ſi melodieuſement fredonnee, qu’Adonis de ſon propre naturel, ne halenant autre choſe qu’vn inſatiable plaiſir qu’il prenoit à la chaſſe, s’amuſa tant à les eſcouter, qu’en fin Mars corriual & ialoux d’Adonis prenant occaſion de luy mal-faire, ſe transforma en Sanglier, & l’abbatit : ou (comme d’autres veulent dire) ſuſcita vn Sanglier contre ce mignon, qui le mordit & deſchira. Alors la Paſſefleur rouge naſquit du ſang d’Adonis ; car auparauant il n’y en auoit que de blanches : & comme Venus accouroit à ſon ſecours, les cheueux nuds, & eſparpillez, elle ſe picqua d’vne eſpine, le ſang de laquelle engendra les Roſes rouges, qui parauant n’eſtoient que blanches. Voyez liure 5. chap. 16.Cependant aucuns maintiennent que les Muſes ont touſiours eſté vierges & tres-chaſtes, comme teſmoigne Platon en vn Epigramme qu’allegue Diogene Laërtien :

Filles, honorez moy (ce dit Cyprine aux Muſes) Autrement, mon Adon i’armeray contre vous. Fay ta menace à Mars (font-elles) ; tu t’abuſes : Ce volage mignon ne peut voler à nous.

Et Lucian au troiſieſme Dialogue des Dieux Celeſtes, les appelle Inuulnerables, comme n’ayans iamais ſenty la torche ny les fleches de Cupidon. Places conſacrees aux Muſes.Quant aux places qui leur ont eſté conſacrees, & dont elles ont eſté ſurnommees, nous les auons cy-deſſus ſpecifiees : comme Helicon qui leur fut dedié par Ote & Ephialte Geans ; Parnaſſe, Cythæron, Piere, Pimple, Lebethre, lieux conſacrez par les Thraces, qui iadis eſtoient fort amoureux de la Muſique, & furent les premiers inuenteurs de l’harmonie poëtique, comme Ephore, Orphee, Thamyris, Muſæe, & Eumolpe ; qui pour ſon excellence à bien chanter fut ainſi nommé. Les Cygnes ſont auſſi nommez oiſeaux des Muſes, à cauſe de leur chant. Quant aux guirlandes ou couronnes qu’elles portoient, on les faiſoit de diuerſes fleurs & fueillages, principalement de palmiers riole-piolez de plumes de toutes couleurs, par fois de laurier : par fois auſſi de roſes, qu’elles agençoient gentiment ſur leurs teſtes.

Mythologie des Muſes.Voila tout ce que ie trouue digne d’eſtre expliqué quant aux Muſes. Au reſte aucuns les font filles de Mnemoſyne & de Iupiter, les autres d’Antiope & de Iupiter, les autres de Memnon & de Theſpié : d’autant que les Muſes ſont la ſciẽce, & la bonne affection emprainte en l’ame de ceux qui en font profeſſion, & ne s’eſcoule point en nous que par vne grace diuine ; comme ainſi ſoit que tout bien nous eſt donné d’enhaut, deſcendant du Pere des lumieres, laquelle toutesfois ſe conſerue & s’augmente par le moyen d’vne bonne memoire exercee auec peine & diligence, pourtant on les appelle filles de Iupin & de Mnemoſyne, c’eſt à dire de memoire. D’autrepart Antiope eſt l’exercice, ou pluſtoſt l’æmulation, quand quelqu’vn s’empeſche de toute ſa puiſſance d’eſtre ſurmonté par vn autre en habilete & excellence de muſique. Quant à Memnon, ce n’eſt autre choſe que la mémoire : ny Theſpie, autre choſe que la ſcience de deuiner, ou la cognoiſſance des choſes diuines, ce que plus ouuertement declarent les noms des Muſes que les filles d’Aloëe adorerent, aſſauoir Melete exercitation, Mneme memoire, Aœde chant. Ceux qui diſent les Muſes eſtre filles du Ciel, & plus anciennes que Iupiter, en reuiennent là meſmes, ſinon qu’ils prennent Iupiter non fabuleuſement, mais hiſtoriquement. Ils diſent qu’Eupheme fut leur nourrice, d’autant que la bonne renommee (ce que ſignifie le nom d’Eupheme) & la gloire & loüange & l’honneur nourriſſent les arts & diſciplines : & n’y a aiguillon plus poignant que la gloire pour induire les hommes à honnorables entrepriſes. Ceux qui n’ont reconnu que trois Muſes ont penſé qu’elles fuſſent les arts par leſquels on vient à la cognoiſſance de ſageſſe. Muſes, ames des Spheres celeſtes.Neantmoins la plus commune opinion a eſté, que les ames des Sphères ; c’eſt aſſauoir Vranie celle du Ciel eſtoillé, & de ceſte Sphere qui s’appelle fixe & non-mouuante, ou non errante. Polymnie, celle de Saturne ; Terpſichore, celle de Iupin ; Clio, celle de Mars ; Melpomene, celle du Soleil ; Erato, celle de Venus ; Euterpe, celle de Mercure ; Thalie, celle de la Lune : leſquelles ſelon que plus elles ſe reculent du milieu du monde, rendent diuers ſons. Car comme entre les Spheres les vnes ſont plus lentes & tardiues, les autres plus ſoudaines, les autres tiennent le milieu entre ces deux mouuemens : auſſi dit-on que telle eſt la difference des ſons & accords, tellement que de ce viſte & reglé mouuement des cieux, & de leur battement ou choc entrecoupé ſe fait vne diuerſe & merueilleuſe harmonie, ſelon la doctrine des Pythagoriens. Ainſi donc les huict Muſes ſuſnommees ſont autant d’accords de Spheres, deſquels redonde la neufieſme, Calliope, comme qui diroit, bon accord. Et parce qu’elles ſont proches du premier corps mobile, aupres duquelles Philoſophes tiennent qu’eſt le throſne de Dieu, on dit qu’elles balent autour de l’autel de Iupiter, ſuiuant ce que dit Heſiode :

Elles balent aupres d’vne claire fontaine Vers l’Autel de Iupin de vertu tres-hautaine D’vn pied mol & leger.—

Et comme les affections des Muſes ſont diuerſes, auſſi ſont differents les plaiſirs & inclinatious des hommes, leſquelles ſelon l’aduis Pythagoriciens deſcendent deſdites Spheres. Pouuoir des Spheres celeſtes ſur les affections des hommes.Car ceux qui ſont deſcendus de la Sphere de la Lune, cõme plus ſujets au naturel de Thalie, prennent plaiſir à la petulance & laſciueté comique. Ceux qui ſont prouenus de celle de Saturne ou de Polymnie, eſtans d’vn temperament ſec & froid, ſe ſouuiennent fort bien des choſes paſſees. Car les eſprits & le naturel des corps s’accordent oidinairement auec la qualité des planetes. C’eſt pourquoy les vns prennent plaiſir à cecy, les autres à cela. Effects de la Planete de Meſcure.Quant à l’aſpect des Planetes, pour exemple, ſi Mercure eſt en fort & bon aſpect, il donne à ceux qui naiſſent ſoubs ſa domination vne elegance de diſcours & grace de bien dire ; de la ſcience, & de l’eſprit pour comprendre les arts, principalement Mathematiques. Luy meſme conioint auec Iupiter, faict les Theologiens, & Philoſophes. Luy meſme ioint auec vn heureux aſpect de Mars, fait des Medecins expers & heureux en leurs cures : mais s’il eſt en mauuais aſpect, il les faict mal-habiles, ou mal-heureux. Il fait auſſi naiſtre des larrons. Ce qui aduient principalement quand on dict que le Soleil le bruſle. Auec Venus il engendre des Poëtes & Muſiciens. Auec la Lune, des fins, & madrez marchands & habiles gens au traffic. Auec Saturne il donne le ſçauoir & l’experience des propheties. Et eſt non ſeulement muable ſelon le naturel deſdits planetes ; mais auſſi augmente leurs forces. Car tant plus puiſſant eſt l’aſpect duquel il les regarde : tant plus a-il d’heur pour accroiſtre leurs forces : ioint que par la malignité ou beneficence de cettuy-cy les facultez des autres planetes ou croiſſent ou decroiſſent. Voicy des vers qui expriment la vertu de chacun deſdits planetes, & la diuerſité de leurs inclinations.

En memoire Clion les faicts paſſez ramene, Triſte vn tragique ſon entone Melpomene, Thalie aime comique vn amoureux parler, Les flageois d’vn doux vent Euterpe fait enfler, Les cœurs meut, range, acroiſt de ſon luth Terpſichore, Erato port-arche’pieds, vers, & face encore Branſle auecques meſure : & au fueillet ſçauant Va l’heroique vers Calliope engrauant, Du ciel ſonde le cours et les feux Vranie, Toute choſe de geſte & de main Polymnie Faconde parle & montre. En ces Muſes eſpars L’eſprit Apolliné les meut de toutes pars Par ſa ſaincte vertu. Phœbus tenant ſa place D’elles au beau milieu toutes choſes embraſſe.

Or les Anciens ne leur ont pas ſeulement attribué la faculté de l’harmonie de muſique, mais auſſi l’addreſſe de façonner & dreſſer les mœurs, & moderer les courages à l’encontre de toutes perturbations immoderees. Car celuy qui ayme la Muſique & la Poëſie, n’eſt pas volontiers addonné aux plaiſirs charnels ny à inhumanité : veu que tous vices accompagnent l’oiſiueté, & l’ignorance, non pas l’eſtude des ſciences. De là vient que Pythagoras a tenu la Muſique pour vne ſcience diuine, comme dit Strabon au dixieſme liure de ſa Geographie. Les Anciens doncques croyans que toutes les choſes de ce monde fuſſent aucunement gouuernees & regies par l’entendement diuin, & par les corps celeſtes : ont enſeigné que toute l’excellence de chaſque ſcience eſtoit par les rays du Soleil tranſmife çà bas, & par les autres Planetes auſſi deſployee aux creatures humaines : comme de faict ſans l’aide diuine la force de l’homme eſt bien foible & debile pour faire quelque choſe de bon, & pourtant les Poëtes inuoquent ordinairement les Muſes pour leur aſſiſter en leurs entrepriſes. Ceux qu’on a qualifiez du nom de fils des Muſes, ont eu l’eſprit ſi bon & ſi bien fourny de ſciences, & la ceruelle ſi bien faicte, qu’ils ſemblerent eſtre diuinement enuoyez du Ciel parmy les hommes, comme ainſi ſoit qu’aucun appetit venerien, ou diſſolu, ne peut autrement ſaifir les corps celeſtes. Diſcourons deſormais de Dædale.