Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VII, 19 : De Persee Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
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De Perſee.

CHAPITRE XIX.

Genealogie de Perſee.ACRISE Roy d’Argos, pere de Danaé & ayeul de Perſee fut pour vn ſemblable ſubiect occaſionné de ne donner en mariage ſa fille à perſonne. Car il auoit eu auis de l’Oracle qu’il mourroit de la main d’vn ſien petit fils qui naiſtroit de ſa fille Danaé. Danaé fut mere de Perſee, fille d’Acriſe, Roy d’Argos ; & d’Eurydice, fille d’Eurotee, ou de Lacedæmon, fondateur de Lacedæmone, fils de Semelé, lequel on dit auoir été du temps de Moyſe. Aprés la naiſſance de Danaé, Acriſe s’alla enquerir de l’Oracle s’il auroit point de fils, lequel luy fit reſponſe qu’il n’auroit voirement aucun maſle ; mais qu’il luy naiſtroit vn petit fils de par ſa fille, qui le mettroit à mort, comme eſcrit Pherecydes au premier & douzieſme liure de ſes hiſtoires. Ces nouuelles ouyes eſtant de retour chez ſoy, il fit faire vn cabinet de cuiure au deſſous de ſa ſale ſous terre, comme dit Sophocle en ſon Antigone, où il enferma ſa fille Danaé auec ſa nourrice, & leur donna des gardes pour empeſcher qu’elle ne deuinſt enceinte d’aucun, ſuiuant ce qu’en eſcrit Pauſanias en l’hiſtoire de Corinthe, & Horace au 3. des Carmes :

La tour d’airain les fortes portes, Et l’aſpre guet des chiens veillans Auoit contre les chaleurs fortes Des adulteres aſſaillans De nuict muny ſuffiſamment Danaé cloſe eſtroitement : Si de ſa fille reſſerree Acriſe timide gardeur N’euſt Iupin & la Cytheree Meuz à rire, pource que ſeur Et ouuert le chemin ſeroit Quand en or le Dieu ſe mu’eroit. ”L’or paſſe entre les ſatellites, ”Et va les rochers trauerſant, ”Plus puiſſant que les flammes viſtes Que va le tonnerre lançant.

Or quoy que l’Infante fuſt tres-eſtroittement enfermee, ſoit en vn cabinet ſouſterrain, ſoit en vne tour forte, comme veulent dire les autres, treilliſſee à l’entour de gros barreaux de fer ; tant y a que Iupiter long temps auparauant bleſſé de l’amour de cette belle Princeſſe, la voyant ainſi enfermee, comme le recellement d’vne excellente beauté : ne fait que plus fort aiguillonner ceux qui en ſont amoureux : plus fort embraſé que iamais, ne voyant autre moyen de paruenir à ſon attente ; ſe conuertit en pluye, ou goutte d’or, & ſe gliſſant par entre les tuiles, s’eſcoula iuſqu’au giron de Danaé : laquelle prenant cette goutte d’or, la mit en ſon ſein. Lors Iupiter reprenant ſa forme executa le poinct auquel principalement tous amoureux aſpirent. Quelques-vns diſent qu’Acriſe deſcouurit bien la groſſeſſe de ſa fille, mais qu’il eut patience qu’elle fuſt accouchee : les autres maintiennent qu’elle ſe deliura cachément, & que l’enfant auoit deſia trois ans accomplis deuant qu’Acriſe en euſt rien apperceu : Ce Iupiter Hercien eſtoit le patron & conſeruateur de chaſque famille.qu’alors il amena ſa fille à l’Autel de Iupiter ſurnommé Hercien, c’eſt à dire Repouſſant, dict autrement Penetral ; où l’interrogeant de qui elle auoit conceu cet enfant, elle reſpondit de Iupiter ; ce que ne voulant croire, il fit premierement mourir ſa nourrice, puis enferma Danaé auec ſon fils dans vn coffre de bois, bien clos & fermé de toutes parts, & les ietta dedans la mer à la mercy des ondes. Auantures de Danaé & de Perſee.Ce coffre fut par les vagues pouſſé en l’iſſe de Seriphe, l’vne des Cyclades, où regnoit Polydecte fils d’Androte & de Periſthenes qui fut fils de Damaſtor, qui fut fils de Nauplie, qui fut fils de Neptun. Alors de bon heur Dictys frere du Roy s’esbatoit à peſcher, qui fit auec ſon filé venir à ſoy ce coffre. Danaé le pria de le vouloir ouurir. Ce qu’ayant faict, & appris quels ils eſtoient, il les emmena au logis, & les traitta chez ſoy auec toute courtoiſie, comme ſiens parens & alliez, ainſi que dit Strabon au dixieſme liure. Sur ces entrefaites Polydecte bruſlant de l’amour de Danaé, la ſolicita pluſieurs fois de luy complaire en ſes paſſions, ſans qu’elle y vouluſt aucunement condeſcendre. Et voyant que pour en iouyr il luy falloit proceder de force, ce que toutefois il ne pourroit ſeurement à cauſe de Perſee, qui deſia eſtoit grandelet, pour l’eſloigner d’auec ſa mere, feignit de vouloir appreſter quelques rares preſens pour donner à Hippodame, fille d’Oenomas, qu’il pourchaſſoit en mariage. Et pour cet effect depeſcha Perſee vers les Gorgones pour luy apporter la teſte de Meduſe afin de la preſenter à ſa maiſtreſſe, qui (diſoit-il) deſiroit de l’auoir, eſperant que ſon habileté ne ſe ſauueroit iamais de la violence des Gorgones, & que par conſequent il auroit bon marché de la mere : Mais il en auint autrement. Car Perſee ſurprenant d’abord les ſœurs de Meduſe, leur oſta l’œil & la dent commune entr’elles, & ne les leur rendit que premierement elles ne l’euſſent mené aux Nymphes, par les mains deſquelles il receut le harnois & l’equippage que nous auons deſcrit en Meduſe ; au moyen duquel elle fut miſe à mort, ſa teſte enfermee dans vne poche, & portee à Polydecte. Ce qu’ayant executé, Steinon & Euryale ſœurs de Meduſe pourſuiuans l’aſſaſſin iuſques ſur vn coſtau nommé Argie, & eſperans l’attraper, ietterent vn grand & horrible mugiſſement d’alegreſſe, dont la ville & place y baſtie fut depuis dicte Mycere, du verbe Grec Nykao : qui ſignifie mugir, à la façon des aumailles. Au demeurant quelque diligence qu’Acriſe y peuſt apporter, ſi ne luy fut-il poſſible d’euiter la neceſſité de ſa deſtinee, ny la reſponſe de l’oracle. Car aprés que Perſee eut emporté la teſte de Meduſe à Seriphe, Polydecte ialoux & enuieux de l’honneur qu’il auoit acquis en cet exploit, continua de luy porter mauuaiſe affection, ce que ne pouuant ſouffrir Perſee, en luy repreſentant la teſte de Meduſe, il le transforma & tous les ſiens en pierre. Les autres content que Perſee arriuant à Seriphe rencontra ſa mere Danaé & Dictys s’enfuyant à garand dans vn Temple, pour éuiter l’effort de Polydecte, lequel auoit inuité ſes amis & parens, ayant intention d’eſpouſer Danaé. Mais à la ſuruenuë de Perſee, il fut au milieu du feſtin petrifié auec toute ſa compagnie : & Perſee laiſſant Dictys pour regner en ladicte iſle, ſe retira dans Argos, accompagné d’vne bonne trouppe de Cyclopes, de Danaé, & d’Andromede, Voyez liure 8. chap. 6. & 26.laquelle il auoit deliuree de l’eſcueil où les Nereïdes l’auoient garrothee & miſe à l’abandon d’vne Balaine, d’autant que ſa mere Caſſiope femme de Cephee Roy d’Ethiopie s eſtoit vantee d’auoir vne fille qui ſurpaſſoit les Nereïdes en beauté. Les autres diſent que Caſſiope ſe ventoit elle meſme d’eſtre plus belle que les Nereïdes, voire que Iunon. Ainſi doncques Perſee par la montre de la teſte ſuſdicte, & par ſa valeur remit en liberté Andromede, laquelle le ſuiuit depuis. Mais Perſee arriuant à Argos ne trouua pas Acriſe ſon ayeul, pource que craignant la vengeance de Perſee il s’eſtoit retiré à Lariſſe. Si laiſſa Danaé à Argos chez ſa mere Eurydice, & ſuiuy des Ciclopes & d’Andromede tira droit à Lariſſe où il reconnut Acriſe, & le perſuada de retourner auec luy à Argos. Mais deuant que partir il publia des ieux & jouſtes en ladite ville, où Perſee fut l’vn des champions. Voyez le 1. chap. du 5 liure quant au Cinquerce.Or le Cinquierce n’eſtoit pas encore en vſage, ains chaſque exercice ſe faiſoit l’vn après l’autre. Perſee prenãt vn diſque, le ietta pour montrer ce qu’il en ſçauoit faire, qui du bond aſſena Acriſe ſur le pied, lequel mort de ce coup là, Perſee & les citadins de Lariſſe firent honorablement enſeuelir deuant les portes de la ville. Toutefois Pauſanias en l’hiſtoire de Corinthe ne dit pas que ce fut du bond, mais bien du iect meſme qu’Acriſe fut bleſſé vers la riuiere de Penee ; & que Perſee eſtoit ſi fier de l’inuention qu’il auoit faicte du ſuſdit exercice, qu’il en brauoit deuant toute l’aſſemble. D’autres veulent dire que Teutamys Roy des Lariſſeens celebroit à l’honneur de ſon defunct pere cinq combats de ieux funebres, ainſi que Perſee y arriua : qui jettant la barre bleſſa par meſgarde ſon ayeul à la iambe, dont il ne tarda guere à mourir. Theſee en l’hiſtoire de Corinthe teſmoigne que Perſee eſtant de retour à Argos, & croyant que ce parricide luy tournaſt à grand deshonneur, pria ſon Oncle Prœte de le laiſſer regner ailleurs ; ce qu’ayant obtenu il fonda & baſtit vne ville qu’il nomma Mycene pour y auoir trouué en creuſant les fondemens vne garde d’eſpee que les habitans du lieu appelloient Myceté, d’autres veulent dire que ce nom vient d’vn potiron qui crut là tout à coup, que les Grecs nomment mycés, les autres diſent d’vne fille d’Inache Roy d’Argos nommee Mycene. Or Perſee ayant eſpouſé Andromede en eut vn fils nommé Perſee, lequel il laiſſa chez ſon Ayeul pource qu’il n’auoit point d’enfant maſle. Il en eut auſſi vne fille, Erythre, qui donna nom à la mer Erythræe, que nous nommons mer rouge : & engendra ladite fille deuant que fonder la ville de Tarſe en Cilice, laquelle toutefois quelques-vns veulent dire auoir eſté baſtie par Sardanapale. Il en eut derechef vne autre fille, Gorgophone, comme dit Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe ; qui la premiere entre les femmes conuola aux ſecondes nopces, eſpouſant Oebal aprés le decez de Perier fils d’Æole : au lieu que l’ancienne couſtume des femmes eſtoit de viure en viduité aprés la mort de leurs premiers maris. Enfans de Perſee.On dit auſſi qu’Alcæe, Electryon & Stenel furent fils de Perſee & d’Andromede, ſelon le teſmoignage d’Herodote, qui leur adiouſte encore Meſtor. On luy donne auſſi pour fils vn nommé Erythre, qui regna en cette plage maritime qui depuis a porté ſon nom, où il fut auſſi enſeuely, ſuyuant le teſmoignage d’Arrian au huictieſme liure des geſtes d’Alexandre. On l’appelle abuſiuement mer rouge, cuidans que la rougeur de l’eau l’ait ainſi fait nommer, parce que le mot Erythre en Grec vaut autant à dire comme Rouge. Chap. 11. & 12. du preſent liure.Quant à la guerre qu’il fit aux Gorgones, elle eſt amplement deſcrite cy-deſſus. Cela fait il marcha contre les Mauritains : & combatit les Æthiopiens, là où il eſpouſa ſon Andromede. Puis retournant en Grece il ſe ſaiſit du Royaume d’Argos par la defaite de Prœte ſon oncle, & de Polydecte (que la Fable dit auoir été par la montre de la teſte de Meduſe transformé en rocher) Roy de l’iſle de Seriphe, deſquels il auoit receu pluſieurs outrages. En aprés il fonda en Helicon vne eſcole pour l’exercice des lettres ; & pour ce ſubiect les Poëtes & Mathematiciens ont tant magnifié la memoire & excellence de ſa celebrité, qu’ils l’ont logé parmy les Eſtoilles. En fin il fut enſeuely ſur le grand chemin qui va de Mycene à Argos, à main gauche, auec l’honneur accouſtumé d’eſtre fait aux Heros. Voila ce qui ſe trouue de Perſee outre ce que nous en auons dict és Gorgones & en Meduſe.

Application hiſtorique.Ceux qui veulent rediger ces contes en hiſtoire diſent, que Phorcys Roy de Cyrene, fit en ſon viuant faire vne ſtatuë d’or à Minerue, que les Cyreniens nomment Gorgone, ainſi que les Candiots appellent Diane, Dictyne, & les Lacedæmoniens, Vpis, Liure 7. chap. 11. & 12.Mais deuant que pouuoir conſacrer ladite image au Temple de Pallas, il mourut, laiſſant trois filles heritieres de ſon Eſtat, deſquelles nous auons traicté cy-deſſus. Ces Princeſſes ayans faict vœu de chaſteté prirent reſolution de paſſer leur vie en pudique & virginale continence ; & diuiferent entre elles la ſucceſſion paternelle, qui conſiſtoit en trois iſles ſituees entre les colomnes d’Hercule, & fut chacune appanagee d’vne pour ſa part & portion hereditaire. Or en partageant les meubles, elles conueindrent de ne lotir point la ſtatuë de Minerue Gorgone, & ne la dedier à la Deeſſe, ains que chacune la poſſederoit à ſon tour, & par certaine meſure de temps la retiendroit en ſa puiſſance, & garderoit ſoigneuſement comme threſor de grand prix. Alors eſtoit en cette contree vn notable ſeigneur, perſonnage de grande prud’hommie, honneſteté, ſageſſe, & accomply de toutes autres vertus, lequel auoit eſté familier & fidelle amy du Roy Phorcys : pour ceſte cauſe ces trois Princeſſes ne ſe conduiſoient en leurs affaires que par l’aduis & conſeil de ce ſage ſeigneur, qui leur eſtoit comme vn œil ou miroir par lequel elles guidoient entierement le train de leur Eſtat. Sur ces entrefaictes Perſee, que Polydecte auoit frauduleuſement detracqué de ſa Cour, veint anchrer és Iſles ſuſdites, où premierement par pluſieurs entreueües & parlemens il eſſaya de prattiquer ces Princeſſes, pour amiablement obtenir d’elles ceſte effigie : toutefois pour neant & ſans effect ; ce qui fûſt cauſe qu’il y proceda par vne autre voye. Et cognoiſſant que ce ſage Conſeiller d’Eſtat nuiſoit fort à ſon deſſein, il ſe ſaiſit de ſa perſonne, & le reteint priſonnier, au deſceu des Princeſſes ; leſquelles eſtonnees de la longue abſence de leur conducteur, entrerent en ſoupçon & deffiance l’vne de l’autre, s’entr’accuſans de retenir leur œil (ainſi le nommoient elles par honneur) c’eſt à dire, leur conducteur au preiudice du Royaume, & contre leur conuention. Comme chaſcune ſe fut à bon eſcient exeuſee, & ſuffiſamment purgee de ce blaſme, Perſee ſuruint, qui les trouuant fort eſpleurees & dolentes de la perte qu’elles penſoient auoir faicte, leur fit entendre que leur œil eſtoit entre ſes mains, & n’eſtoit pas deliberé de le remettre en liberté, que premierement elles ne luy donnaſſent auis de la Gorgone, afin que ſuiuant la charge qu’il en auoit, il s’en peuſt emparer, adiouſtant à telles & autres paroles des rudes menaces de mort en cas de re- fus. Meduſe peu effrayee de telles & importunes menaces, ne voulut oncques deſcouurir le lieu de la ſtatuë d’or, de façon que Perſee pour intimider ſes ſœurs, la tua : les autres eſpouuentees de ce ſpectacle luy liurerent & mirent entre mains ce precieux ioyau. Quoy faict il leur rendit leur œil, & les laiſſa iouyſſans en paix de leur Eſtat. Perſee ayant en ſa puiſſance cette riche Gorgone, la briſa en pluſieurs pieces : & poſa le chef d’icelle en ſa nef, que pour ce ſubiect il nomma Gorgone. A ſon retour il vint d’auenture ſurgir à Seriphe, ville capitale d’vne iſle portant meſme nom, de laquelle il ſomma les habitans de luy fournir certaine quantité d’or, comme il auoit faict à pluſieurs autres places, leſquelles au refus de ce faire il auoit ſaccagees, & faict paſſer les citadins au fil de ſon eſpee. Les Seriphiens eſtonnez de cette nouuelle impoſition, s’aſſemblerent en armes afin de luy reſiſter : mais mal informez des forces qu’il menoit quant & ſoy, aprés s’eſtre quelques iours tenus ſur la defenſiue, n’ayans, comme ſurpris au depourueu, moyen de la faire longue, abandonnerent la ville, ſi bien que Perſee ſe iettant dedans ne trouua perſonne ſur qui deſcharger ſa colere, fors les pierres des baſtimens : cauſe que depuis, plus par iactance que par autre ſubiect, il tira cette aduenture en conſequence, à l’endroit des autres habitans des places ſur leſquelles il vouloit ſeigneurier, les aduertiſſant qu’ils auiſaſſent à leurs affaires, de peur qu’il ne leur aduint comme aux Seriphiens, leſquels en leur exhibant le chef de la Gorgonne il auoit muez en pierres : & que ce mal leur eſtoit aduenu pour leur rebellion. Voila ſurquoy l’on tient que les Anciens ont aſſis le fondement de la Fable ſuſdite des eſtranges effects du chef de Meduſe.

Mythologie de Perſee.Ce que Danaé fut encloſe, comme nous auons ouy, & que Iupin mué en or l’ait engroſſie, ne fignifie autre choſe ſinon que par preſens & largeſſe on vient à bout de toutes choſes, & que rien ne ſe peut garantir d’auarice. Ce que demonſtre Paulus Silentiarius en vn Epigramme Grec, diſant que Iupiter conuerty en goutte d’or trancha le nœud de la non atteinte virginité de Danaé, s’eſcoulant de dans la chambre ou cabinet d’icelle faict d’airain duit au marteau. Ie tiens (ce dit-il) que cette Fable ſignifie que l’or dompte tout, penetre iuſques és plus creux cachots ſouſterrains, briſe les plus forts liens, deſrompt les correaux, barres & ſerrures des portes les mieux ferrees ; flechit & ploye les plus haultains ſourcils. C’eſt luy qui gaigna le courage de Danaé : tout amant qui tient l’or au poing n’a que faire de ſacrifier à Venus. Car depuis que la valeur & le prix de l’or eſt paruenuë à la connoiſſance des hommes, ils en ont tant faict d’eſtime qu’ils luy ont attribué & aſſuietty toutes les loix d’honneſteté, tous droits d’humanité, voire meſme bien ſouuent la ſaincte Religion de Dieu ; comme de faict il ſe trouue plus de perſonnes qui plus adorent, recherchent, ayment & reuerent leur ors & argent, que le vray Dieu, combien que de bouche & en apparence ils veulent paroiſtre fort religieux : & principalement és bonnes & grandes villes, où plus aſprement regne l’auarice, l’ambition & toute licence desbordee. Quant à ce qu’elle fut expoſee dans vne huche à la mercy de la mer, il n’y a point d’inconuenient qu’il ne puiſſe eſtre vray. Allegorie ſur Perſee.Que Perſee ait faict ce que nous en auons declairé cy-deſſus, cela eſt fabuleux, & ne le faut entendre ſelon la lettre. Car Perſee eſt la raiſon & prudence de noſtre ame : & Meduſe eſtant, ou vne putain, ou cette naturelle concupiſcence & volupté, qui oſtant la raiſon aux creatures humaines, les transforme comme en beſtes deſraiſonnables, (ce qui s’entend par cette tranſmutation en pierres) les rendant inutiles à toutes bonnes œuures, Perſee vient à la tailler en pieces, & donne la teſte d’icelle à Pallas, qui la fiche en ſon pauois. Cela ne ſignifie autre choſe, ſinon que la ſageſſe a pareille force que la volupté ; & qu’il n’y a pas moins de plaiſir és choſes loüables & honneſtes, qu’és actes charnels & veneriens, mais nous nous ſeruons de la raiſon, qui nous amene à cette connoiſſance : & pourtant Perſee ayant abbatu le chef de cette Meduſe, la porte à Pallas, ſelon que nous l’auons amplement expoſé au chapitre de Meduſe. Il fit de la faſcherie à Polydecte ; d’autant que la raiſon ne s’eſleue pas ſeulement à l’encontre des voluptez, mais auſſi donne main-forte aux autres entant qu’elle en a de moyen. Car celuy n’eſt pas ſeulement homme de bien & iuſte qui ne faict point d’iniquité : mais auſſi celuy qui ſelon ſa puiſſance empeſche que les autres ne commettent aucun acte inique. Le conte dict que par l’aide des Dieux il eſchappa la violence des Gorgones, & tua Meduſe, qu’il n’eſtoit loiſible à perſonne d’enuiſager ſeulement : pource que ſans l’aide de Dieu toute ſageſſe humaine eſt trop debile ; ſans lequel nous ne pouuons bonnement euiter les amorſes des voluptez ; car c’eſt vn don de Dieu qu’eſtre homme de bien. Les autres ont dit qu’il faut prendre hiſtoriquement ce que Perſee fils de Iupiter mit à mort cette Gorgone, puis s’enuola aux Cieux : comme ainſi ſoit qu’il tua le tyran de Candie, ou (ſelon les autres) d’Arcadie, ou d’Athenes, pour lequel chef-d’œuure il fut eſleué iuſques aux cieux : ou bien (ce qui conuient mieux à la raiſon) de la grand’ioye & contentement qu’il receuoit, voyant que l’iſſuë de ſes actions & proüeſſes reſpondoit à ſon contentement & ſouhait. Les autres entendent par cecy l’immortalité de l’ame, qui par vn mouuement continuel faict la generation & corruption, mais vainquant neantmoins les choſes inferieures, & ſe depeſtrant de cette maſſe terreſtre s’enuole finalement au Ciel. Et n’eſt loiſible à perſonne d’auoir long temps la veuë fichee ſur les voluptez : parce que ſi quelqu’vn s’amuſe trop à les conſiderer, il ne leur eſt pas malaiſe de le garotter & mener captif. Ce nonobſtant Charés de Mitylene au deuxieſme liure de ſon hiſtoire dit que ce ne fut pas Iupiter, mais bien Prœte oncle de Danaé qui la força, dont naſquit Perſee : & que puis aprés elle eſpouſa Pilumne Roy de l’Apoüille, auquel elle engendra Daune. Mais pource que cela ne conuient pas à noſtre propos, nous nous en deportons.