Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VIII, 05 : D’Inon & Palemon, autrement de Melicerte Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Inon, & de Palæmon, autrement Melicerte.

CHAPITRE V.

Genealogie d’Inõ & de Palæmon.LES Anciens ont auſſi creu qu’Inon & Palæmon ſon fils preſidaſſent ſur les voyageans en mer, & les ont nombrez entre les Dieux marins. Elle fut fille de Cadme & de Harmonie, celle de qui les Muſes chanterent le chant nuptial : & eut pour ſœurs Semelé, Agaué, & Autonoé femme d’Ariſtæe, ſelon Heſiode. Inon puis aprés fut mariee à Athamas Roy de Thebes, laquelle (Voyez li. 9. chap. 9.comme nous auons dict ailleurs) haïſſoit à mort, comme maraſtre, les enfans de Nephelé, & auoit faict accroire au Roy Athamas par la bouche des haruſpices (qui par l’inſpection des entrailles & freſſures des beſtes ſacrifiees faiſoient profeſſion de deuiner les choſes à venir) leſquels elle auoit corrompu pour ce faire, qu’il deuoit immoler aux Dieux tous les ans en la ſaiſon des ſemailles l’vn des enfans qu’il auoit eus de ſon premier lict auec Nephelé, affin de remedier à la ſterilité de l’annee. Quelque temps apres, voicy que Iunon, qui vouloit vn mal de mort aux Thebains, pource que Bacchus & Hercule, enfans concubinaires, eſtoient nez à Thebes, & qu’Inon tenoit la main aux honneurs diuins qu’on donnoit à Bacchus, fit inſenſer Athamas, lequel ainſi tranſporté de furie fit mourir ſon fils Learche qu’il auoit eu entre autres d’Inon : laquelle voyant ce piteux ſpectacle, empoigna ſon autre fils Palæmon, & craignant la fureur du Roy s’alla precipiter auec ſondit fils de la pointe d’vn rocher dans la mer. Quelques-vns diſent que Iunon fit auſſi perdre le ſens à Inon, pource que ſes filles auoient engendré & nourry Dionyſe. Mais Nymphodore de Saragoçe au liure de la nauigation d’Aſie, eſcrit que ce ne fut pas Athamas, mais bien Inon enragee qui mit à mort ſes enfans, Learche & Palæmon : & que puis-aprés impatiente de douleur & deſeſperee, elle s’eſlança dãs la mer afin d’y eſtre eſtouffee. D’autre-part Dorion au liure des poiſſons dit qu’Athamas tranſperça d’vne fleche le corps de Learche, & qu’Inon eſgorgea Melicerte, laquelle depuis ſe noya. Ouide au quatrieſme des Metamorphoſes rapporte qu’Athamas arracha Learche d’entre les bras d’Inon, & que nonobſtant que ce ioly petit enfant tendiſt les mains à ſon pere, comme par vne careſſe enfantine ſe voulant ietter à ſon col, la rage luy commanda tant qu’il le rouâ en l’air ainſi qu’on fait vne fonde, & le froiſſa contre vn pilier qui luy fendit la teſte en deux. Alors Inon prit ſa courſe contre Melicerte pour le ſauuer, inuoquant Bacchus à ſon aide :

—mais Iunon Se prit à ſe ſouſrire en ſe mocquant d’Inon. Apelle, appelle fort, ton Bacchus (ce dit-elle) Qui fut ſi tendrement nourry de ta mammelle.

Peruerſité d’vne maraſtre.Les autres dient qu’Inon ſe ſauua de deuant la furie d’Athamas auec ſon fils Melicerte, apres auoir ietté dans vne chaudiere d’eau boüillante Learche qu’Athamas auoit tué. Mais Polyzele en l’hiſtoire de Rhodes eſcrit qu’Athamas fit porter la folle enchere aux enfans d’Inon, pource qu’il deſcouurit qu’elle ayant faict frire les ſemences par ſes fermiers, il auoit par la fraude & l’impoſture d’icelle Inon faict mourir innocemment les enfans de ſon premier lict deſcendus de Nephelé, & que les Orchomeniens n’eſtoient trauaillez de famine, ſinon par le moyen de ceſte mauuaiſe femme Inon. Elle s’enfuit donc en la montagne de Geran entre Megare & Corinthe, & montee ſur la roche de Moluris ſe ietta dans la mer, comme dit Pauſanias és Attiques, ſuiuant la plus commune opinion. Ce que teſmoigne encore Ouide, au quatrieſme des Metamorphoſes.

Vne roche en ces lieux eſt en mer eminente, Dont le deſſous creuſé par l’onde flo-flotante Tient à couuert des eaux qu’aura l’air eſlancé. Le deſſus eſt affreux, & d’vn front auancé Regarde bien au loing la plaine d’Amphitrite. Inon gagne ce roch (la fureur qui l’agite Luy donnant cette force) & ſe deſroche en bas Auec ſon cher enfant ſans craindre le treſpas.

Amitié du Dauphin ordinaire enuers l’hõme.Vn Dauphin ſuruint, qui porta leurs corps au riuage de Schenunce, où Amphimaque & Donacire les recueillirent & emporterent à Siſyphe Roy de Corinthe leur oncle paternel, & depuis y furent Deïfiez ; elle ſous le nom de Leucothee, c’eſt à dire, Blanche Deeſſe ; luy, de Melicerte. Alors les Nereïdes faiſoient le bal en cet endroit là, & apperceuans cet eſclandre, dirent qu’elles danſoient à l’honneur de Melicerte pour gratifier Siſyphe fils d’Æole. Siſyphe à l’honneur de ſon nepueu inſtitua les ieux Iſthmiens. Mais quant au corps d’Inon, les Megariens diſent que la mer le pouſſa ſur leur havre, & que Cleſon & Tauropolis filles de Cleſon le recueillirent, & l’enterrerent. Les Latins l’ont appellee Matute, pource qu’elle ſe leue matin, comme dit Cic. és Tuſc. queſtions. Et Lucrece au 5. liure teſmoigne qu’elle porte l’Aurore à trauers les regions de l’air, & donne ouuerture au iour, d’où l’on recueille qu’elle n’eſt autre que l’Aube du iour meſme. Elle fut qualifiee du nom de Leucothee en vne bourgade prés de la ville de Corone en la Moree, & dés-lors deïfiee, ſelon Pauſanias és Meſſeniaques. On luy a attribué beaucoup de pouuoir en la garantie & deliurance des nauigeans, & pour rendre la mer calme. Ainſi nous l’apprend Orphee en ſes hymnes :

La fille de Cadmus i’inuoque, Leucothee, Deeſſe à grand pouuoir, Deeſſe redoutee, Qui iadis alletta le bien treßé Denys. Saincte Dame enten moy, qui ſous ton ſoing regis Du boüillonnant Neptun les vagues eſcumeuſes ; Et qui fends volontiers ſes ondes ſinueuſes : Qui tiens pour les Nochers ton ſecours appreſté. C’eſt par toy que les nefs d’vn cours non-arreſté, Vn propice Zephyr les pouſſant par derriere, Sillonnent ſur la mer vne viſte carriere.

Or Venus ayeule d’Inon, à force de prieres impetra de Neptun qu’Inon & Melicerte fuſſent faicts Dieux marins, ſelon le teſmoignage d’Ouide au liure ſus-allegué, adiouſtant que Neptun meſme leur donna ces noms nouueaux :

Mais Venus pitoyant la cruelle fortune Non digne de ſa niepce, à ſon oncle Neptune D’vn viſage mignard vint ainſi ſupplier : O puiſſance des eaux, qui ſous toy fais plier Toutes choſes en mer, comme au Souuerain Pere Des hommes et des Dieux tout le Ciel obtempere, Ce que ie quiers eſt grand : mais vueille auoir pitié Des miens leſquels tu vois par fiere inimitié Precipitez en mer : mets les auec la race De tes Dieux ſur leſquels i’ay gaigné quelque grace. Si l’exauça Neptun, à tous les deux oſtant Ce qui mortel eſtoit & leur chef reueſtant De graue majeſté & de gloire nouuelle, Leur fait changer de nom, leur face renouuelle. Du nom de Leucothee il qualifie Inon ; Melicerte ſon fils, de cil de Palæmon.

Pauſanias és Attiques eſcrit que Melicerte eſtant tumbé de la roche de Moluris, fut recueilly par vn Dauphin, & poſé en l’Iſthme de Corinthe, où d’vn nouueau nom il fut appellé Palæmon ; & qu’entre autres honneurs ladite roche luy fut conſacree, & les iouſtes & tournois Iſthmiens inſtituez pour l’amour de luy par Siſyphe regnant pour lors à Corinthe, oncle de Melicerte, & fils du frere d’iceluy. Eſquels ieux les vainqueurs furent premierement couronnez de chappeaux de fueillages de pin, puis aprés d’aſche ſeiche. Muſæe au liure qu’il a eſcrit des ieux Iſthmiens, dit qu’on y faiſoit deux ſortes de tournois ; l’vn à l’honneur de Neptun, l’autre de Melicerte. Il ſemble qu’Apollonius au 3. liure des Argonauchers ſoit de cet auis, qu’on les celebraſt auſſi pour l’amour de Neptun, diſant :

Tel que ſur ſon carroſſe en l’Iſthme, s’achemine A quatre forts roußins Neptun guide marine Pour aßiſter aux ieux.—

Depuis ce temps-là Palæmon fut rangé parmy les Dieux marins, comme teſmoigne Orphee en ſes hymnes :

Palæmon allaicté d’vne meſme mammelle Que le gaillard Bacchus, humblement ie t’appelle Toy citadin de Mer, & qui calme ſes flots, Vien propice aßiſter à tes ſacrez deuots : Sors des creux engouffrez, & d’vn benin viſage Sois patron tant de ceux, qui deſſous le ſolage Inuoquent ton ſainct nom, que des pieux Nochers Qui craignent en cinglant l’orage & les rochers. Tu garantis touſiours de froidure engelee Le nauires voguans ſur la plaine ſalee. Tu te fais des humains ſeul patron & Sauueur, Des vagues apaiſant l’eſcumeuſe rigueur.

Vœux aux Dieux marins.Semblablement Euripide en ſon Iphigenie appelle Palæmon gardien & ſauueur des nauires : & Lucian, Poëte d’Epigrammes nous apprend que ceux qui ſe ſauuoient de la tourmente, offroient quelque vœu aux Dieux marins, pour action de graces, comme faict cettuy-cy :

A Inon, Melicerte, à Glauque & à Neree, Aux Dieux de Samothrace, à Iupin de maree, Ie, Lucille, ſauué des boüillons orageux, N’ayant qu’offrir ie puiſſe, offre ces miens cheueux.

Cettuy-cy n’auoit que faire de chariots pour ſe faire porter, car il ſçauoit trop bien nager, comme le monſtre Ouide en l’epiſtre de Leandre eſcriuant à Hero :

A bien fendre les eaux & d’vne adreſſe experte, I’acquerray plus d’honneur que n’a faict Melicerte ; Voyez le chap. ſuiuant.Plus que celuy qui l’herbe admirable mangea, Et parmy les grands Dieux, luy faict Dieu, ſe rangea.

Les Latins l’ont nommé Portun, & pourtraict auec vne clef en la main droite, pour montrer que preſidant ſur les ports & havres il les defendoit de l’incurſion des ennemis : & les ieux & tournois qu’on celebroit en ſon honneur, ſont appellez Ieux Portunaux. La couſtume eſtoit de luy ſacrifier vn enfant ; & eſtoit plus qu’en aucun lieu reueré en l’iſle de Tenede prés de Troye. Au reſte ce Dieu des mariniers & des nauigeans fut enſeuely en l’Iſthme, où depuis fut dreſſee la lice pour les ieux Iſthmiens. Voila ce que les Anciens nous apprennent d’Inon & de Melicerte, dont il nous faut extraire la verité. Qu’Inon ait eſté fille de Cadme & d’Harmonie, cela ne repugne point à l’hiſtoire, ny que ſon enfant ait eſté par le pere Athamas froiſſé contre vne pierre, ny qu’elle ſe ſoit auſſi precipitee en la mer auec ſon autre fils : Mais que tous deux ayent eſté faicts Dieux, cela n’a rien de commun auec la verité.

Expoſitiõ de la Fable ſuſdite.Qu’eſt-ce donc qu’ils ont voulu enſeigner par telle fiction ? Nous auons dit ailleurs que l’ambition de quelques anciens Princes fut ſi outrageuſe que de dreſſer des Autels, eſtablir des Preſtres & des Religieux, & fonder des ſeruices à quelques-vns de leurs anceſtres, ou quoy que ſoit, de leur race. Ainſi Siſyphe conuertit en l’honneur de Melicerte ſon nepueu, les tournois de l’Iſthme qui ne ſe faiſoient que pour l’honneur particulier de Neptun : & pourtant le bruit courut que Neptun leur auoit faict part de ſon empire marin, & dés lors ils furent en credit comme Dieux marins. Les Romains auſſi voulans imiter la ſuperſtition des Grecs, inſtituerent des ieux funebres pour honorer la memoire de quelques-vns de leurs Princes, qu’ils ont ſemblablement placez au rang des Dieux. Car tout ainſi que l’auarice, le plus infame de tous les vices a ſaiſi le courage de la plus grand’part des Princes de noſtre temps : auſſi l’ambition auoit aueuglé l’eſprit de ceux des Anciens. Leucothee, que les Latins appellent Matute, eſt l’aube du iour : Palæmon, ou Portun, la violence de la tourmente : car pallein en Grec ſignifie le meſme que ſecoüer, eſmouuoir, agiter : de là eſt extraict le nom de Palæmon. Il eſt fils de Matute ou de l’Aurore, parce que les vents commencent ordinairement à ſouffler ſur le poinct du iour. Et d’autant qu’alors ils donnent ſur la mer, on dit qu’ils ſe precipiterent en icelle, comme il y a plus d’apparence, pource que l’Aurore eſt vne bien certaine meſſagere des vents & des tempeſtes, auſſi bien que du beau temps. On les a tenus pour Dieux des nauigeans, parce que les vents à la verité commandent ſur ceux qui voguent en mer : que s’ils ſont benins & fauorables, les nauires pourſuiuent heureuſement leur route. C’eſt pourquoy Virgile dit au 2. des Georgiques :

Les nochers garentis ſur le bord de la mer Accomplirent leurs vœuz au fils de Panopæe Glauque, & à Palæmon fils d’Ino Leucothee.

Intentiõ des anciẽs en la cõpoſition de cette Fable.Ainſi doncques les bonnes gens ont voulu donner à connoiſtre par cette Fable, que ceux qui voyagent ſur la mer, ſe commettent à la diſcretion & legereté des vents : & pourtant s’il leur arriue quelque malencontre, ils n’ont aucun ſubiect de ſe plaindre de la clemence ou debonnaireté de Dieu, mais ſeulement de leur imprudence & temerité : veu qu’eſtans en lieu ſeur ils ſe vont de gayeté de cœur fourrer en tels haſards. Cette Fable eſt propre pour auſſi accoiſer les troubles des eſprits, & pour exhorter les grands à beneficence & liberalité, puis que Inon tant affligee par Iunon pour auoir librement eſleué le pere Liber a puis aprés acquis tant de felicité. Car bien que les gens de bien ſoient quelquefois affligez pour auoir bien-faict, & qu’ils endurent des calamitez domeſtiques ; toutefois il n’y a homme craignant Dieu qui puiſſe longuement eſtre malheureux ; car y a-il ſi grande affliction, ſi eſtrange malheur, que la miſericorde & bonté de Dieu ne puiſſe conuertir en vne plus parfaite felicité ? Voila donc l’intention des Anciens, de nous apprendre à mettre noſtre fiance en la grace de Dieu, comme ainſi ſoit qu’il n’abandonne iamais les iuſtes : & que ſa clemence & grauité eſt ſi grande qu’elle ſurpaſſe meſme l’eſperance des hommes à ſecourir ceux qui ſouffrent iniuſtement. Diſcourons maintenant de Glauque.