Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VIII, 06 : De Glauque Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Glauque

CHAPITRE VI.

Cauſe de la deification de Glauque abſurde.GLAVQVE, qui d’homme mortel deuint auſſi Dieu marin, a eſté deïfié par vn moyen & ſubiect non moins abſurde que les autres. Sa Genealogie.Strabon au 9. liure dit qu’il fut fils d’vn certain Anthedon Bœocien ; cependant Theophraſte au 5. liure de ceux qui viuent en terre ſeiche, le fait fils de Polybe, fils de Mercure & d’Eubœe : & Promathidas d’Heraclee le tient pour fils de Phorbe & de Panopæe, & natif d’Anthedon, belle & bonne ville en Bœoce. Virgile conſent à cet aduis quant à ſa mere, au paſſage ſus allegué. Les autres diſent que ſon pere s’appelloit Nopee, & Thelit Methymnæen l’introduit parlant ainſi de ſoy-meſme.

Prés des flots eſcumeux eſt la ville Anthedon, Vis à vis de l’Eubœe & du bord Euripee. C’eſt là que ie ſuis né : mon pere eſtoit Nopee.

Euanthe, Poëte heroïque dit qu’il fut fils de Neptun & de Næde. On luy donne la reputation d’auoir eſté d’vne complexion fort amoureuſe : car il rauit vne fois Ariadne à Die, l’vne des iſles Cyclades en l’Archipel : ce que Bacchus ayant deſcouuert, il le garrotta de liens de pampre : mais depuis le laiſſa aller. Il enleua auſſi vne autrefois Syme, fille d’Icleme & de Doris, & la tranſporta en Aſie : puis ayma Hydne, fille de Scylle, natif de Sicyone tres-excellent nageur. Les autres diſent que c’eſtoit vn peſcheur d’Anthedon. Ouide eſt de cet auis au 13. des Metamorphoſes, où il l’introduit amadoüant ainſi Hydne, laquelle ayant veu ſa forme, demeura toute eſtonnee, ne ſçachant ſi elle le deuoit prendre pour vn monſtre, ou pour vn Dieu marin :

—Vierge, ie te promets Que ie ne ſuis point monſtre, & ne le fus iamais : Mais Dieu regnant en mer, & de telle puiſſance Qu’à Prothé ie ne dois aucune obeyſſance ; Palæmon meſmement & Triton renommez, Ne ſont point chez Neptun plus grand que moy nommez. Ie fus pourtant iadis né de nature humaine, Qui prenois mes esbas ſur l’azuree plaine, Et m’exerçois à tendre, ou rets, ou hameçons Pour d’vn trompeur appaſt deceuoir les poiſſons ; Or’ le roſeau prenois, & aßis ſur vn tertre, Les refaire, ou lacer, me venois entremettre.

Quelques-vns diſent qu’il baſtit la nef d’Argo, & qu’il en fut gouuerneur lors que Iaſon combattit les Toſcans, & ſeul eſchappa ſans eſtre bleſſé ; ainſi le teſmoigne Poſſis au 3. liure de l’Amazonide. Les autres eſcriuent qu’il demeuroit en Delos, qu’auec les Deeſſes Nereïdes il prophetiſoit en l’Oracle, & qu’Apollon meſmes apprit de luy la ſcience de deuiner ; c’eſt le dire de Nicander au 1. des Georgiques. Quant à ſa diuinité, voicy comme il l’acquit. Ayant vn iour pris vne grande quantité de poiſſons qu’il portoit à la ville, il aduint que la charge luy peſa tant ſur le dos, que pour ſe ſoulager il la mit bas ſur vne touffe de ie ne ſçay qu’elles herbes inconnuës, leſquelles ils n’eurent ſi toſt touchees qu’ils commencerent à groüiller, puis en ayant mangé ſe prindrent à nager tout ainſi que s’ils euſſent eſté dans les ondes. Glauque bien eſtonné de ce ſpectacle, voulut auſſi gouſter de cette herbe tant admirable, laquelle dés qu’il eut miſe en ſa bouche, il ſentit ſon corps tremouſſer & aſpirer à vne diuine nature, en laquelle transformé il ſe plongea quand & quand en la mer comme auoient faict ſes poiſſons, où les Dieux marins le receurent en leur compagnie. Mais Ouide dit que cela aduint comme il s’amuſoit à conter les poiſſons qu’il auoit peſchez, en vn pré ſitué prés du bord de la mer ; & que les poiſſons ayans ſeulement touché ladicte herbe ſans en gouſter, s’enfuyrent ſoudain replonger en la mer :

I’entray donc le premier dedans ce ioly pré Secher mon lin moüillé, où ayant rencontré Vn glaſon ie poſay ma brigade captiue Afin de la conter, celle qui peu craintiue Dans mes filets ouuerts s’eſtoit venu ietter, Et celle qui oſa trop credule taſter Mes hameçons crochus. Cecy ſemble vne fable, Mais quoy ? deſguiſeray-je vn conte veritable ? Ie n’eus pas mes poiſſons deſſus l’herbe bouttez, Que ie les vis groüiller & mouuoir les coſtez, Noüans ſur terre ainſi qu’ils faiſoient chez Neptune. Et comme i’admirois cette eſtrange fortune, Voulant en voir la fin, treſtous d’vn meſme port Se cachent dans la mer quittans leur maiſtre au bord.

Ce que Glauque ayant doncques deſcouuert, mit auſſi de cette herbe en ſa bouche, dont s’enſuiuit l’iſſuë cy-deſſus deſcrite. Ce non-obſtant beaucoup d’autres maintiennent que lors de la guerre de Iaſon en la Toſcane, il fut par l’arreſt de Iupiter ſubmergé & noyé en pleine mer : & fut faict Dieu marin : n’apparut qu’à Iaſon. Les autres veulent dire qu’vn iour comme il couroit vn lieure ſur la montagne d’Orie en Ætolie, laquelle eſt tres-haute, & que l’ayant pris il le porta vers vne fontaine, en laquelle il ſe mit à brouter d’vne certaine herbe, qui le refit ſi bien, que tout auſſi toſt il fut délaſſé de la fatigue & du trauail qu’il auoit ſouſtenu toute la iournee, & fut remis en pleine vie. Glauque ayant auſſi gouſté de cette meſme herbe, deuint au meſme inſtant Dieu marin. Les autres diſent que s’ennuyant de viure il ſe precipita dans la mer. On dit qu’il eſtoit truchement & prophete de Neree ; ainſi le teſmoigne Euripide en ſon Oreſte, & Apolloine au 1. liure. D’autre part Strabon au 9. liu. dit qu’il fut tranſmué non pas en Dieu marin ; mais bien en balaine. Au demeurant encore qu’il ait eu la compagnie de pluſieurs femmes ; comme d’Ariadne, d’Europe fille de Miree, de Hydne fille de Scylle, de Syme fille de Ioſeme : ſi ne fait-on point de mention qu’il ait engendré aucuns enfans. Mais Clearche Solien au 7. liure des Vies, raconte vne Fable du tout differente de la ſuſdite, la- quelle Iſace recite pareillement. Autre Fable de Glauque.Il dit donc que Glauque fut fils de Paſiphaé, lequel courant apres vne ſouris ſe laiſſa choir dans vn tonneau plein de miel, où il fut eſtouffé. Et comme ſon pere Minos le cerchoit ſans en pouuoir ouïr nouuelles, on luy donna aduis que l’homme qui luy pourroit dire à qui reſſembloit le bœuf à trois couleurs de Minos qui paiſſoit emmy les champs, luy monſtreroit ſon fils & le reſtitueroit en vie. Polyide luy dit qu’il reſſembloit au fruit que porte l’eglantier. Là deſſus Minos le fit prendre, & luy commanda de luy enſeigner où eſtoit ſon fils ; lequel par le moyen de ſon art de deuiner, luy dit, qu’il eſtoit mort dedans vn tonneau de miel. Glauque doncques ayant eſté trouué tout mort, fut enfermé dans vne chambre auec Polyide afin qu'il le reſuſcitaſt : lequel apperceuant de fortune vn ſerpent qui s’approchoit du treſpaſſé, & voulant irriter ledit animal afin que par quelque ſienne picqueure il le fiſt mourir, le contraire aduint. Car il tua d’auenture le ſerpent. Puis aprés en vint vn autre apportant ie ne ſçay quelle herbe à ſon compagnon mort, laquelle luy ayant miſe en la bouche il reuint en vie. Polyide ſuiuant cet exemple appliqua de cette herbe ſur le corps de l’Infant deffunct, & par ce moyen le reſucita. En ſuite de cela Minos contraignit Polyide d’apprendre à ſon fils Glauque la ſcience de deuiner, deuant que luy donner congé de s’en retourner à Argos, ſa patrie. Quelques anciens Autheurs nous racontent que ce ieune Prince Glauque beut vn iour du miel outre meſure, dont luy ſuruint vn tel trouble, & vne ſi exceſſiue & ſi grande abondance d’humeur colerique, qu’il en perdit l’eſprit, & deuint du tout inſenſé. Le Roy Minos extremément affligé, de l’inconuenient ſuruenu à ſon fils, eſſaya tous les moyens de luy faire recouurer ſa ſanté, aſſemblant pour cet effect les plus fameux Medecins & Chirurgiens de ſon temps : entre leſquels arriua en ſa Cour vn Medecin fort ſçauant & experimenté, nommé Polyide, lequel ſe preſentant & s’offrant au ſeruice de ſa Majeſté, promit faire ſi bien ſon deuoir enuers le malade, qu’il le rendroit en fort peu de iours ſain & ſauf de ſon infirmité. Ce qu’il fit par l’operation & moyen d’vne certaine herbe dont il auoit la connoiſſance. Depuis le bruit courut par tout que l’Infant eſtoit mort par le bruuage du miel, & depuis rappellé & deuenu en vie par le ſoing & cure faicte en ſa perſonne par le Medecin Polyide. Au reſte quelques-vns des Anciens attribuent cette guariſon auoir eſté faicte par Æſculape. On dit qu’il y a eu vn autre Glauque, fils de Siſyphe, lequel auoit vn haras de iumens qu’il nourriſſoit de chair humaine, & les empeſchoit d’auoir l’eſtalon, afin qu’elles fuſſent plus viſtes. Venus en fut tellement faſchée que les eſchaufant d’vne rage amoureuſe, elles ſe ruerent furieuſement ſur leur maiſtre meſme, & le mirent en pieces ; ce que Virgile atteſte auſſi au 3. des Georgiques :

—vne ardante manie Venus meſme engendra, quand celles de Potnie Les membres de Glaucus deſchirerent aux dents.

Cela aduint prés de Potnie ville de la Bœoce vers la fontaine de Dirce ; comme dit Strabon au 9. liure, & Pauſanias aux premieres Eliaques dit que ce fut durant les jeux funebres qu’Acaſte fils de Pelie Roy de Theſſalie auoit inſtituez à l’honneur de ſon pere. Au reſte on dit que le Genie de Glauque enuoyoit vne fougue & terreur aux cheuaux qui paſſoient par là où Glauque auoit eſté mis en pieces par ſes iumens ; & que pour ce ſubiect il fut ſurnommé Taraxippe. Toutefois les autres attribuent cela à Alcathous fils de Parthaon Roy d’Ætolie, qui fut l’vn de ceux qui entrerent en lice contre Hippodame, occis par Oenomaus : Voyez liur. 7. chap. 17.lequel enterré au meſme endroit, faiſoit beaucoup de faſcherie aux gens de cheual qui paſſoient par là. Pluſieurs autres ont porté ce meſme nom ; Liure 7. chap. 5.comme le fils d’Hippoloche, fort ſot & mal habile homme, duquel nous auons traitté ailleurs. Vn autre natif de Chio, qui le premier trouua la ferrumination, la ſoudure & la liaiſon du fer, ſuiuãt Heſiode en ſa Clio. Vn autre natif de l’iſle de Caryſte (qui deux fois emporta le prix és tournois Pythiens, huict fois és Nemeens & Iſthmiens) fils de Demyéle iſſu de Glauque Dieu marin.

Mythologie de Glauque.Or cherchons la verité de cecy. Glauque a eſté tres-excellent nageur, meſmement entre deux eaux. Vn iour entr’autres il ſe ietta dans la mer à la veuë des habitans d’Anthedon, & noüa ſi long temps entre deux eaux, que l’ayans perdu de veuë il veint ſurgir en vn lieu bien loing du port dont il eſtoit party, apres qu’il eut là ſeiourné quelque temps, il reuint vn certain iour aborder à nage au havre d’Anthedon en preſence de beaucoup de gens, auſquels il fit accroire qu’il auoit iuſques alors ſeiourné deſſous l’eau. Cette merueille eſtoit renforcee de ce qu’en hyuer lors que ſes compagnons ne prenoient rien à la peſche, il recouuroit à ſes citadins tous les poiſſons qu’ils luy demandoient, deſquels il auoit de longue main faict bonne prouiſion, les reſeruant en vn deſtroit de mer, duquel il les tiroit quand bon luy ſembloit. En fin vn monſtre marin l’ayant englouty, l’on fit courir le bruit qu’il eſtoit deuenu Dieu marin, par le moyen d’vne herbe qu’il auoit mangee. Les vns ont dit que Glauque s’ennuyant de viure ſe noya luy meſme : les autres, que ç’auoit eſté pour l’amour de Palæmon ; lequel eſtant diſparu, deuoré peut-eſtre, par quelque poiſſon marin, on ſe fit accroire que les Dieux de mer l’auoient faict participant de leur diuinité. Mais qu’eſt-ce que ceſte Fable contient de ſingulier pour eſtre tant exaltee par ces ſages anciens Poëtes ? ou bien que faict tout cecy pour l’inſtitution de la vie humaine ? ils ont voulu dire qu’il n’y a condition aucune d’hõme tant abiecte ou contemptible que Dieu ne puiſſe quand il luy plaiſt eſleuer & rendre illuſtre, ſi principalement elle eſt accompagnee d’innocence & d’integrité de vie. En ce qu’ils le feignent auoir eu le don de prophetie, ils vouloient montrer qu’vn bon pilote & qui faict profeſſion de nauiger, doit de loing preuoir les orages & les tempeſtes deuant qu’elles le ſurprennent. Il eſt temps de traicter de Neree, & des Nereïdes.