Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 03 : D’Oreste Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Oreſte.

CHAPITRE III.

Genealogie d’Oreste.ORESTE fut fils de Clytemneſtre & d’Agamemnon Roy de Mycene & d’Argos, chef de l’armee Grecque aſſiegeãt Troye, lequel quelques-vns diſent aprés la priſe & ſac d’icelle ville eſtãt de retour chez ſoy, auoir eté proditoiremẽt mis à mort par Ægyſthe en vn banquet : les autres maintiennẽt que Clytemneſtre l’empoiſonna : les autres qu’il fut maſſacré en vn baing auec quelques gentils hommes. D’autres eſcriuent qu’Agamemnon s’embarquant pour aller au ſiege ſuſdict, laiſſa Oreſte petit enfant entre les mains de la Royne ſa mere, laquelle il fit Regẽte de ſon Eſtat, & luy donna vn Poëte Muſicien & ioüeur d’inſtrumẽs tout enſemble, tant pour l’inſtruire au maniement des affaires, que pour la reſiouir & luy faire au moyen de ſon art deuorer vne bonne partie des ennuis qu’elle euſt peu conceuoir par l’abſence du Roy ſon mari : Mais principalement pour empeſcher qu’elle ne ſe desbauchaſt, & que les Muſes preocupans tous les coings & les recoings de ſon cœur, quelque folle & deſordonnee amour ne s’y logeaſt. Auſſi ne ſe meſcontoit-il pas : car tant que le Muſicien eut lieu prés d’elle, Ægyſthe qui l’aimoit, & de longue main tendoit à la ſuborner ; ne pult iamais ioüir de ſes pretenſions : tellement qu’il ſe reſolut de faire mourir ce Poëte à quelque prix que ce fuſt. Et ſur ce deſſein il trouua moyen de le mener à l’eſcart en vne iſle deſerte, & le tua, ou bien (ſelon le dire de quelques vns) le laiſſa perir de faim pour ſeruir de paſture aux oiſeaux & autres brutes ; & ainſi entretint l’eſpace de ſept ans la Royne Clytemneſtre durant l’abſence d’Agamemnon ſon couſin germain, comme eſtans Agamemnon & Ægyſthe enfans de deux freres ; ceſtuy-là d’Atree ; ceſtuy-cy de Thyeſte, mais d’inceſtueux concubinage. Thyeſte inceſtueux engroſſit la femme de ſon frere.Car eſtans ces deux freres d’vn naturel acariaſtre & rebours, ils eurent perpetuellement querelle enſemble : & Thyeſte pour faire plus de deſpit à ſon frere Atree, enjeola ſi bien la femme d’iceluy, Ærope, qu’il la laiſſa finalemẽt enceinte de deux fils, qui venus au monde furent nommez l’vn Tantale, l’autre Pliſthene. Atree ayant ſceu la verité du faict, ſe vangea plus inhumainement qu’il n’auoit receu l’outrage, & fit cuire les deux enfans en guiſe de viande, leſquels il donna à manger à ſon frere, ſous ombre de ſe vouloir entretenir en amitié auec luy Sa propre fille, laquelle (le Soleil, ce dit-on, en eut ſi grande horreur, que pour ne voir vn cas ſi abominable, il retourna en arriere) Puis ſur la fin du repas luy fit expoſer ſur table les teſtes & bras. Thyeſte craignant que la fureur de ſon frere ne s’eſtendiſt iuſques à ſa perſonne, eſchappa doucement, & s’enfuit vers le Roy Theſprote ; de là à Sicyon, où eſtoit ſa fille Pelopeie, qu’il trouua lauant d’auanture en la riuiere à iour failly ſes habillemens qu’elle auoit ſoüillé dans ſe ſang des victimes, en danſant ſelon la couſtume au ſacrifice qu’elle auoit faict à Minerue. Si la ſurprit d’aguet, viola, & engroſſit d’vn fils. Sur ces entrefaictes ſuruint à Mycenes vne grande famine, que les deuins imputoient au forfaict d’Atree, pour lequel expier il leur falloit rappeller ſon frere Thyeſte, & luy faire droict en la ſucceſſion de leur pere. Atree ſon oncle eſpouſe.Ainſi doncques Atree penſant trouuer ſon frere chez le Roy Theſprote, s’y achemina, & ayant apperceu Pelopeie qu’il eſtimoit eſtre fille dudit Roy, la luy demanda en mariage, & l’obtint aiſement pour couurir le ſoupcon de ſa groſſeſſe. Ægyſthe né d’inceſte, expoſé, maisPeu de temps apres qu’il l’eut emmenee chez luy, elle accoucha d’vn fils, qu’elle expoſa en vn lieu deſert à la miſericorde des beſtes, pource que quand Thyeſte euſt affaire auec elle, ayant eu moyen de luy deſtourner ſon eſpee, elle reconnut par ceſte enſeigne que ſon propre pere l’auoit ſi violemment outragee. Trouué & nourry par Atree comme ſien.Quelques paſtres rencontrerent l’enfant, & le firent allaicter à vne cheure, pourtant fut il nommé Ægyſthe. Elle pour s’en purger paya Atree de certaines raiſons : mais il le fit cercher, & nourrir comme ſien auec Agamemnon & Mencolas qui eſtoient deſia grands : leſquels ayant mis aux champs pour luy amener Thyeſte à quelque prix que ce fuſt, s’adreſſerent à l’Oracle Delphique, où par hazard Thyeſte eſtoit auſſi arriué pour auoir auis par quel moyen il ſe pourroit vanger d’Atree. Adonc le prirent & l’emmenerent à leur pere : qui le teint fort longue eſpace de temps priſonnier, iuſqu’à tant qu’vn iour il luy enuoya ſon fils putatif Ægiſthe auec l’eſpee meſme que Pelopeie auoit ſurpriſe, pour le mettre à mort : Thyeſte luy voyant ſon eſpee à la main, s’enquit courtoiſement d’où il l’auoit euë. Il reſpondit que ſa mere Pelopeie la luy auoit donnee. Là deſſus il pria Ægyſthe la faire venir pour veriffier le faict, lequel elle auoüa librement : & feignant de la vouloir recognoiſtre plus à pleine, elle la prit en main, & s’en donna à trauers le corps. Ægyſthe la porta toute fumante encore à Atree, qui ſe perſuadant de s’eſtre bien à poinct defaict de ſon frere Thyeſte, ſe mit à ſacrifier pour action de graces ſur le bord de la mer, Occit en ſuitte Atree, &où Ægyſthe le tua, remit ſon pere en liberté, & auec luy s’empara de la couronne. Agamemnon, puisC’eſt ce que nous en apprend Hygin au 88. chapitre. Agamemnon fils d’Atree ayant depuis expoſé Clytemneſtre fille de Tyndare, engendra Oreſte, eſleué durant l’abſence de ſon pere, comme nous auons dict, & lors qu’Ægyſthe occit Agamemnon, il auoit auſſi deliberé de faire mourir Oreſte encore enfant, pour extirper la race Royale maſculine : mais Electre ſa ſœur le deſtourna, & ſecrettement l’enuoya en la Phocide à ſon oncle Strophie. Les autres dient qu’Arſinoé nourrice d’Oreſte, voyant le pere mort, enleua ſon nourriſſon, & le ſauua n’ayant encore que trois ans. C’eſt l’aduis d’Herodote en ſa Pelopeie. Pherecyde eſcrit que Laodame nourrice d’Oreſte le garentit de la barbarie & inhumanité d’Ægyſthe & qu’au lieu d’iceluy il occit l’enfant de Laodame. Ainſi doncques Oreſte fut emporté, ou ſe ſauua chez Strophie Roy des Phociens (autres le nomment Strobile) ſon oncle, lequel auoit eſpouſé Aſtyoche ſœur d’Agamemnon : & demeura chez luy l’eſpace de douze ans, nourriſſant touſiours en ſon cœur vn appetit de vengeance, pour laquelle executer Strophie le renuoya auec ſon Gouuerneur à Argos, deſguiſez en meſſagers Phociens apportans nouuelle de la mort d’Oreſte, qu’ils diſoient Ægyſthe auoir moyẽné enuers le peuple. Et ſur ces entrefaites ſuruint Pylade fils dudit Strophie, ſoy diſant apporter les os d’Oreſte à Clytemneſtre, qu’il auoit ſerrez en vn cercueil. Eſt maſſacré auec Clytemneſtre.Eux introduits en cet habit vers Clytemneſtre (auec l’ayde & conſentement d’Electre ſœur d’Oreſte, qu’on auoit mariee auec vn bon homme des champs, affin que les enfans qu’elle pourroit engendrer fuſſent entierement forclos de l’eſperance de paruenir à la Couronne) mirent à mort & la Royne & ſon ruffien parricide, qui deſia s’eſtoit emparé du Royaume ; vengeãs par ce moyen la mort d’Agamemnon. Cela fut fait en vne chappelle de Pallas hors la ville, où les adulteres, induits par nouuelle ſupoſee des meſ- sagers Phociens, eſtoient allez rendre graces aux Dieux pour le treſpas d’Oreſte, comme deliurez d’vn danger qu’ils craignoient extremement, & pour cet effect offroient vn ſacrifice à Iupiter Sauueur. Oreſte laiſſant à la porte de la chappelle le mary de ſa ſœur, auec quelques ſiens amis & parens armez, entra dedans ſuiuy de peu d’autres, & les tua tous deux de ſa propre main ſelon le commandement qu’il en auoit de l’Oracle d’Apollon, ainſi que le teſmoigne Euripide en ſon Oreſte. Toutesfois aucuns eſcriuent, qu’Oreſte ne fut point chez Strophie durant le temps ſuſdit ? mais que chaſſé de ſa patrie & deſpoüillé du Royaume de Mycene il ioüit premierement de celuy d’Argos : puis aprés qu’auec bonne troupe d’Arcadiens, & ſecouru par ceux de la Phocide, il s’empara de Sparte, auquel les Lacedæmoniens s’aſſubietirent aſſez librement, l’eſtimans beaucoup plus digne de regner ſur eux, comme petit fils de Tindare ; que Nicoſtrate ou Megapenthe, que leur Roy Menelas (lequel eſtoit au ſiege de Troye) auoit eus de ie ne ſçay quelle eſclaue. Ils adiouſtent qu’Oreſte eſpouſa Hermione fille de Menelas, de laquelle il eut vn fils Siſamen, ou Tiſamen, qui luy ſucceda audit royaume, comme dit Pauſanias és Corinthiaques. Puis aprés par l’aide du preſtre Macar il tua dans le Temple d’Apollõ Pyrrhe fils d’Achille, qui auoit durãt ſon exil & deſtrac rauy cette belle Hermione, ſouſtenant luy auoir esté promiſe. Au demeurant Tindare mit pour ce faict Oreſte en iuſtice : mais les Myceniens luy donnerent la clef des champs en faueur de ſon Pere Agamemnon, ainſi que dit Hygin. Oreste mis en Justice, maisNymphodore auſſi eſcrit qu’aprés les meurtres & parricides ſuſdits Oreſte eut vn adiournement perſonnel pardeuant les Areopagites (iuges Atheniens tenans leur ſiege au temple de Mars) par les Erynnes vengereſſes des forfaits : Dionyſiocle dit que ce fut à la requeſte de Tyndare pere de Clytemneſtre : Simonide de l’iſle d’Amorgos, eſcrit qu’Erigene fille d’Aegiſthe & de Clitemneſtre ſe fit partie contre luy. En ce plaidoyé les voix ſe trouuerent egales ; Abſous.partant il fut abſoult : attendu que cette loy naturelle, Qu’il n’eſt pas licite que celuy viue en ce monde, lequel a eſté cauſe de la mort de ſon pere ou de ſa mere, ſe trouua à la rencontre & en concurrence d’vne autre loy autant ou plus ſelon nature, ſi que le parricide faict en la perſonne de ſa mere, par Oreſte, au lieu d’eſtre puny tres-griefuement, fut iugé bien & naturellement commis par le fils vangeant la mort de ſon pere, qu’elle auoit (quoy que ſoit) faict mourir. Pour ce bien-faict il dreſſa vn Autel à Minerue Aree, ainſi dicte du Grec arâſthai, c’eſt à dire prier, pource qu’elle auoit exaucé ſa priere, )les autres tirent ce nom Aree, d’Arés, c’eſt à dire Mars, ſuiuant laquelle etymologie Aree vaudroit autant que Martiale & valeureuſe.) Les Erynnes le chaſſans hors de ſa patrie le contraignirent d’aller ſubir iugement à Athenes durant le regne de Demophon. Car tourmenté de ie ne ſcay quel remords de conſcience pour l’acte qu’il auoit commis, il ſe retira premierement à Meſſine, laquelle fut dicte Oreſtie pour l’amour de luy, comme dit Aceſodore au 2. liure des villes. D’autres diſent qu’il baſtit vne ville en Thrace, que de ſon nom il appella Oreſte, dicte depuis Adrianopolis, aujourd’huy Andrinopoli : Saisi de rage.& que la rage le ſaiſit là pour la premiere fois, teſmoing Pauſanias és Arcadiques. Aucuns eſcriuent qu’Oreſte ſe ronge là meſme vn des doigts de la main, tant la rage le gourmandoit par vne apparition de Furies noires qui ſe preſenterent à luy : leſquelles apparurent blanches aprés qu’il eut mangé ſon doigt ; ainſi reuint-il à ſoy. Quelques-vns diſent qu’il y eut long temps à Trœzene vn tabernacle, qu’on appelloit le Tabernacle d’Oreſte, fort beau baſtiment, qui n’eſtoit auparauant qu’vn chetif cellier, où les Trœzeniens le firent arreſter deuant que par deuë ſatisfaction il euſt expié les taches & ſoüilleures du ſang de ſa mere, auquel lieu ceux qui preſidoiẽt en telles purifications ſouloient banqueter auec luy és iours deſtinez à ce faire. La couſtume demeura depuis entre les deſcendans de ces preſidens, de ſouper enſemble & ſe feſtoyer au meſme lieu : & ceux de Trœzene firent tant d’eſtat de luy, qu’apres ſa mort ils le reuererent comme Dieu. Melanthe au 1. liure des Sacrifices dit que pour le purifier on employa entre autres drogues du laurier & de l’eau de la fontaine d’Hippocrene. Car les Trœzeniens auoiẽt vne fontaine d’Hippocrene, auſſi bien que ceux de Bœoce. De là il s’en alla en Macedoine, où il fonda vne ville nommee Argos d’Oreſte, & toute la contree fut dicte Oreſtiade, teſmoing Strabon au 7. liure. L’on dict qu’Oreſte vint à Athenes lors qu’on celebroit les Sacrifices de Bacchus nommez Lenæes, comme qui diroit la feſte des preſſoirs, qu’Apollodore dit auoir eté iadis nommee Antheſtere, c’eſt à dire feſte des fleurs. Or ceux de ceſte confrairie ne le voulãs admettre parmy eux, pollu qu’il eſtoit du meurtre de ſa mere ; Pandion Roy d’Athenes s’auiſa de cet expedient. Il fit diſtribuer à tous les confreres vne meſure de vin qu’ils appelloient choa, leur commandant de boire chacun la ſienne, & ne s’en entreuerſer point l’vn à l’autre, à fin qu’Oreſte ne beuſt du meſme hanap, ny du meſme vin des confreres, & le pria de ne trouuer eſtrange ſi l’on le faiſoit boire à part ; ce qui ne fut pas faict ſans le commandement de l’Oracle, ſelon le teſmoignage d’Euripide en l’Iphigenie : où il introduit Oreſte ſe plaignant de ce que perſonne ne le vouloit loger qu’à regret & à contre-cœur : que ceux-là meſmes qui luy portoient bonne affection, auec leſquels il auoit, & eux auec luy, droict d’hoſpitalité, le faiſoient manger tout ſeul ſequeſtré de toutes compagnies, & luy euſſent volontiers donné à mauger au bout d’vn baſton ; encore eſtoit-ce auec beaucoup de ſcrupule & de ſilence, affin qu’il n’euſt aucune communication auec eux, l’eſti- mans mal-voulu des Dieux, & pourſuiuy par leur iuſte vengeance, Or s’eſtant Oreſte acheminé vers l’Oracle pour s’enquerir commens il pourroit eſtre deliuré de ceſte rage & furie qui le tourmentoit ſans ceſſe, il eut reſponſe que cela ne ſe pouuoit faire que premierement il ne ſe tranſportaſt en la Tauride Prouince de Scythie, & transferaſt en Grece la ſtatuë de Diane qu’ils adoroient fort deuotement, & recouuraſt ſa ſœur IphigenieIphigenie, puis ſe lauaſt en la riuiere qui ſe confondoit auec ſept fleuues. Ceſte reſponſe oüie il ſe mit en chemin, & arriuant és confins de Rhege, rencontra vne riuiere, en laquelle il ſe laua : puis paſſa, aprés beaucoup de trauerſes, en la Tauride, accompagné de ſon ſingulier & parfaict amy Pylade fils du Roy Strophie, auec lequel il auoit eſté nourry dés ſon enfance, où d’abord ils furent tous deux faicts priſonniers & emmenez par deuers le Roy Thoas, pour eſtre ſelon la couſtume du pays ſacrifiez à Diane que l’on pacifioit par l’effuſion du ſang des eſtrãgers paſſans. Or tant eſtoit eſtroite & ſaine l’amitié de ces deux couſins, que quand Thoas demandoit lequel des deux s’appelloit Oreſte, Pylade ſe preſentoit ; au contraire, Oreſte maintenoit auec verité que c’eſtoit luy, ſe voüans ainſi volontairement à la mort l’vn pour l’autre. En fin Thoas fit liurer Oreſte entre les mains d’Iphigenie pour l’immoler, laquelle le reconnut pour ſon frere, & le ſauua. Voyez li. 1. chap. 12. & liure 3. chap. 18.Or il faut noter qu’Iphigenie eſtoit commiſe ſur tels ſacrifices pour le ſujet que ie vay expliquer. Agamemnon ſon pere ayant vn iour tué par meſgarde vn cerf conſacré à Diane en Aulide, la Deeſſe offenſee retarda la nauigation des Grecs, leur ſuſcitant des vents contraires, ſi qu’ils ne peurent oncques deſloger de là. Et comme ils en demanderent l’auis de l’oracle, il leur fut reſpondu qu’il falloit appaiſer la Deeſſe par le ſang Agamemnonien. Suiuant ceſte reſponſe Vlyſſe fut enuoyé vers Clytemneſtre, qui ſoubs ombre de faire eſpouſer Iphigenie à Achille, l’emmena quand & ſoy : & comme elle eſtoit ſur le poinct d’eſtre offerte en Sacrifice, Diane eut pitié d’elle, & ſe contentant d’auoir amené le pere iuſqu’à tel poinct d’affection, ſuppoſa vne Biſche, & tranſporta l’Infante en la Tauride és derniers confins de Scythie, laquelle fut par Thoas commiſe ſur tels Sacrifices qui ſe faiſoient aux deſpens de la vie de mainte pauure perſonne. Oreſte & Iphigenie s’eſtans reconnus mutuellement, ſe ſaiſirent de l’image de Diane, & la nuict ſuruenant monterent dans vne naſſelle, & ſe ſauuerent. Quelques-vns adiouſtent que ce fut apres auoir occis Thoas. Quand il fut à Sarragoce en Sicile, il dedia vn temple & vne idole à la Deeſſe, qu’il nomma Faſcelite, pource qu’il cacha l’image ſuſdite dedans vn faiſceau de bois, iuſques à ce qu’il euſt la commodité de deſloger. Mais deuant que deſmarer, Oreſte fit faire ſes cheueux en la Tauride en ſigne de dueil, & les poſa comme ſacrez au Temple de Diane, laquelle ceremonie il emmena en Cataonie, qu’aucuns diſent eſtre la Cappadoce. Toutesfois les autres veulent dire quil les poſa deuant que ſe preſenter aux Areopagites. Puis-aprés eſtant de retour à Athenes, il donna ſa ſœur Electre à Pylade en mariage, de laquelle il eut Medon & Strophe. Quelques-vns outre ces deux ſœurs Iphigenie & Electre, luy donnent encore Chryſothemis, Laodice & Iphianaſſe. Aucuns eſcriuent auſſi qu’Oreſte fut aupres de Megalopolis guery de la rage qui le trauailloit, en vn lieu qui fut nommé Tonſure, où il fit faire ſes cheueux. Les autres diſent que ce fut aupres de la roche de Gythee qui fut nommee Oiſifue, ſur laquelle Oreſte ſe ſeant reuint en ſon bon ſens. D’autres encore diſent que cela auint lors qu’il fut chaſſé par la tourmente en la coſte de Seleucie prés d’Antioche vers vne montagne qu’on appelloit Helanthe, laquelle pour ce regard fut dicte Aman, comme qui diroit ſans rage ; auiourd’huy on l’appelle d’vne facon qui exprime la ſignification de ſon premier nom, Monte negro. Derechef les autres eſcriuent qu’Oreſte par le conſeil de Minerue s’en alla à Argos, où il accoiſa l’indignation des Erynnes alencontre de luy : & que lors ſa rage ceſſa. En fin eſtant reuenu en bon ſens, ayant en ia ville d’Athenes tué Pyrrhe, & marié ſa ſœur à Pylade, il eſpouſa Hermione, de laquelle il eut vn fils Tiſamen ; Iſace dit (mais ſans apparence) qu’il eſpouſa Erigone fille d’Ægiſthe, & qu’il en eut vn fils nommé Penthile, & fit ſa reſidence en la ville d’Oreſte en Arcadie, là où il mourut d’vne picqueure de ſerpent, & fut enſeuely à Thyree. Quelques annees aprés, les Tegeates & Lacedæmoniens s’eſtant par vne longue & cruelle guerre fort acharnez, en laquelle les Lacedæmoniens auoient eu ſouuent du pire, ils eurent aduis par l’oracle, qu’ils ne vaincroient point leurs ennemis, ſinon que mettans au loing les vents, le battant, le battu, & le fleau des hommes, ils recouuraſſent les os d’Oreſte, & les euſſent en leur ville. Stratageme public pour abuſer le peuple ſous quelque aparente couleur, mais par inuentiõs diaboliques.Pour ce faire les Lacedæmoniens firent ſemblant d’impoſer quelque crime à Lychés, l’vn de leurs principaux citoyens, & des plus accorts, & de le pourſuiure tres-viuement en iuſtice, afin qu’il prinſt de là couleur & ſujet de s’enfuir de Sparte, & ſe retirer auec les Tegeates leurs anciens ennemis. Lors eſtant parmi eux, entré dans l’ouuroir d’vn mareſchal forgeant du fer, il ſe prit à le conſiderer auec grande attention : puis s’arraiſonnant auec luy, le forgeron lui conta que voulant fouïr vn puits en ſa cour, il auoit deſcouuert vn tumbeau de dix pieds & demy ; lequel ayant ouuert, il vid vn corps mort de la meſme longueur, lequel aprés auoir meſuré, il renfouit derechef. Lychés s’imagina que ce deuoit eſtre Oreſte, ſe perſuadãt que l’Oracle appellaſt vn ſoufflet de forge, vents ; le marteau, battant ; l’enclume, batu ; le fleau des hommes, le fer, duquel ils s’eſtoient auec grande obſtinatiõ chaircutez en pluſieurs batailles & rencõtres. Si fit tant Lychés auec le mareſchal, que foüillans ſous la forge, ils trouuerent les os dont il eſtoit queſtion, leſquels il enuoya ſecretement à Lacedæmone, qui par le commandement dudit Oracle, furent depuis enterrez prés du temple des Parques au ſepulchre d’Agamemnon.

¶Voila ce que les anciens nous ont laiſſé en leurs memoires touchant Oreſte. Ie croy que perſonne ne doubte qu’il ne faille rapporter preſque tout cecy à l’hiſtoire : nous examinerons dont ſeulement ce poinct qui concerne la rage & furie qui le tourmenta ſi eſtrangement apres l’homicide commis en la perſonne de ſa mere. Ils diſent que les Furies, ou Erynnes, luy apparoiſſoient continuellement, luy repreſentans des flambeaux allumez deuant ſes yeux, par leſquels il eſtoit plongé dans vne extreme inquietude, ne luy donnans repos aucun ny iour ny nuict. Il eſt certain que telle angoiſſe, voire meſme cette alienation d’eſprit n’eſtoit autre choſe que les aiguillons & remors de conſcience qui tourmentent & eſpoinçõnent ceux qui ſont coulpables de quelques crimes & forfaicts : comme ainſi ſoit qu’il n’y a choſe qui plus bourrelle l’ame, que le reſouuenir des fautes & maluerſations paſſees : ce que teſmoigne Ciceron diſant au plaidoyé pour Roſcius Amerinus : Ne penſez pas que comme vous liſez ſouuent és fables, ceux qui ont commis quelque impie et meſchant acte, ſoient agitez et eſpouuantez par les torches allumees des Furies : chacun eſt vexé par ſa propre fraude & malefice : ſa meſchanceté l’afflige & luy faict perdre le ſens : ſes mauuaiſes penſees & ſa conſcience l’eſtonnent. Voila les furies qui ſans ceſſe pourſuiuent les impies, qui puniſſent ſans intermiſſion & iour & nuict les pechez commis par les meſchãs. Et comme il n’y a rien qui trauaille tant l’eſprit que la ſouuenance des crimes commis : auſſi n’y a-il rien qui plus l’aſſeure & accoiſe, que de ſentir ſa conſcience ſaine, nette, & innocente de toute fraude S’enſuit la Chimære.