Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 04 : De la Chimere Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De la Chimære.

CHAPITRE IIII.

LA Chimære, monſtre ſi fameux entre les Poëtes, fut fille de Typhon & d’Echidne, ſuiuant le teſmoignage qu’en donne Heſiode en ſa Theogonie, qui la qualifie comme s’enſuit :

La Chimære naſquit de Typhon & d’Echidne, Fiere, viſte de pieds, grande, & forte d’eſchine, Iettant flammes de feu d’vn cruel gauion. Trois teſtes elle auoit ; de rugiſſant Lion ; De Cheure, & de Serpent venimeux la derniere  ? Le deuant, de Lion  ? de Serpent, le derriere ; Et le milieu, de Cheure : & ſes nareaux ſifflans Des charbons allumez on luy voyoit ſoufflans.

Pareillement Homere au ſixieſme de l’Iliade la deſchiffre, luy donnant auſſi trois formes :

Il luy commande occir la Chimære inhumaine, De qui la race eſtoit diuine, non humaine. Tout le hault, de Lyon : tout le bas, de Serpent, Et le milieu, de Cheure : elle alloit eſpandant Des nareaux embraſez, & de ſa gorge ardante Des charbons allumez & flamme violente.

Bellerophon eut la charge & commiſſion de l’occire, lequel la tua à coups de fleches, monte ſur le Pegaſe cheual ailé, iſſu de Neptun & de Meduſe, ſelon l’auis d’Apollodore au deuxieſme liure, combien que d’autres luy donnent vne autre origine, comme nous dirons au chap. ſuiuant. Elle ſe tenoit en Lycie, lieu de ſa natiuité. C’eſt tout ce que les Anciens en diſent, dont voicy la verité.

¶Antigone Caryſtien en ſes commentaires hiſtoriques a eſcrit que Bellerophon ſubiugua trois nations, leſquelles Zezes en la cent quarantieſme hiſtoire de la ſeptieſme Chiliade, dict eſtre exprimees par la triple forme de la Chimære. Alcime en l’Eſtat de Sicile, & Nymphodore de Saragoce diſent que Chimære eſt vne montagne en Lycie vomiſſant du feu, à la cime de laquelle il y auoit force taſnieres & repaires de Lions : au milieu, de gras & plaiſans paſquis où paiſſoit grande quantité de Cheures : au pied, grand nombre de Serpens : c’eſt ce qui donna ſubiect à la Fable de dire que la Chimære eſtoit vn monſtre compoſé de trois animaux ſi differens en forme, ayant la teſte & poitrine, c’eſt à dire le ſommet, de Lion, & deſgorgeant du feu : le milieu, c’eſt à dire le ventre, de Cheure : & la queue de Dragon ou Serpent. Or Bellerophon ayant rendu ceſte montagne habitable, acquit de la reputation d’auoir occis la Chimære à coups de fleches. Plutaque au liure des vertueux faicts des femmes, dit que la Chimære eſtoit vne haute montagne, droictement oppoſee au Soleil du midy, qui faiſoit de grandes refractions & reuerberations des rais du Soleil, & par conſequent des infſammations ardentes comme feu en la montagne, leſquelles venans à s’eſpancher & s’eſtendre parmy la campagne meſme faiſoient ſecher & fleſtrir tous les fruicts de la terre. Dequoy Bellerophon, homme de grand & ſubtil entendement, ayant compris la cauſe, fit fendre & couper en pluſieurs endroits la face du rocher qui eſtoit vnie & polie, & conſequemment qui rebatoit plus les rayons du Soleil, & enuoyoit de plus grandes ardeurs en la campagne. Par ce moyen il apporta beaucoup de commodite au païs circonuoiſin. Theopompe au 7. liu. de l’hiſtoire Philippique dit que la Chimære ne fut pas aſſommee à coups de traits ; ains tranſpercee d’vne lance garnie de plomb par le bout : & que Bellerophon l’ayant fourree dans la gueule d’icelle, elle fit par ſon haſle fondre le plomb, qui luy coula dedans le ventre, & luy bruſla les entrailles : ainſi mourut elle. Agatharchides de Gnide au 3. liu. de l’hiſtoire d’Aſie dit que Chimære fut vne femme d’Amiſodar Roy de Lycie, laquelle auoit deux freres, Lion & Dragon : ceux cy s’eſtans emparez auec vne bonne troupe de ieunes gents des plus commodes & aduantageuſes places de Lycie pour faire la guerre & courre le païs, faiſoient paſſer au fil de leur eſpee ceux qu’ils attrapoyent. Et pource que ces deux freres viuoyent en toute amitié & concorde auec leur ſœur, de là vint le conte qui dit que ces trois corps n’auoyent qu’vne ſeule teſte. Bellerophon par ſa valeur les prit en vie, & les aſſeruit à ſoy : & pourtant il eut le bruit de leur auoir baillonné la bouche auec du plomb. Nicander de Colophon veut que par ces fictions ſoit principalement entenduë la nature des riuieres & des torrens, diſant que la Chimære, eut trois teſtes, & vne triple forme de corps ; la premiere, de Lion : celle du milieu, de Cheure : & la derniere, de Serpent : pource que les pluyes d’hyuer & l’abondance des eaux font quelques riuieres que les Grecs appellent Chimarres (d’où vient le nom de Chimære) c’eſt à dire coulantes en hyuer, qui reſſemblent à des Lions farouſches & indomptables, & entrainent charroyans tout ce qu’elles rencontrent. Donc pource qu’elles rauiſſent tout, & bruyent comme rugiſſantes, on leur a donné le bruit d’auoir le deuant de Lion ; ioint que par où elles paſſent, elles minent & foüiſſent la terre comme à belles ongles : le milieu eſt de Cheure, pource que telle eau mange & broutte tout ce qui luy eſt voiſin : & le derriere, de Serpent ; pource que le cours des riuieres eſt oblique & ſinueux, comme le train des Serpens, Couleuures & Viperes. Ce monſtre fut mis à mort par Bellerophon monté ſur le Pegaſe ; c’eſt à dire par la chaleur du Soleil : parce que l’eſté n’eſtant pas ſi pluuieux que le ſont les autres ſaiſons, les torrens ſe deſſechent ordinairement. Car Bellerophon & le Pegaſe ne ſont qu’vne meſme choſe de faict, à ſçauoir la force du Soleil, auquel on donne diuers noms ſelon les effects & actions qu’il opere. Auſſi ne ſe peut il faire en nature qu’animal ſi difforme ſe ſoit iamais trouué, comme dit Lucrece au 5. liure :

Qui peut s imaginer vn monſtre ſi difforme Qu’il puiſſe auoir trois corps ? & la premiere forme, De Lion ; de Serpent la troiſieſme ; au milieu, De Cheure, vomiſſant par la bouche du feu ?

I’eſtime quant à moy que l’intention de ceſte fable eſt de nous ap- prendre d’attiedir les boüillons de noſtre courage, & nous deſtourner de la cholere, qui eſt le plus ord, & le plus ſale monſtre qui ſoit ; veu qu’elle nous rend auſſi furieux que lions, laquelle vn ſang eſchauffé & boüillant aſſemble autour du cœur, & nous trempe les yeux d’vne couleur rouge comme feu. Le milieu du corps d’icelle eſt de Cheure, animal ennemy des plantes : d’autant que la cholere eſt ſur toutes autres paſſions nuiſible aux facultez de l’ame ? puis qu’elle n’a eſgard aucun, ny à ſon profit, ny à ſon honneur. Et pour monſtrer que la colere eſt le plus dangereux vice de tous, laquelle il faut de toute ſa puiſſance éuiter, & ne point s’accoſter de ceux qui luy ſont par trop ſujets : les anciens luy ont aſſigné le derriere de Serpent. Car le ſage ne doit pas moins fuyr la compagnie & hantiſe de celuy qui court apres toutes les impetuoſitez & furies de ſa colere, que celle des Serpens & plus cruelles Viperes. D’autres entendent par la partie de Lion, la petulance d’amour, qui d’abordee ſemble aſſaillir l’homme d’vn choc furieux & leonin. Par Ia Cheure, vne naturelle inclination au fol amour courageuſement contre-pointé par Bellerophon. Et par le Dragon, ou Serpent, les aſſauts & dangereux combats que nous auons à ſouſtenir contre l’amour. Voila quant à Ia Chimære : reſte à diſcourir de ſon dompteur Bellerophon.