Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 06 : De Rhee Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Rhee.

CHAPITRE VI.

HESIODE en ſa Theogonie, parlant des enfans de la Terre dit que Rhee fut fille du Ciel & de la Terre :

La terre s’esbatant d’vne flamme amoureuſe Auec le Ciel creà la profondité creuſe De l’Ocean, Iapet, Hiperion, Crea, Cœe, Thia, Themis, Mnemoſyne, Rhea.

Mais Orphee en ſes hymnes dit que Dieu, lequel il nomme Protogone, c’eſt à dire, Premier-né, crea Rhee la premiere de tous. Et d’autant qu’on la tenoit pour femme de Saturne, voicy comme il la qualifie.

Dame pleine d’honneur, de beauté merueilleuſe, Compagne de Saturne & femme bien-heureuſe.

Il dit auſſi qu’elle engendra la terre, la mer, le ciel, les vents ; & l’appelle mere des Dieux & des hommes :

Mere de tous humains, & mere auſſi des Dieux, De toy ſont engendrez & la terre et les cieux, Et leur ample pourpris, & la mer ſpacieuſe, Et des eſprits ſoufflans la nature venteuſe.

Pareillement Callimache en l’hymne de Iupiter l’appelle mere de Iupiter. Cette mere des Dieux ſouloit (diſent-ils) cheminer par païs en vn chariot tiré par quatre lyons couronnee d’vne riche couronne, portant pluſieurs tours, tenant en main vn ſceptre accompagnee de quantité de Preſtres & Religieux, qui touchoient des tambours & des inſtrumens d’airin ; & les Corybants luy faiſoient eſcorte en armes quand elle marchoit, enuironnee de pluſieurs beſtes deſquelles on la croyoit eſtre mere, comme dit Lucrece au 2. liure :

Cette mere des Dieux, cette mere des beſtes, Eſt mere de nos corps : les doctes Grecs Poëtes Ont enſeigné que ſiſe en ſon carroſſe ailé Deux lions la tiroient l’vn à l’autre attelé.

Cette Deeſſe fut la premiere qui fit baſtir des villes, & inuenta la façon des tours pour la defenſe d’icelles ; c’eſt pourquoy Virgile au 10. de l’Æneide dit ainſi :

O des Souuerains Dieux ſainte Idæenne mere, A qui viennent à gré les Dyndimes haultains, Les villes porte-tours, & les lions aux frains Deux à deux accouplez.

Les ſacrifices & ſolennitez d’icelle ſe faiſoient au ſon du tambour, & par des Preſtres chaſtrez, auec grand bruit de flutes & de cornets. Or cela ſe faiſoit en memoire d’Attis, ou Atys, iouuenceau Phrygien, qui, Rhee l’ayant pris en amitié, ne voulut iamais condeſcendre au deſir d’icelle, faiſant vœu de perpetuelle Virginité : laquelle neantmoins ne gardant pas, Rhee le fit affoler ; & eſtant en cet eſtat il ſe trancha le membre luy-meſme, & ſe voüa Religieux à la Deeſſe à laquelle il auoit fauſſé ſa foy. Les autres diſent qu’Atys eſtoit l’vn de ſes Preſtres, qu’elle auoit commis ſur ſes ſacrifices, à la charge & condition qu’il garderoit à iamais ſa virginité : mais puis-apres mettant en oubly ſa promeſſe iuree, il connut vne Nymphe fille de la riuiere de Sangar, autrement de Corail, trauerſant la Phrygie, de laquelle il eut Lydie, qui donna nom à la Lydie ; & Tyrrhene à la Tyrrhenie (auiourd’huy la Toſcane) ſelon le teſmoignage de Dorothee Corinthien en ſes hiſtoires. Dequoy la Deeſſe irritee l’affligea d’vn mal de rage, par laquelle il ſe coupa les genitoires : preſt auſſi de ſe fourrer le couteau dans la gorge, ſi la miſericorde de la Deeſſe ne l’euſt transformé en Pin, arbre conſacré à ſa maieſté. Excuse de l’Autheur.Toutesfois les autres veulent dire que Tyrrhene & Atys furent enfans d’Hercule & d’Iole : & pourtant il ne faut trouuer eſtrange ſi parfois ie me contrarie moy-meſme à cauſe de l’antiquité du ſujet que i’ay entrepris, ſuiuant en diuers lieux les opinions de diuers auteurs. Les autres ne diſent pas qu’il fut metamorphoſé en Pin, mais que la Deeſſe ayant deſcouuert leur paillardiſe qu’ils commettoient durant la nuict deſſous vn Pin, arbre à elle ſanctifié, fit mourir & l’arbre & la fille : le Iouuenceau voyant ce piteux ſpectacle, demeura tout eſperdu & demi-mort de frayeur, honteux de ſa vergogne & du crime qu’il auoit perpetré, perdit le ſens de faſcherie & regret, & s’enfuit ſur la montagne de Dyndime, où il ſe trancha le membre cauſe de ſon mal’heur. Et parce que la Deeſſe l’aymoit, elle ordonna que pour l’amour & ſouuenance de luy, elle ne fuſt ſeruie que par miniſtres chaſtrez, leſquels s’habilloient en femmes, & ſe chaſtroient eux-meſmes auec vn tais de pot de terre, & s’appelloient Gaulois, non qu’ils le fuſſent de nation, comme quelqu’vn pourroit imaginer : mais bien à cauſe d’vne riuiere de Phrygie nommee Gallus, qui ſe deſchargeoit dedans la ſuſdite riuiere de Sangar, dont l’eau cauſoit de ſi merueilleux effects à ceux qui en buuoient, que ſi l’on n’en prenoit qu’en petite quantité, elle purgeoit le cerueau, & en chaſſoit la freneſie : mais ceux qui en beuuoient par trop, deuenoient frenetiques. Et pource que les Preſtres ſuſdits faiſoient leur ſeruice au ſon des tambours & inſtrumens d’airin, Orphee luy donne ces tiltres,

Fille acoiſant ſon cœur au bruit des tabourins, Des trompettes, clairons, et tous autres airins.

Le pin eſtoit conſacré à ceſte Deeſſe, pource que ſon mignon Atys fut par elle tranſmué en cet arbre là, ſelon le teſmoignage d’Ouide au dixieſme liure de ſes Metamorphoſes, faiſant vne liſte des arbres qu’Orphee tiroit apres ſoy au ſon de ſa lyre :

Et le pin haut trouſſant la veluë criniere Du ſommet de ſon chef, agreable à la mere Des Dieux, parce qu’Atys de Rhee fauorit, Quittant ſon corps humain en ce tronc s’endurcit.

Depuis cet accident les Preſtres d’icelle s’accouſtumerent à porter des chappeaux de pin en ſacrifiant. Les autres nous content que Iupiter en ſongeant vne fois eſpancha ſa ſemence en terre, dont par la conception de la terre vint en lumiere vn Genie ayant figure humaine, mais à deux ſexes, nommé Agdiſte, auquel les Dieux couperent la partie virile, & la ietterent, de laquelle naſquit vn amandier. La fille de la ſuſdicte riuiere de Sangar ayant vn iour cueilly du fruict de cet arbre, le cacha dans ſon ſein ; mais il s’eſuanouit & deuint à neant, & la fille demeura groſſe, dont elle accoucha d’vn fils, qu’elle abandonna dans vne foreſt, & fut nourry par vne cheure. L’enfant creut en aage & en beauté plus qu’humaine, & lors Agdiſte s’amouracha de luy : mais eſtant deſia preſt d’eſpouſer la fille du Roy de Peſſinus ville de Phrygie, par la ſuruenuë d’Agdiſte & le beau-pere & l’accordé deuindrent tellement phrenetiques & forcenez, que tous deux ſe couperent le membre viril : & pource qu’il eſtoit beau, Rhee le prit pour ſon Preſtre. Voyez le chap. suivant.Les ſeruiteurs & miniſtres de ceſte Deeſſe s’appelloient Curetes, & d’autant que contrefaiſans vne certaine rage & phreneſie beſtiale, ils alloient ſecoüans leurs teſtes auec geſtes de fols, ils furent appellez Corybantes : toutesfois d’autres tiennent qu’ils furent ainſi nommez, parce que c’eſtoient des malings eſprits qui cauſoient ceſte rage. Les ſacrifices de Cybele ſe faiſoient au neufieſme iour de la Lune, auec grand bruit & tintamarre : & lors les preſtres officians auoiẽt accouſtumé de charger l’idole de leur Deeſſe ſur le dos d’vn aſne, & d’aller mendiãs de village en village auec vn tambour à elle cõſacré, à fin que par la crainte & reuerence de ſon nom, cõme preſente ; ils arrachaſſent des bonnes gens ce qu’il falloit pour leur viure. Ils appelloient cet aſne, Bouclier de leur faim & ſoif. Pluſieurs autres preſtres alloient ainſi queſtants par les villages, & receueillans en l’honneur de leurs Dieux, ce qui leur eſtoit neceſſaire pour leur entretenemẽt & nourriture faiſans acroire aux bonnes gents que leurs Dieux viuoient des auſmones faites à leurs Preſtres : leſquels en recompenſe des biens qu’on faiſoit à iceux, prioient pour le ſalut & proſperité de leurs bien-faicteurs, deſquels ils receuoient tout ce qu’ils vouloient donner, argent, bled, horges, vin, pain, & autres bribes & denrees duiſibles à la vie humaine. Il y auoit d’autres Queſteurs en l’honneur de la mere des Dieux appellez Metragyrtes, leſquels durant le ſeruice alloient de l’vn à l’autre des aſſiſtans, ou bien à quelque autre heure de maiſon en maiſon, demãdans quelque piece d’argent. Le nom declare aſſez que telle queſte ſe faiſoit pour elle ; car il eſt compoſé de deux mots, dont le premier métér ſignifie mere, le ſecond agyrtés, preſtigiateur & mendiant. Ce paſſage d’Ouide montre clairement qu’ils faiſoient és Temples telle collecte pour la mere des Dieux :

Qui eſt l’homme ſi chiche & ſi peu ſoucieux. Si l’on ioüe deuant la grand mere des Dieux D’vn cornet à bouquin, haultbois & cornemuſe, Que donner vn tournois au fluſteur il refuſe ?

Divers noms de Rhee.Au demeurant ceſte Deeſſe auoit pluſieurs & diuers noms, ſelon les lieux eſquels elle eſtoit principalement adoree : car on l’appelloit Ops, Proſerpine, Iſis, Cybele, Idæenne, Berecynthe, Tellus ou Terre, Rhee, Veſte, Pandore, Phrygienne, Pylene, Dyndimene, & Peſſinunce. L’on dict que Rhee enceinte de Iupiter ſe retira en la montagne de Thaumaſe en Arcadie pour euiter la cruelle gloutonnie de Saturne ; laquelle montagne, Hoplodame & ſes autres compagnons Geans conuierent à les ſecourir, cas aduenant que Saturne luy vouluſt faire quelque violence. Cette montagne eſtoit prés de la riuiere de Moloſſe. En ſuite ladite Rhee accoucha en la montagne de Lycæe en Arcadie, depuis conſacree à Iupiter, laquelle les habitans appelloient auparauant Olympe, & Saincte crouppe : où il y auoit auſſi vn Autel dedié à Iupiter Lycæen par Lycaon, qui pour auoir aſpergé ledit autel auec du ſang d’vn ieune garçon qu’il auoit ſacrifié, fut par Iupiter transformé en loup, dont il fut ſurnommé Lycæen, comme qui diroit Louuin. Ce fut en ceſte montagne que Rhee trompa Saturne, luy preſentant vn caillou au lieu de ſon fils : en la cime de laquelle y auoit vne grotte dans laquelle, la Religion defendoit aux hommes d’entrer, cela n’eſtant permis qu’aux femmes qui vouloient faire quelque Sacrifice. Au reſte le pin n’a pas eſté tout ſeul conſacré à la mere des Dieux, mais auſſi le cheſne, teſmoin Apollodore au troiſieſme liure des Dieux ; & ſes Preſtres ornoient ſon autel de force feuillars de cheſne : item la vigne, ce dit Euphorion, dont meſme ils faiſoient ſon Idole.

Deuotiõ des Romains enuers Rhee.Il ne ſera pas hors de propos de dire en cet endroit quelque choſe de la tranſlation de cette idole & de ſes ſeruices & ceremonies à Rome. Le ſubiect en vint d’vn vers qui fut trouué parmy ceux de la Sibylle :

Ta mere n’y eſt pas, Romain, cherche ta mere.

Cet auertiſſement teint long-temps en ceruelle le Senat. Car les Phyſiciens meſmes ne pouuoient bonnement deuiner quelle eſtoit cette mere. Si enuoyerent au conſeil vers l’Oracle d’Apollon, d’où l’on rapporta cette reſponſe, Allez querir la grand’mere des Dieux, que vous trouuerez ſur la cime du mont Ida. Ainſi doncques ils deſpeſcherent des Ambaſſadeurs en Aſie, auec commiſſion de faire toute diligence pour chercher ce ſimulacre ; & l’ayant trouué l’amener à Rome. Teſmoignages de l’aſtuce du diable pour entretenir les hommes en ſuperſtition.Mais comme Attale Roy d’Aſie empeſchoit la tranſlation de cette idole par les Ambaſſadeurs Romains ; vne voix fut ouye que l’on creut pour certain eſtre procedee de la Deeſſe meſme, diſant I’ay voulu qu’on me vint querir, & que l’on m’emmenaſt à Rome, digne domicile & ſeiour de tous les Dieux. Attale eſpouuanté de ce miracle, permit quand & quand aux Romains de tranſporter cette image. Fourbe aſſez ordinaire.Or comme ils couloient ſur le Tybre, la conduiſans à Rome, vne infinité d’hommes de toutes conditions ſortit hors de la ville pour la ſaluër auec chanſons ioyeuſes & diuers Sacrifices. Mais comme ils cuiderent tirer à bord leur nauire, chargé de cette Deeſſe il s’agraua ſi fort ſur le riuage ſec, que quelque diligence que fiſt toute cette multitude de monde là preſent à force de bras & de cordages, ſi tenoit-il ſi ferme dans quelques bans & monceaux de ſable amaſſez ſous l’eau, empeſchans le vaiſſeau de paſſer outre, qu’ils ne l’en peurent arracher. Preuue de la chaſteté de Claudia Quintia.Entre autres ſe trouua là Claudia Quintia Religieuſe de Veſte, tres-belle Damoiſelle, fort proprement veſtuë, & de gaillarde humeur ; laquelle pour cette cauſe auoit acquis mauuaiſe reputation entre le peuple d’auoir été quelque peu prodigue de ſon honneur. Doncques pour faire preuue du contraire deuant l’aſſemblee, & en affaire ſerieuſe, elle s’agenoüilla deuant les pieds de l’idole, proteſtant auec telle priere : L’on me blaſme d’auoir peché contre mon honneur & offenſé ma pudicité voüee : ie requiers, ô Deeſſe, ton teſmoignage afin que tu montres la verité du faict. Que ſi par iceluy ie ſuis condamneé, ie veux par ma mort faire ſatisfaction de mon delict : mais außi ſi tu fais euidemment paroiſtre que ie ſuis pure & innocente de cette coulpe ; ie te ſupplie, ſainct & chaſte Deeſſe, que tu ſuiues mes chaſtes & pudiques mains. Cela dict, elle empoigna de la main la corde du nauire, qui la ſuiuit volontiers, ſans qu’elle ſe penaſt beaucoup, ainſi fut-elle abſoute. Scipion Naſica fut ſeul trouué digne de manier cette Deeſſe, & de la receuoir. Le Senat doncques luy donna la charge de luy faire baſtir vn beau Temple, & luy dedier des Preſtres pour officier deuant elle, qui fuſſent ſelon l’ancienne obſeruation chaſtrez, ou de nature, ou d’artifice. Voila ce que nous pouuons apprendre quant à Rhee. Expoſons maintenant ces fabuloſitez.

Mythologie physique de Rhee.Nous auons deſia dit ailleurs que les Anciens ont enueloppé ſous leurs Fables tantoſt des raiſons concernans nature & les elemens, tantoſt des preceptes pour apprendre à bien & deuëment conformer les actions de ſa vie, auſſi ce que nous auons ouy de cette Deeſſe concerne la nature des Elemens. Or que Rhee ſoit la terre, ou bien la vertu de la terre qui paſſe en la generation des choſes de ce monde, les parens qu’on luy donne, & ce qu’en dit Apolloine au premier liur. des Argo-Nauchers, le montrent clairement :

Ils auoient vn tambour, vn roüet filandier, Comme les Phrygiens accoiſent le cœur fier De la Mere des Dieux, lors que par certains ſignes Qu’elle fait voir à l’œil, par ſacrifices dignes, Teſmoins tres-apparens de ſa diuinite, Qu’on inuoque elle veut ſa ſainte maieſté. L’arbre porte ſon fruit, & ſous ſes pieds la terre D’infinité de fleurs tapiſſe ſon parterre : Les beſtes delaiſſans leurs petits dans les bois, La flattent de leur queuë auec mignards abois.

Ils auoient vne rouë, laquelle ils faiſoient tourner auec la main, & frappoient deſſus auec des courroyes garnies de fer ou de cuiure, afin qu’on n’ouyſt aucune parole des-honneſte ou faſcheuſe tandis que le ſeruice ſe faiſoit, (dit Bacchilides.) Mais ie croirois pluſtoſt que c’eſtoit pour montrer que la terre eſtoit de tous coſtez heurtee par les vents & par les pluyes. Lucrece au deuxieſme liure nous apprend auſſi que Rhee n’eſt autre choſe ſinon la terre, declarant pourquoy l’on la feignoit eſtre montee ſur vn chariot, pourquoy l’on luy faiſoit porter vne couronne tortillee, & pourquoy ſes Preſtres eſtoient Gaulois ou chaſtrez :

Cette Mere des Dieux, cette Mere des beſtes, Eſt Mere de nos corps ; les doctes Grecs Poëtes Ont enſeigné que Siſe en ſon carroſſe ailé, Les lions la tiroient l’vn à l’autre attellé, De la terre diſans que toute la grand maſſe Eſt de l’air ſouſpenduë en cette vuide eſpace ; Que la terre ne peut en terre ſubſiſter. Les plus fiers animaux ils feignent s’arreſter Auprés d’elle ; d’autant que la plus fiere engeance Doit faire joug ſous ceux deſquels elle a naiſſance, Et de leurs bons deuoirs ſe vaincre au ſouuenir. Au deſſus de ſa teſte on luy faict ſouſtenir Vn chappeau porte-tours, pource qu’en ſon enceinte Munie de beaux lieux & villes elle eſt ceinte. De cette diue-Mere, ainſi le chef orné, Par tout emmy les champs l’Idole eſt pourmené, Beaucoup de nations, d’vne mode ancienne, Des ſacres qu’ils luy font , l’appellent Phrygienne, Luy donnans pour renfort maint ſcadron Phrygien, Parce que (diſent-ils) ce fut par leur moyen Que la façon des bleds par toute l’eſtenduë De ce grand Vniuers fut iadis eſpanduë, Ses Preſtres ſont Gaulois ; car ceux qui par mesfaict Leur mere on offenſé, ceux auſſi qui de faict Meſconoiſſent, ingrats, leurs parens ; par tel vice Sont indignes du tout que leur enfant iouyſſe Des rayons du Soleil. Iceux font raiſonner Tambours tendus tonnans & prés d’elle ſonner Maint cymbale creuſé, maint clairon & trompette, Maint cornet enroué, mainte fluſte qui iette Par accords Phrygiens eſtonnement au cœur, Ils s’equipent de traits, ſignes de la fureur Qui les va poinçonnant, leſquels deſſous la crainte De ſa diuinité d’vne tres-rude atteinte Eſperdent les ingrats & plus meſchans eſpris. Quand doncques charroyee elle a le cœur eſpris Es villes & grands bourgs de faire ſon intrade, Auec vn air riant vne benigne œillade, Donnant aux citadins vn beau bon-iour muët, Tacite & ſans parler, deuant elle on luy met Tout le long du chemin où s’addreſſe ſa voye. De l’or & de l’argent et toute autre monnoye ; Et ſement force fleurs de roſes, ombrageans Cette Mere & tous ceux qui vont l’accompagnans.

Rhee pourquoi femme de Saturne.Rhee Cette Deeſſe eſt dicte femme de Saturne, c’eſt à dire du Temps : pourquoi femme pource que les mutations des elemens ne ſe font qu’auec le temps. Voila pourquoy Saturne & Rhee ſont qualifiez pere & mere de tous les Dieux, celeſtes, marins, terreſtres ; comme ainſi ſoit que les Dieux ne ſont autre choſe ſinon les forces & qualitez des elemens qui agiſſent auec le temps. Car les Anciens ont eſtimé que la terre fuſt le lien & fondement de tous corps naturels, en laquelle ſe font frequents & diuers changemens pour engendrer pluſieurs choſes deſquelles le Temps eſt pere. Ainſi donc eux reconoiſſans que la terre eſtoit la baſe & liaiſon des elemens, depuis il leur auint de connoiſtre & deſcouurir les Dieux & leurs vertus : & deſlors le monde commenca d’adorer les actions de chaſque choſe, n’ayant encore ce bon ſentiment en ſoy, que toutes choſes procedoient d’vn ſeul & vray Dieu. Apollonius au premier liure teſmoigne qu’elle eſt autrice de tout ce qui eſt en l’vniuers, diſant :

D’elles viennent les vents, & la mer boüillonnante Et du ciel azuré chaſque eſtoille brillante.

Mais Orphee a bien meilleure grace, l’appellant ſouueraine fille du pere ſouuerain, veu que tous les elemens, & toute cette machine ronde de l’Vniuers ſont baſtis & formez par la main de ce grand & incomparable Ouurier. Mais qu’eſt-il beſoin de plus grand diſcours ? Que cette Deeſſe ſoit la terre meſme, les vers qui ſe trouuent au premier liure des Poëmes de Demetrius Byſantin le demontrent clairement :

Rhee Royne des Dieux, mere des creatures, Qui prens plaiſir aux fruicts, aux fleurs et aux verdures, Demon aymant le bruit, des ſurgeons fontainiers Source & commencement, & des fleuues plainiers Siege touſiours certain : autour de qui ſans ceſſe Les poles vont roüant, tu portes tout, Deeſſe, Tu produits, l’accroiſſant, et nourris ce grand Tout : Tu as autour de toy des animaux debout, Et des plus fiers, leſquels d’vne voix flattereſſe Et de queuë te font mainte & mainte careſſe.

Dauantage que cette Deeſſe ait eſté appellee Tellus ou Terre, cela s’infere des qualitez, des inſtrumens & facultez qu’on luy attribuoit, qui toutes conuenoient à la Terre, à Veſte, à Rhee, & comme nous pouuons apprendre d’Alexis Poëte Grec :

Sainte mere Tellus qui nourris de Phrygie Les lyons, celuy ſeul qui ſert ta deité De toy peut approcher auec integrité, Ses engins de fureur Alexis te dédie, Aſſez il a ſenty ta bruyante manie, Les inſtrumens qu’il met deuant ta maieſté, Sont cymbales tinnans, et d’vn ſon eſclatté, Vn flageol enroüé fait de corne flechie, Prinſe au front d’vn bouueau, tambours eſtourdiſſans Les eſprits des humains : des glaiues rougißans Trempez en ſang vermeil : & ſa blonde criniere. Suffit qu’és ieunes ans ta main il ait ſenty : Pitoye deſormais ſon âge apeſanty, Et deſtourne de luy cette fureur tant fiere.

Pourquoi chemine en chariot.On feint qu’elle va en chariot, pource que la terre eſt de ſa propre nature ſouſpenduë en l’air : n’eſtant appuyee ny ſouſtenuë d’aucun eſtancon, & neantmoins ne panche point plus d’vn coſté que d’autre. Elle eſt enuironnee de quantité de beſtes, d’autant qu’elle produit & nourrit toutes ſortes d’animaux : & parce qu’elle ſouſtient vne infinité de villes & autres places, c’eſt à bons tiltres qu’on l’equippe d’vne couronne tortillee. Le bruit des inſtrumens que l’on faiſoit autour d’elle, ſignifie la force des vents, qui ſeruent de beaucoup, & ſont comme les maquereaux des œuures de la nature, eſtans miniſtres aſſez effectuels du froid & du chaud, & comme voicturiers des pluyes & du beau temps. Son chariot eſt tiré par quatre fiers lions ; qui certes ne ſont autre choſe que les vents qui ſoufflent des quatre parties du monde : leſquels tirent ſon chariot, & la portent, pource qu’ils ont beaucoup d’efficace pour la generation des biens de la terre, voire des creatures. En vn mot, parce que toutes choſes decoulent d’elle, & qu’elle leur donne naiſſance : elle eſt à bon droict dite Rhea, de rhéein, qui ſignifie couler. Parlons maintenant de Latone.