Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 08 : Des Curetes ou Coribantes Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Fiche : Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Curetes ou Coribants.

CHAPITRE VIII.

Diuerſes opinions de l’eſtre & nature des Curetes & Cotybans.ON doute fort ſi les Curetes, qui auec Rhee garantirent Iupiter de la cruelle gloutonnie de Saturne, & le tranſporterent en Candie pour le nourrir au deceu d’iceluy, ont eſté demons ou hommes : ioint qu’Hecatee Mileſien és liures qu’il a eſcrit de Phoronee, Roy d’Argos, les appelle quelquefois Dieux ſaulteurs ou baladins : quelquefois ioüieurs, plaiſans ou ioyeux. Mais Menodore de Samos és memoires qu’il a eſcrit des choſes memorables de l’iſle de Samos, les nomme Dieux armez de boucliers d’airin. Heraclide de Pont en ſes amours tient qu’ils furent non Dieux, mais hommes Candiots, premiers forgeurs d’armes d’airin en Eubœe, qui nourrirent Iupiter, auec lequel ils porterent puis aprés les armes, & le reſtablirent en ſon Royaume paternel & ſucceſſif. Echemenes en l’Eſtat de Candie eſcrit que les Curetes & Corybants naſquirent des Dactyles Ideens en Candie, & qu’ils eſtoient en nombre de cent, & furent auſſi nommez Dactyles Ideens : leſquels engendrerent neuf Curetes, qui eurent chacun dix enfans maſles, depuis nommez Dactyles Ideens, comme dit Strabon au dixieſme liure. Mais Denys de Chalcis maintient qu’ils eſtoient quinze : Pherecydes, cinquante deux, lequel auſſi les faict fils d’Apollon & de la Nymphe Rhytia ; les autres d’Apollon & de Cabere fille de Protee. Hellanique dit qu’ils furent ſurnommez Ideens à cauſe de la montagne d’Ida en Candie, Mnaſeas au premier liure d’Aſie, eſcrit qu’ils porterent le nom de leur pere Dactyle, & le ſurnom de leur mere Ida : mais Poſidippe Poëte d’epigrammes tient qu’on les appella Dactyles Idëens, pource que rencontrans Rhee en la montagne d’Ida, ils l’empoignerent par les doigts en la ſaluant. Or dactylos ſignifie le doigt. Au reſte c’eſtoient des plaiſanteurs & ioüieurs de paſſepaſſe, braues ouuriers à déguiſer le fer en diuerſes formes, inuenteurs des mines de fer, de cuiure & d’autres metaux, premiers forgerons en Phrygie, Eratoſthene en ſon Architectonique, & Scepſius, tiennent que les Curetes & les Corybants n’eſtoient qu’vne meſme eſpece de gens : Orphee eſt de meſme auis, les nommant,

Curetes Corybants, preux, engeance Royale.

Les autres eſcriuent que les Titans les prindrent en la prouince de Bactres en Scythie, les autres à Colchos : les autres en Phrygie, & les donnerent à Rhee pour ſes ſeruiteurs & miniſtres. D’autres veulent dire que Rhee auoit neuf couſteliers, qui eſtoient nommez Telchins, qui ont iadis tenu l’iſle de Rhodes, hommes malfaiſans, grands enchanteurs & ſorciers, qui ſe retirerent en l’iſle de Candie, auſquels Iupiter nouuellement né fut donné en charge, & dés lors ils furent appellez Curetes ; mais que les Corybants fils du Soleil & de Minerue, eſtoient demons. Quelques-vns les font iſſus de Saturne, d’autres de Iupiter & de Halliope d’autres eſtiment qu’ils eſtoient miniſtres d’Hecaté. Les Curetes autrement Corybants, danſoient armez és ſacrifices de la Mere des Dieux, & n’y en receuoit-on point que de vierges & chaſtes. Leur etymologie.Quant à leur denomination, il faut ſçauoir que le nom de Corybants vient du mot Grec koryptein, pource qu’en danſant auec leurs armes ils alloient branſlans & ſecoüans la teſte en guiſe de fols, dõnans auec harmonie & certains accords de leurs eſpees contre leurs boucliers. Caliſthenes au 1. liure de ſa nauigation, & Euphorion, eſcriuent que les Dactyles, Idees, Curetes, Corybants, Cabires, Telchins, eſtoient vns & meſmes, ne differans que de nom : & les autres diſent qu’ils eſtoient tous couſins & alliez, mais peu differents enſemble. Quant aux Curetes, Strabon au 10. liure dit qu’ils demeuroient en la Prouince de Pleuronie, qui eſt de l’Ætolie, & pour l’amour d’eux fut depuis nommee Prouince des Curetes. Ils portoient de longs cheueux : mais pource que les Ætoliens, auec leſquels ils auoient guerre perpetuelle, quand ils les pouuoient ioindre leur arrachoient les cheueux de deuant, ils ſe les firent couper, & ne nourrirent plus que ceux du derriere de la teſte ; & dés lors furent nommez Curetes, du mot Grec kourà, c’eſt à dire tonſure. Archemachus d’Eubœe l’enſeigne autrement, & dit qu’ils habitoient en Chalcis, & qu’ils auoient procés & querelle pour la terre de Lilant ; mais d’autant que leurs parties aduerſes les empoignoient comme nous auons dit, ils ſe firent tondre, & furent nommez Curetes, comme qui diroit Tondus. Puis-aprés s’eſtans habituez en Ætolie, & ſaiſis de la Pleuronie outre la riuiere d’Achelois, ils recommencerent d’entretenir leur ancienne cheuelure, & furent appellez Acarnans. Il y en a qui diſent qu’ils furent ainſi nommez pource qu’ils portoient des longues robbes comme femmes. Semus au liure 7. des choſes & reliques de Delos eſcrit que les Curetes furent fils de Danais, Nymphe de Candie, & d’Apollon : & les Corybants, d’Apollon & de Thalie, & que par conſequent ils ne pouuoient eſtre vns &meſmes. Occis pas Iupiter.Au demeurant Apollodore Athenien au 2. liure de ſa Bibliotheque eſcrit que Iupiter les fit mourir, pource qu’à la ſuaſion de Iunon ils prindrent & cacherent Epaphe fils de luy & d’Io. L’on dict que ces Curetes remplis de l’eſprit de Bacchus auoient accouſtumé de faire auec vne tumultueuſe agitation & cliquetis d’armes vn eſtrange tintamarre de cymbales, tambours, clairons, fluſtes, & autres inſtrumens, cependant que les ſacrifices & feſtes de la mere des Dieux s’accompliſſoient, afin de tenir l’aſſemblee en ceruelle & les faire trembler ſous la crainte & la reuerence de cette Deeſſe. Lucreſſe au deuxieſme liure exprime en peu de vers cette deuote ceremonie que les Curetes obſeruoient és ſolemnitez de Rhee :

Là gens armez (les Grecs les nomment Corybantes, Que l’on dit Phrygiens) des chaines eſclatantes Font reſonner en foule, & ſaultent en accords Meſurez, aſpergeans du ſang deſſus leurs corps ; Branſlent auec terreur les cretes de leur teſte, Et contrefont ainſi les Curetes de Crete ; Dictiens, qui iadis ſous Ida mont Cretin Recelerent le cry de l’enfançon Iupin, Lors que tourne-virans d’vne viſte courante Tout à l’entour de luy, de ſa bouche brayante Ils deſtournoient le bruit, en faiſant rebondir L’airin deſſus l’airin, qu’on oyoit retentir Enuiron cet enfant et ſuiuoient la cadance, A pas bien meſurez, de cette ailee dance.

Pourquoi les Anciens appliquoiẽt la musqiue en leurs Sacrifices.Or ç’à eſté fort ſagement auiſé à l’ancienne Theologie, d’accommoder la muſique aux Sacrifices de leurs Dieux, pour montrer non ſeulement que les affections des Sacrifians qui deſiroient auoir accez à l’autel d’iceux, deuoient eſtre raſſiſes, accoiſees & vuides de toutes paſſions, veu que meſmes il falloit que ſortans de leurs maiſons ils y veinſſent fournis de prieres compoſees en rythme (& de fait l’eſprit embroüillé d’affaires domeſtiques ne doit point s’ingerer d’adreſſer à Dieu ſa priere ; ains nous preſentant deuant ſa Majeſté, nous deuons deſpoüiller & vuider noſtre memoire de tout autre penſer) mais auſſi pource que prenans leurs Dieux pour des corps celeſtes, ils eſtimoient qu’iceux meſmes fuſſent compoſez de nombres & proportions harmoniques. Ainſi doncques par la cadence & rythme de leurs hymnes, inſtruments & danſes, ils contrefaiſoient la nature de leurs Dieux, & donnoient du plaiſir & de la reſiouyſſance aux Sacrifians, & celebrans les iours de feſtes, vacquans à feſtins & chere publique ; & imitans aucunement l’heureuſe condition de leurs Dieux, ils taſchoient en-tant qu’en eux eſtoit, d’approcher de leur naturel. Car croyans que cet œuure incomparable de Dieu, le Monde, fuſt compoſé d’accords & concerts melodieux, ils cuidoient auſſi que tout ce qui depend de la Muſique fuſt agreable à leurs Dieux. Division des Curetes.Mais comme ainſi ſoit qu’Orphee diſtingue les Curetes en Demons marins, terreſtres & celeſtes : il ſemble qu’il les ait tenus pour Demons commis ſur les tempeſtes, ou pluſtoſt qu’il les prenne pour les vents meſmes, comme le teſmoignent ces vers :

Curetes equippez de tout arme d’airin, Puiſſans au ciel, en terre, & ſur l’eſtat marin ; En valeur renommez vents fruictiers, race ſaincte, Du monde le ſalut tenant ſous voſtre enceinte.

Pourquoi ministres de Rhee.Et de faict, le tintamarre qu’ils menoient ne ſignifioit autre choſe que la force des vents : leſquels eſtoient auſſi nommez Miniſtres de Rhee : pource que par les vents, comme il a eſté dict, les pluyes, les froidures, & toutes autres œuures de nature ſortiſſent leur effect. Car aucun animal ne ſe peut engendrer ſi par le moyen du vent le ſperme ne fort dehors : ce qui ſe pratique en toutes les ſemences des plantes. Or que les Curetes ne ſoient autres que les vents, voire autheurs de la vie & de la mort des œuures de nature, ces vers d’Orphee le teſmoignent, declairans auſſi que la mer eſt par leurs eſprits & ſouflers agitee, comme ainſi ſoit que rien ne la tourmente plus que les vents :

O demons eternels, nourriſſiers, et qui meſme Lors que les chauds boüillons d’vne cholere extreme Vous poinçonne le cœur encontre les humains, Rendez tous leurs efforts inutiles & vains, Deſtruiſans leurs trauaux et nouuelle ſemence, Et les faictes außi foiſonner à puiſſance, C’eſt par vous que les flots de Neptun indigné Grommellent bourſoufflez ; par vous deſraciné Maint arbre emmy les champs donnent du nez en terre, Et les Zephirs en l’air ſe proumenent grand’erre.

Car les vents ſont autheurs de la fertilité & ſalut des animaux : & pourtant à bon droit les Anciens les ont pris pour les Miniſtres de Rhee, c’eſt à dire de la terre, veu que la benignité de l’air confere plus pour le rapport & fecondité de la terre, que tout le trauail annuel des laboureurs. Il eſt temps de quitter les Curetes & Corybants, & paſſer aux Cyclopes.