Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 13 : D’Achille Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

D’Achille.

CHAPITRE XIII.

Liure 8. chap. 2.Av diſcours de Thetis nous auons expoſé preſque tout ce qui concerne les nopces d’elle & de Pelee, duquel mariage entre autres enfans iſſit Achille. Or elle auoit accouſtumé de les cacher ſous le feu durant la nuict, afin de leur conſumer ce qu’ils auoient de mortel, & empeſcher que la vieilleſſe ne les accueilliſt oncques : mais ne pouuans endurer la violence du feu, ils y moururent tous horſmis Achille, qu’auec beaucoup d’affection & de curioſité maternelle, de iour elle oignoit d’ambroſie depuis la teſte iuſqu’à la plante des pieds ; & de nuict l’enterroit ſous le feu : pourtant fut-il nommé Pyriſoüs, c’eſt à dire, ſauué du feu. Mais d’autant qu’il auint à l’enfant de ſe lecher vne leure, & d’en emporter au bout de ſa langue l’ambroſie, cette partie lechee ne pouuant endurer l’eſpreuue du feu, ſe conſuma, & luy fit donner le nom d’Achille, du mot cheìlos, qui ſignifie leure, en prepoſant cette particule a, qui en pluſieurs mots compoſez apporte vne ſignification contraire aux ſimples. Achille donc vaut autant que Sans-leure. La Deeſſe le voyant beau, bien formé, d’agreable & belle eſperance, le prit en fort grande amitie, & pour ſçauoir quelque choſe de la deſtinee, s’alla conſeiller à l’Oracle de Themis, qui luy reſpondit, Que l’enfant ſurpaſſeroit la gloire, la ſplendeur & la renommee de tous ſes deuanciers ; mais qu’il couroit fortune de finir ſes iours en la premiere fleur de ſes ans, & d’eſtre occis en trahiſon par vn de moindre valeur que luy, qui deuoit ſuſciter en Aſie vne longue & funeſte guerre à l’occaſion d’vne belle Dame. Pour deſtourner cette deſtinee, Thetis eſtant de retour alla plonger ſon fils dedans le fleuue infernal de Styx ; & par ce moyen le rendit inuulnerable en toutes les parties de ſon corps, excepté la plante des pieds qu’elle tenoit en le plongeant, puis continua de le oindre cachément, comme nous auons dict, iuſqu’à ce que Pelee l’euſt ſurpriſe. Alors indignee de ſe voir deſcouuerte, elle ſe retira chez les Nereïdes ſes ſœurs, & laiſſa là ſon fils. C’eſt ce que nous apprend Apollonius au 4. des Argo-Nauchers. Les autres diſent que Thetis ſouloit ietter ſes enfans en vne chaudiere d’eau boüillante, pour eſprouuer s’ils eſtoient nez mortels. Cependant Dorion & Denys de Chalcis eſcriuent que la mere d’Achille fut fille du Centaure Chiron. Au contraire Daïmache Alexandrin le fait fils de la Nymphe Caloé. Apollodore au 3. liure dit que Pelee emporta ſon fils chez Chiron, & le luy laiſſa pour le nourrir & eſleuer, à cauſe de la reputation qu’il auoit d’homme iuſte & bien viuant ; ce qu’il fit auec autant d’affection & d’amitié qu’on pourroit imaginer, le nourriſſant de freſſures de lions, de mouëlles de Cerfs, Sangliers & Ours, & autre telle ſauuagine, ſans gouſter de laict, comme le teſmoigne Euphorion, qui nous donne vne autre etymologice du nom d’Achille ; diſant qu’il s’en retourna en Phthie ſans auoir eſté aucunement abruué de laict, & que pour cette cauſe les Myrmidons, peuples de Theſſalie, qui depuis le ſuiuirent à la guerre de Troye, l’appellerent Achille, du mot chilòs, c’eſt à dire paſture, comme ayant eſté nourry de paſture differente des autres enfans. A cecy ſe rend conforme Nazianzene, qui dict, qu’il fut ainſi nommé pour auoir été nourry ſans viande ; car chilòsſignifie viande & ſuc, or on l’accouſtuma dés ſon enfance à ne manger que de la venaiſon creuë. Qu’Achille ait eſté nourry par les mains de Chiron le plus ſainct & iuſte de tous les Centaures, il le teſmoigne ainſi en l’Iphigenie d’Euripide :

Par-fois il eſt bon peu ſçauoir Et parfois il eſt bon d’auoir De pluſieurs choſes connoiſſance ; Ie fus nourry des mon enfance Chez Chiron tres-ſainct ſeruiteur Des Dieux, qui m’abruua le cœur De pures mœurs, ſimples, entieres, Non frauduleuſes, non altieres.

Il apprit chez luy la Muſique d’inſtrumens & de voix, la connoiſſance des ſimples & de la medecine, à tirer de l’arc, l’induſtrie de la chaſſe, le maniment des armes, les loix d’equité & de prudence, ſelon le teſmoignage de Staphyle au 3. liure de l’hiſtoire Theſſalique. Or dés qu’il eut atteint la neufieſme annee de ſon aage, & que le Prophete Calchas eut prononcé que la ville de Troye ne ſe pouuoit prendre ſans Achille ; il aduint que Thetis n’ayant pas deſpoüillé l’affection & charité maternelle à l’endroit de ſon fils, ſe proumenant vn iour emmy la mer, deſcouurit la flotte de Pâris qui emmenoit la belle Helene. Adonc ſe reſſouuenant de la ſuſdite prediction, elle alla requerir Neptun de vouloir enfondrer ſes vaiſſeaux, afin de diuertir par là le ſubiect de la guerre où ſon cher fils deuoit perir. Mais il fit reſponſe d’en eſtre empeſché par l’arreſt des Deſtinees, que luy-meſme ne pouuoit éuiter ; qu’il ne luy eſtoit pas loiſible de peruertir le cours d’icelles, ny de violer leurs ſainctes loix. Ainſi donc, pour ne rien obmettre qui fuſt de ſon deuoir, elle s’en alla trouuer Chiron, & feignant vouloir acheuer de feer Achille, & pour cet effect le tranſporter en la coſte d’Æthiopie, l’emmena tout au rebours en l’iſle de Scyros, l’vne des Cyclades, chez le Roy Licomede (afin que les Chefs de l’armee Grecque ne peuſſent auoir nouuelles de luy quand il ſeroit queſtion de marcher) en intention de l’endormir en plaiſirs, voluptez & delices ; en la Cour duquel il fut du depuis nourry, deſguiſé en habits de fille, auec l’Infante Deidame, enuers laquelle il trouua tant de grace, & eurent enſemble des familiaritez ſi ſecrettes qu’en fin il l’engroſſa d’vn beaufils, nommé Pyrrhe pour ſes blonds cheueux reluiſans comme feu. Toutefois comme l’inſtinct genereux de ſa vertu deſdaigna toutes ces mondanitez, Voyez le 1. chap. de ce liure.ainſi que nous auons dit ailleurs, ayant eſté deſcouuert par la ſubtilité d’Vlyſſe, il ne ſe peuſt exempter du voyage. Thetis doncques connoiſſant la neceſſite de ſon fils, s’en alla trouuer Vulcan, luy priant de luy forger des armes inuincibles, & de ſi bonne trempe, que bras humain, tant robuſte fuſt-il, ne les peuſt percer, comme dit Philarche en ſes contes fabuleux. Vulcan les luy depeſcha : mais il fit refus de les luy bailler que premierement il n’euſt couché auec elle. Ce que Thetis luy accorda, toutefois à condition qu’elles ſe trouuaſſent bien faites, & qu’elles armaſſent bien ſon fils : que pour faire l’eſſay il falloit qu’elle les veſtiſt ; mais auſſi-toſt qu’elle fut armee, elle gaigna au pied, & par ce moyen trompa le boiteux Vulcan. Vlyſſe dans Ouide eſtriuant auec Ajax Telamonien ſur la poſſeſſion de ces armes, aprés la mort d’Achille, deſcrit ainſi les choſes contenuës au bouclier d’iceluy :

Thetis a-t’elle eſté ſi fort ambitieuſe Pour ſon Achille afin qu’vne ame ſi peureuſe, Si chetifue & ſans cœur ſe puiſſe preualoir De ce preſent celeſte, œuure de grand valoir ? Car il n’y cognoiſt rien, & ne ſait ce qu’enſerre Le bouclier en ſon rond, & la mer & la terre ; Ce haut plancher des Cieux s’y void auſſi compris, Et tout ce qui ſe trouue au celeſte pourpris. Les ſept filles d’Atlas que l’on nomme Pleiades. Les ſept autres auſſi qui s’appellent Hyades. Et l’Ourſe qui iamais ne ſe plonge en la mer. Et celuy dont trois Dieux à force d’vriner Compenſerent iadis la charité d’Hyree. On y void d’abondant mainte cité tiree, Maint peuple, maint pays, et voudroit-il auoir Des armes dont le ſens il ne peut point ſçauoir ?

Liure 5. chap. 16.On dit que ſa lance (ou hache d’armes) auoit ie ne ſcay quelle fatalité ; Car le Roy Telephe bleſſé de ſa main, comme nous auons ailleurs expoſé, ne puſt eſtre guery que de ſa main meſme. Ce fut en vne charge faicte par les Myſiens ſur les Grecs allans au voyage de Troye. Le conflict dura iuſques à ce que la nuict contraignit chacun de faire la retraicte. Le lendemain furent enuoyez Ambaſſades de part & d’autre, pour obtenir quelque trefue, durant laquelle chacun peuſt reconnoiſtre ſes morts & les enterrer, ce qui fut accordé. Cependant quelques Capitaines Grecs, proches parens de Telephe, le vindrent trouuer, & s’eſtans donnez à connoiſtre, luy remonſtrerent que ſes gens auoient eu tort de faire vne ſi dure reception à la flote Grecque, qui n’auoit pris telle routte pour les endommager, mais ſeulement en intention de paſſer outre vers Troye, pour venger le rauiſſement d’Helene. Telephe leur reſpondit, que le tort venoit de leur coſté, qui auoient eſté ſi mal-auiſez de n’enuoyer vers luy quelque Ambaſſadeur pour demander libre & paiſible paſſage, & l’aduertir quels ils eſtoient, & du ſujet de leur entrepriſe, qu’alors il fuſt venu luy-meſme les bien-venir & recueillir amiablement. Aprés pluſieurs propos, Telephe fit crier à ſon de trompe, qu’on laiſſaſt les Grecs prendre terre à leur plaiſir. Ainſi la pluſpart des Chefs de l’armee vindrent luy faire la reuerence en ſon Palais, & luy amenerent deux excellens Maiſtres, Machaon & Podalyre, fils d’Æſculape pour le penſer. Le Roy leur fit de tres-beaux preſens, & les feſtoya pluſieurs iours : au bout deſquels, voyans la mer bonaſſe, & le temps propice à nauiger, ils reprindrent leur route. La playe fut de longue cure ; voire telle que huict ans aprés s’eſtant r’ouuerte, il receut vn Oracle, Qu’il falloit que celuy meſme qui l’auoit bleſſé, le gueriſt. Parquoy ſe tranſportant vers Achille, receut en peu de iours entiere gueriſon. C’eſt ce qu’en diſent Dictys au ſecond liure de la guerre de Troye, & le Commentateur de Lycophron. Les vns eſcriuent que pour le guerir, il le frappa ſeulement de la meſme arme au meſme endroit. Pline dit, qu’il y appliqua de la roüille de ſa hache, laquelle a vertu de lier, ſecher & reſtrindre. Mais ie croy pluſtoſt Claudian, eſcriuant qu’il ſe ſeruit de quelques herbes, auſſi les auoit-il fort bien appriſes, auec l’vſage d’icelles, de ſon gouuerner ; ſi que l’vne d’icelles merita de porter ſon nom, comme nous verrons tantoſt. Au reſte les Grecs ayans eu auis par l’Oracle, que celuy qui le premier mettroit pied à terre ſur le riuage Troyen, mourroit le premier ; Proteſilas ſaillit le premier de tous : auſſi fut-il le premier occis par Hector. Ce qu’Achille ſçachant tres-bien, il deſcendit le dernier de ſon vaiſſeau, ſautant auec telle impetuoſité, & heurtant du pied la terre auec telle force, qu’il en rejalit vne grande quantité d’eau, d’où ſe deſcouurit vne fontaine. Il fit en cette guerre beaucoup de braues & hauts faicts d’armes, deſcrits par Homere en ſon Iliade : iuſques à ce qu’irrité de ce qu’Agamemnon luy auoit de force enleué Hippodame fille de Briſés, il ſe retira du camp, & poſa les armes que prieres aucunes ne luy peurent iamais faire reprendre. Mais en fin eſmeu de la mort de ſon fidele amy & compagnon Patrocle occis par Hector, il retourna au camp, & tua Hector, lequel il attacha à ſon chariot, & le traina par trois fois autour des murailles de la ville, en vengeance de Patrocle : puis vendit le corps au Roy Priam ſon pere. Finalement comme il eut vn iour apperceu Polyxene fille de Priam ſur les carneaux de la muraille, il en deuint amoureux ; ſi fit entendre à Priam par meſſagers exprés, que s’il luy vouloit bailler ſa fille en mariage, il porteroit les armes pour la defenſe & conſeruation de ſon Eſtat & de ſa couronne. Leſquelles offres & demandes Priam accepta ; mais comme ils eſtoient aſſemblez pour cet effect au Temple d’Apollon Thymbree, Pâris frere d’Hector defunct luy tranſperca proditoirement auec vne fleche, la partie du pied qui n’auoit trempé dans l’eau Stygienne, dont il mourut. Son corps ne fut rendu aux Grecs que premierement ils n’euſſent rendu la meſme rançon que l’on auoit payee pour le rachapt d’Hector ; c’eſt à ſçauoir, auſſi peſant d’or que peſoit le corps d’Hector defunct. Les Muſes & Nymphes pleurerent la mort de ce braue Heros, comme teſmoigne Lycophron en ſon Alexandre. La riuiere de Boryſthenés faict vne iſle aujourd’huy nommee Sidoniſi, anciennement Achille, pource qu’Achille y fut enſeuely : lequel auſſi trouua l’vſage & proprieté de l’herbe nommee mille-fueille, qui fut pour l’amour de luy dicte Achilleum, par les Grecs ; autrement myriophyllon. On dit que les os d’Achille & d’Antioche furent enfermez dans vn vaſe d’or que Bacchus dõna à Thetis quand il s’enfuyoit de deuant la violence de Lycurgue Roy de Thrace. Ibyque dit qu’eſtãt aprés ſa mort deſcendu aux champs Elyſiens, il eſpouſa Medee. Voyez liure 5. chap. 13.Au reſte Zezés en la 98. hiſtoire le fait voirement fils de Pelee, mais non pas de la Deeſſe marine, ains d’vne autre Thetis fille d’vn Philoſophe nommé Chiron ; qui fut en ſon temps precepteur de pluſieurs ieunes Princes, auſquels il enſeignoit l’art de venerie, de lancer à propos le dard & jauelot à courſe de cheual ; auec la medecine &chirurgie, ſelon que ces ſciences eſtoient pour lors en vſage.

¶Sur ce que Thetis plonge Achille tout entier dans la riuiere de Styx, horſmis le talon & plante du pied ; eſt à noter que les anatomiſtes remarquent certaines veines procedans de ladite partie, qui ſe vont communiquer & rendre aux cuiſſes & aux reins, enſemble à l’eſpine du dos, où conſiſtent les lubriques chatoüillemens, qui ſelon Orphee y ont leur ſiege. C’eſt donc pour l’endurcir à toutes ſortes de maux, pour y reſiſter, & ſe rendre inuincible, fors que contre les aiguillons & les cõcupiſcences de la chair, par laquelle il fleſtriſt la meilleure partie de ſes genereuſes proüeſſes, & ſe cauſa finalement la mort. Or Achille fut nourry par les mains de Chiron, demy-homme & demy-cheual, ſelon la commune creance ; parce qu’vn Prince doit eſtre eſgalement orné de raiſon & de force. Auſſi dit-on que les Nymphes le pleurerent, pource que ſon conuoy ſe fit auec des inſtrumens de muſique. Et pource que (comme dit Iſace) les vents. auoient eſtrangement eſmeu la mer en ce temps-là, le bruit courut que les Nymphes ſe douloient de ſa mort tant indigne. Car ce ne ſeroit pas ſagement faict de croire que telle choſe fuſt auenuë pour l’amour d’Achille, veu que les Elemens n’ont aucun ſoin ne penſement ny de noſtre naiſſance, ny de noſtre decez. Exemple ſingulier pour les Princes genereux.On dit qu’il ſe cacha parmy les filles de Lycomedés traueſty en fille, pource qu’ayant eſpouſé Deidame, fille dudit Roy, il eſtoit ſi vifuement rauy de ſes nouuelles amours, qu’il paſſoit la plus grande partie de ſon aage chez Lycomedés, en la compagnie de ſa ieune mieux aymee. Cet Heros, le plus vaillãt de tous les Grecs, ne pult eſtre vaincu par aucun ſien ennemy, iuſques à ce qu’enlacé d’amour & pris és liens de volupté, il fut porté par terre par la fleche du plus laſche & timide qui fuſt preſque entre tous les Troyens. C’eſt doncques pour nous apprendre, que ceux qui ont de la valeur & le cœur aſſis en bon lieu, doiuent ſur toutes choſes craindre les appaſts & allechemens des plaiſirs charnels, qui ſont en fin tres-pernicieux & dommageables à ceux qui s’y laiſſent emporter. Or paſſons à Ganymede.