Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 17 : De Narcisse Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Narciſſe.

CHAPITRE XVII.

Le beau Narciſſe, que les Fables diſent auoir été transformé en vne fleur de ſon nom, fut fils de la riuiere de Cephiſe, ou Cephiſſe, & de Liriope, Nymphe marine, qui s’esbatant emmy ſes ondes, fut par luy engroſſie. Dés qu’il fut né, le pere s’en alla au conſeil vers le Deuin Tireſias, pour auoir auis de la longueur ou briefueté des iours de ſon fils : lequel luy reſpondit qu’il viuroit tant & ſi longuement qu’il s’abſtiendroit de ſe voir ſoy-meſme ; ce qu’Ouide exprime comme il s’enſuit au troiſieſme des Metamorphoſes :

Le Cephiſe iadis enleua Liriope, Qu’en ſes flots ſinueux amant il enueloppe, Et la faict deuenir, l’enſerrant en ſon eau, Mere d’vn fils qui fut ſi parfaitement beau, Que dés le premier iour qu’il vid la treſſe blonde Et les raiz lumineux du grand flambeau du monde, Il fut trouué capable & digne qu’on l’aimaſt. Dont le pere ioyeux voulut qu’on le nommaſt Narciſſe ; puis allant au deuin Tireſie Pour ſçauoir ſi ſon fils ſeroit de longue vie, Et d’vn aage chenu pourroit atteindre au poinct, Voire (dit-il) pour ieu qu’il ne ſe voye point.

Et combien que cette reſponſe ſemblaſt d’abord abſurde & ridicule toutefois l’iſſuë le moutra veritable. Amour des Nymphes enuers Narciſſe.Car comme toutes les Nymphes en general & en parriculier aymaſſent tres-ardemment Narciſſe, aagé de ſeize ans, mais plus que toutes autres, Echo, il les reiettoit auec vne admirable conſtance. Cependant Echo en eſtoit tant affolé qu’elle le ſuiuoit quelque part qu’il marchaſt, taſchant par tous moyens de l’attirer à ſon amour. Ce que n’ayant iamais ſceu obtenir, impatiente d’amour, qui la fit tumber en chartre & deuenir hectique, elle fut finalement metamorphoſee en rocher, & rien ne luy reſta que la ſeule voix, encore bien foible, & renfermee dans les bois, creux rochers, baricaues & lieux ſolitaires. Mais la vengeance des Dieux ne tarda gueres qu’elle ne ſe reſſentiſt de cette piteuſe deſconuenuë à l’encontre du cruel orgueilleux adoleſcent. Car comme il reuenoit vn iour de la chaſſe, haraſſé de chaleur & de fatigue, & outré de ſoif, il s’alla refraichir en vne belle claire fontaine, au milieu des bois, & s’agenoüillant pour boire, appuyé des mains ſur le bord de la fontaine, n’auoit encores approché ſes levres de l’eau, qu’il apperceut ſon image au fond d’icelle ; car la fontaine eſtoit tres-claire, & le fond noiraſtre. Et de luy vers luy-meſme.Dés-lors il fut embraſé de tel amour & deſir de ſa forme & beauté, que ne trouuant point de moyen ny d’eſperance d’en iouyr, il deuint pareillement en chartre, preſt à paſmer de regret, ſi par la miſericorde des Dieux il n’euſt eſté tranſmué en vne fleur de meſme nom que le ſien. Le nom de Narciſſe vient d’vn mot Grec ſignifiant eſtre engourdy, ſtupide & ſans ſentiment. Cette fleur fut depuis conſacree aux Eumenides, & ceux qui leur vouloient offrir quelque Sacrifice, en portoient des chapeaux ſur leurs teſtes ; elle fut toutefois auſſi fort aggreable à Bacchus. Phanomede au 5. liure de l’hiſtoire Attique eſcrit que les guirlandes de Narciſſe eſtoient dediees à Proſerpine, d’autant qu’elle cueilloit de ces fleurs là quand Pluton la rauit. Pauſanias en l’Eſtat de Bœoce dit que ſur les confins des Theſpiens il y auoit vn hameau, nommé Danace, & vne fontaine nommee Narciſſe, en laquelle on diſoit que ce ieune homme s’eſtoit veu. Euanthés en ſes contes fabuleux eſcrit qu’il eut vne ſœur beſſonne, du tout ſemblable à luy d’air de viſage, de poil, d’habits, & de taille. Et comme ils alloient ordinairement à la chaſſe de compagnie, il en deuint amoureux : mais elle mourut là deſſus, & luy comme deſeſpere pour la perte de ſa ſœur, s’alloit ſouuent mirer en la fontaine, pour ſe repreſenter en ſa perſonne celle de ſa ſœur. Mais trouuant peu de reconfort & de ſoulagement en cela, l’extreme dueil & regret qu’il en conceut le fit mourir : ou bien comme d’autres veulent dire, il ſe precipita dans vne fontaine où tous deux auoient accouſtumé de s’aller eſgayer, & y mourut. Mais Pauſanias maintient que cela eſt faux, & controuué en faueur de Narciſſe, & que Proſerpine fut rauie long temps deuant que Narciſſe fuſt. Quant à la fleur de Narciſſe, Dioſcoride la deſcrit au 4. liure chap. 160, & elle conuient aſſez bien auec ceux que nous appellons Oeillets noſtre Dame. Aucuns la prennont pour la Campanette, ou pour vne forme de liz de couleur pourprine, qui a les fueilles preſque ſemblables à celles des Flambes.

¶Or qu’eſt-ce que cette Fable contient de profitable à la vie humaine, pour auoir tranſmis à la poſterité ces paroles ainſi deſguiſees ? Les Anciens ont voulu ſignifier que la vengeance diuine ſuit ordinairement & talonne de prés l’homme mal-auiſé, & mal-viuant, ainſi que l’ombre accompagne le corps. Car combien que Dieu differe quelquefois ſa vengeance, il eſt neantmoins d’autant plus rigoureux (ou pluſtoſt iuſte) en la punition des meſchans. Et plus quelqu’vn a receu de moyens de bien employer & faire valoir les graces de Dieu, plus il eſprouue ſon ire & ſa vengeance s’il en abuſe. Celuy donc qui ſe glorifioit outre meſure de ſa beauté & belle taille, laquelle l’aiguillonnoit à attenter des actes laſcifs & inceſtueux, ne meritoit-il pas bien de perir par icelle meſme ? Diſcourons maintenant des Belides.