Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 18 : Des Belides, ou Danaides Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Des Belides ou Danaïdes.

CHAPITRE XVIII.

Punition des Belides.Il faut pas oublier à mettre en rang les filles de Danaüs, leſquelles on dit eſtre aux Enfers condamnees à puiſer perpetuellement de l’eau d’vn puits extremément creux, auec vn crible (autres diſent vn muy desfonſé) ſans le pouuoir iamais amener plein iuſques au bord du puits. Or Danaüs fut fils de Bel, ſurnommé l’ancien, fils d’Epaphe (ou ſelon les autres de Neptun) & de Lybie, & eſpouſa Iſis, vefue d’Apis Roy d’Argos, au temps que Cecrops regnoit dans Athenes. Cettuy-cy ſortant d’Egypte debouta Sthenel Roy d’Argos de ſon ſiege Royal, & s’en eſtant emparé engendra cinquante filles de diuerſes femmes, qui du nom de leur grand pere furent nommees Belides ; & du nom de leur pere, Danaïdes. On dit que Danaüs ſe retira en Grece à l’occaſion d’vne querelle qu’il auoit auec ſon frere Egypte ; pource que les Princes ne voyent pas de bon œil leurs alliez & parens, qui principalement aſpirent à meſme dignité. Dautre coſté Egypte auoit cinquante fils, & deſiroit s’accorder & r’entrer en amitié auec ſon frere. Or il ne trouua point de meilleur expedient pour ce faire, qu’alliant par mariage ſes fils auec ſes niepces. Faiſant doncques traitter de cette alliance auec ſon frere, il ne fut pas eſconduit, ains les nopces ſomptueuſement accomplies. Toutefois, ou ſe defiant de ſon frere, & n’adiouſtant point de foy aux promeſſes d’iceluy, ou ſe reſouuenant encore de l’iniure qu’il en auoit receu ; ou bien (comme quelques-vns diſent) pource que l’Oracle luy auoit predit qu’il mourroit par la main d’vn de ſes gendres, il donna à chacune de ſes filles vn poignard, & leur fit promettre de couper toutes la gorge à leurs maris, cependant qu’ils ſeroient endormis pleins de vin & de luxure. Voicy les noms des fils d’Egypte : Agenor, Ægie, Alcis, Alcmeon, Agaptoleme, Argie, Archelaüs, Ægypte, Arbel, Bromie, Buſiris, Chthonie, Chalcodon, Chere, Chryſippe, Clyte, Ciſſee, Daiphron, Diacoryſte, Dorion, Dryas, Encelade, Euenor, Euryloche, Eurydamas, Hippodame, Hyppocoryſte, Hyperbie, Hippolyte, Hippothoe, Herme, Imbre, Idmon, Idas, Lixe, Lampe, Lyncee, Lyque, Menache, Megacle, Oenee, Periphas, Pandion, Polyctor, Prothee, Periſthene, Phante, Potamon, Periphante, Sthenel. Les filles de Danaüs ſe nommoient ainſi : Anaxibie, Anthelee, Adianthe, Actee, Adyte, Autonoé, Aſterie, Agaue, Automate, Amymone, Brice, Cerceſtis, Clyte, Calix, Cleopatre, Cleodore, Chryſippe, Callidice, Celeno, Dioxippe, Erato, Euippe, Electre, Euridice, Euhippe, Glaucippe, Gorge, Glauce, Gorgophon, Hippodice, Hyperipte, Hippodame, Hippomeduſe, Hypermneſtre, Iphimeduſe, Mneſtre, Nelo, Ocypete, Oeme, Pharte, Pyrene, Podarce, Pylarge, Rhode, Rhodie, Scee, Sthenele, Stygne, Theano. Meurtrieres de leurs maris.Toutes leſquelles obeyrent au commandement de leur pere, horſmis Hypermneſtre, fille aiſnee de Danaüs, laquelle ſauua la vie à ſon mary Lyncee, les autres eſgorgerent leurs maris, puis leur couperent les teſtes, & les enſeuelirent vers le lac de Lerne, & leurs corps deuant ville d’Argos, ſelon le teſmoignage d’Herodote és Argo-Nochers ; adiouſtant que les filles de Danaüs purifiees ſelon le commandement de Iupin par Mercure & Pallas, furent toutes (excepté Hypermneſtre) produites en des ieux & tournois publics, & donnees aux vainqueurs. Toutesfois d’autres diſent que ces nopces polluës de ſi grand’ quantité de ſang, furent celebrees deuant que Danaüs arriuaſt à Argos, lors qu’il diſputoit la Couronne auecques ſon frere Egypte. Lyncee ſeul ſauué par ſa femme.Ainſi doncques Lyncee, ſeul entre ſes freres eſchappé par le benefice de ſa femme ſe ſauua à Lyrce, ville en ce temps-là ſcituee prés d’Argos, comme aſſeure Pauſanias en l’Eſtat de Corinthe, où ſe voyant en ſauueté, il alluma ſur vne tour, ſelon la parole qu’il auoit donnee à ſa femme, vne torche pour ſignal de ſa deliurance & ſeureté. Pareillement Hypermneſtre en alluma vne autre ſur la tour de Lariſſe, pour monſtrer qu’elle eſtoit auſſi hors de danger ; & depuis les Argiens celebrerent tous les ans la feſte & ſolemnité de ce iour-là, qu’ils nommerent la feſte du flambeau. Apollodore au deuxieſme liure de ſa Bibliotheque eſcrit qu’Hypermneſtre fut depuis donnee en mariage à Lyncee, lequel fit mourir Danaüs, & fut Roy d’Argos. Or d’autant que ces filles de Danaüs auoyent eſté ſi cruelles & barbares que de cõmettre vn acte ſi deteſtable & indigne de leur qualité à l’endroit de ces ieunes ſeigneurs innocens, & leurs proches parens, elles furẽt condamnees aux Enfers à tel ſupplice perpetuel cy-deſſus ſpecifié ; auec promeſſe que leur trauail ceſſeroit quand elles auroient vne fois ramené leur vaiſſeau plein hors du puits. Ouide au 4. des Metamorphoſes, traittant des tourmens de pluſieurs aux Enfers n’oublie pas celuy-cy :

Le tourment aſſidu des filles ſœur Belides, C’eſt de puiſer ſans fin d’vn puits les eaux liquides D’vn vaiſſeau defonſé, ſans l’amener à bord Remply d’eau pour auoir leurs couſins mis à mort,

¶Tirons maintenant la verité de ceſte Fable. Quelques-vns diſent que les Danaïdes ſont les annees, qui ſemblent nous vouloir enrichir & ſaouler des fruicts aſſiduels qu’elles nous produiſent en leurs ſaiſons, & neantmoins nous en conſumons & depenſons autant qu’elles en peuuent rapporter. Ainſi l’explique Lucrece au 3. liure diſant :

Puis paiſtre de l’eſprit de nature adonnee A tant d’ingratitude, & la remplir de biens Sans iamais l’aſſouuir ; comme font de l’annee Les ſaiſons tournoyans, & qui de tous moyens Nous empliſſent de fruits, de mainte gaillardiſe, Sans pouuoir cependant nous rendre oncques contens Des fruicts de cette vie. Or de ce nous auiſe Ce que les filles ſœurs en la fleur de leur temps Vn tonneau defonſé ſans ceſſe d’eau rempliſſent, Sans que l’auoir à bord iamais plein elles puiſſent.

Ainſi donc quelques-vns les prennent pour les reuolutions & les changemens des annees & des ſaiſons. Les autres eſtiment que toute la vie humaine ſoit compriſe en cette Fable, veu que toute la peine & ſolicitude que nous prenons en ce monde nous tourne à neant, comme ainſi ſoit que nous n’auons point icy bas de cité permanente, & que nuls veſtiges des efforts humains ne peuuent longuement perſiſter, d’autant que toutes choſes viennent derechef à ſe confondre & peſle-meſler. Les autres croyent que cette fabuloſité tendent à monter que les plaiſirs & ſeruices faits à des ingrats ſont tres-mal employez. Mais ie croy quant à moy qu’elle contient quelque enſeignement plus glorieux, plus honorable & plus vtile à la vie humaine ; c’eſt à ſçauoir, que les enfans doinent rendre honneur & obeyſſance à leurs parens entant que leurs commandemens ne contrarient point au deuoir d’humanité, ny à la crainte & reuerence que nous deuons à la parole & volonté de Dieu. Que s’ils leur commandent quelque choſe contreuenant à la vraye Religion, à la pieté, à la foy diuine, à la iuſtice, à l’humanité ; il ne leur faut point preſter l’oreille, mais en cet endroit ſe diſpenſer de leur obeyſſance. Et pourtant ſi quelqu’vn obeyt & accomplit le commandement ou conſeil de celuy qui luy enjoint ou conſeille quelque iniquité, il ne ſe pourra nullement garantir de la punition & vengeance Diuine. En ſomme, quiconque negligeant l’honneur & la reuerence qu’on doit à la Majeſté de Dieu, & ſe déuoyant du deuoir d’honneſte homme & craignant Dieu, vient à commettre quelque deteſtable & cruel forfaict ; qu’il faſſe eſtat qu’aprés ſa mort il ſera és Enfers tourmenté de ſupplices eternels où n’y a que pleurs & grincemens de dents. Voila quant aux Belides ; expoſons la Fable de Sphinx.