Mythologia

Natale Conti, Mythologia, 1567-1627 : un laboratoire éditorial


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Jean de Monlyard (15..-16..). Enquête bio-bibiographique

Frontispice de l'édition originale 1567

Natale Conti

Marque de l'imprimeur André Wechel

André Wechel

Portrait Johannes Opsopoeus

Johannes Opsopoeus

Portrait Friedrich Sylburg

Friedrich Sylburg

Frontispice 1627

Jean Baudoin


friseMonlyard



Frontispice de l'édition de 1612
© Münchener DigitalisierungsZentrum (MDZ)

Jean de Montlyard, premier adaptateur français des Mythologies de Conti, dont la traduction a connu une fortune considérable, a fait l’objet de peu de travaux critiques. Récemment, même l’ambitieuse Histoire des traductions en langue française[1] n’a apporté aucune lumière sur celui que Jean-Paul Barbier Mueller qualifiait peut-être un peu rapidement de « modeste littérateur »[2].

Les notices bio-bibliographiques puisent donc pour la plupart aux mêmes sources anciennes[3]. La Nouvelle Biographie générale, publiée dans la seconde moitié du XIXe siècle par Firmin Didot, fournit un bon aperçu des informations parcellaires qui aujourd’hui encore ont cours sur Montlyard : « littérateur français, né vers 1530. Il était seigneur de Melleray en Beauce. Réfugié à Genève, il fut reçu bourgeois de cette ville, et exerça dans le canton les fonctions de ministre depuis 1554. L’époque de sa mort n’est pas connue »[4]. Ces quelques lignes posent autant de questions qu’elles n’en résolvent, sur deux aspects au moins, ce que les rédacteurs des notices soulignent d’ailleurs parfois. Le premier point est l’âge très avancé qu’aurait eu Montlyard au moment de la parution en 1622 de sa traduction de l’Histoire éthiopique d’Héliodore, bien que l’on puisse toujours supposer une publication posthume. Le second point tient à sa traduction de l’Ane d’or d’Apulée (1602), fidèle à l’original jusque dans les passages les plus scabreux et obscènes, ce qui peut surprendre de la part d’un pasteur calviniste en exercice. Face à ces deux difficultés, les commentateurs évoquent la possibilité que ces ouvrages aient été écrits non par lui, mais par son fils.

De fait, les recherches menées par Sara Petrella ces dernières années sur l’édition illustrée de la Mythologie (1612) ont permis de dissiper le malentendu[5]. Il y a bien deux Jean de Montlyard : le père, pasteur, né vers 1530, et le fils, né vers 1550, écrivain et traducteur. Jean de Montlyard père, dit parfois aussi Jean Melrey, a exercé les fonctions de ministre de la religion réformée au sein de l’église de Genève, dans les paroisses de Draillans et Céligny, entre 1554 et 1563, date de sa mort[6]. Sara Petrella signale par ailleurs qu’il a été reçu bourgeois de Genève, avec ses fils, le 31 août 1559. Jean de Montlyard fils, quant à lui, est probablement né à Genève, où il aurait également étudié, avant d’être employé chez le célèbre imprimeur libraire Henri Estienne comme correcteur d’imprimerie[7]. Par la suite, il devient conseiller et secrétaire du jeune prince de Condé, Henri II de Bourbon. C’est du moins ainsi qu’il est présenté par l’un de ses amis, le dominicain portugais José Teixeira, dans un ouvrage de 1598[8]. Il quitte donc Genève à une date indéterminée. L’épître dédicatoire adressée à Charles de Gonzague au seuil de sa traduction du Miroir de la procedure (1595) est en tout cas signée depuis Paris.

Malgré ce poste de secrétaire et conseiller du prince de Condé – dont il faudrait pouvoir préciser la durée et les contours – Jean de Montlyard semble avoir été en constante recherche de protection. La quasi-totalité de ses ouvrages sont offerts à des dédicataires sans doute susceptibles de l’aider de manière financière ou institutionnelle. Montlyard évoque avec une certaine amertume cette recherche d’appui dans la dédicace à Jean de Rouen, prédicateur et aumônier du roi, désigné comme « Proviseur du Collège des Thrésoriers », qu’il place en tête de L’Asne d’or :

Et si quelqu’un s’estonne que je vous prefere à tant de Princes, à tant de Grands, à tant d’illustres personnes dont les auteurs sont coustumiers d’enrichir leurs escripts : dites leur s’il vous plaist avec moy ; Que je prefere vostre privauté aux frivoles esperances, vostre amitié aux promesses sans effect. Je scay d’ailleurs, et par experience, que les Grands sont bien aises de ne point voir ceux ausquels ils ont obligation ou de plaisir, ou de service ou de gratuité. Et cuident que se presenter à eux, soit leur reprocher quelque illiberalité. Je ne le scay pas faire. Aussi mon humeur n’est point de naqueter à la porte de personne.[9]

Cette déclaration de principe est à mettre en perspective avec le fait qu’il existe une seconde émission de cette édition de L’Asne d’or, qui ne se distingue de la première que par un dédicataire différent, Jacques Nompar de Caumont[10]. Malgré son refus de « naqueter à la porte » des puissants, Montlyard semble bien avoir eu besoin de multiplier les protecteurs et les sollicitations.

L’activité de Montlyard homme de lettres court de 1580 à 1622. Pendant ces quarante et quelques années, Montlyard publie probablement une dizaine de traductions, ainsi que deux ouvrages de sa propre composition. Un doute demeure quant à l’attribution d’une partie de ses œuvres, qu’il ne signe pas toujours, ou seulement par les initiales « I.D.M », relativement courantes et susceptibles de désigner d’autres auteurs.

Les traductions de Montlyard se répartissent en deux ensembles distincts, qui correspondent aussi, dans une certaine mesure, à deux époques différentes. Si l’on excepte sa première traduction, en 1580, d’un traité de médecine et d’astronomie[11], on observe que de 1588 à 1599 Montlyard traduit essentiellement des ouvrages à caractère religieux ou politique. Puis, au tournant du siècle, son intérêt se porte sur des fables et des fictions en lien avec l’Antiquité, au sens large. S’agissant des traductions à caractère politique et religieux, nous avouons une forme de perplexité face aux choix des textes traduits. Il y aurait d’abord un traité de Matteo Zampini, fervent ligueur et proche de Catherine de Médicis, traduit en 1588 sous le titre Des Estats de France et de leur puissance[12]. Le conditionnel est de mise car l’œuvre est signée des seules initiales « I.D.M ». La notice de la BnF hésite entre Montlyard et un certain J.D. Matthieu, dont on ne sait rien par ailleurs[13]. Jean Balsamo l’attribue sans discussion ni argument à Montlyard[14], mais on peut malgré tout s’interroger sur la cohérence idéologique d’un tel choix de texte de la part du Genevois, proche des milieux protestants. Cependant, en 1599, c’est bien Montlyard qui signe une traduction des Sermons de Caresme de François Panigarola, traduction qui ne peut être que l’œuvre d’un écrivain aux affinités ligueuses. Bizarrement, dans les mêmes années, c’est à lui que Jean de Serres, historiographe et pasteur calviniste, confie la tâche de poursuivre son Inventaire de l’Histoire de France après sa mort en 1598. Rien ne permet de dater précisément une conversion au catholicisme de Montlyard, que l’on suppose avoir été élevé dans la foi protestante, mais ses choix en tant que traducteur dessinent un itinéraire politique et religieux fluctuant. Enfin, dans cette première période d’activité, Montlyard traduit trois ouvrages José Teixeira, entre 1595 et 1597. Ce dominicain portugais établi à Paris se présente comme un ami de Montlyard[15]. L’un de ces ouvrages, Explication de la généalogie de treshault et trespuissant Henri prince de Condé (1596), nous indique que l’origine de cette amitié est sans doute à chercher dans la fréquentation commune de l’entourage du prince de Condé. Les deux autres textes, Le miroir de la procedure de Philippe Roy de Castille en l'usurpation du Royaume de Portugal (1594) et le Traicté paraenetique (1596), sont des pamphlets contre Philippe II, que José Teixeira considère comme un usurpateur après l’annexion du Portugal en 1580. Le Traicté paraenetique, par ailleurs traduit en flamand et en anglais en 1598, se caractérise plus largement par des attaques contre l’Espagne et les Espagnols.

La publication de la Mythologie en 1600 marque un tournant dans la production du traducteur, qui délaisse l’actualité politique et religieuse. Suivront L’Asne d’or (1602) d’Apulée, Les Hiéroglyphiques de Pierio Valeriano (1615)[16] et Les Amours de Theagene et Chariclee (1622), traduction du roman d’Heliodore, L’Histoire ethiopique[17]. La Mythologie, grand succès de librairie, au retentissement considérable, donne au traducteur une toute envergure. Dans sa version du texte de Conti, Montlyard n’hésite pas à prendre des libertés avec la source italienne, tout en faisant preuve d’une forme de fidélité au texte[18]. Dans la préface à L’Asne d’or, il se présente en grand restaurateur du roman apuléen, corrompu par une précédente traduction due à Jean Louveau. Il éreinte avec une grande violence son prédécesseur, ce qui lui permet de faire l’éloge de sa propre mise en français, il est vrai globalement fidèle à l’esprit et à la lettre du roman latin, mais qui amplifie certains passages[19]. Dans les commentaires qu’il joint à sa traduction, on le découvre également lexicologue, commentant finement tel ou tel choix de terme pour rendre l’original latin[20], attentif à trouver le mot juste, comme ici avec le néologisme « renardesque » :

On a des long temps naturalisé plusieurs mots de mesme formation, soldatesque, larronnesque etc. aussi ne scay-je point de terme plus preignant pour exprimer le Vulpinaris amasio d’Apulee. Renarder signifie par fraudes et mensonges pervertir la verité, et faire en somme quelque tour de renard. Le mot est prins des ruses et fraudes de l’animal. Ainsi amoureux renardesque, se prend pour un amant frauduleux, imposteur. Il n’y a beste plus industrieuse, plus rusee. Les fables d’Æsope le tesmoignent, et l’experience nous l’apprend[21].

Jean de Montlyard signe également – ou plutôt ne signe pas – deux ouvrages de sa propre composition. Il s’agit, nous l’avons déjà évoqué, d’une continuation de L’Inventaire de l’Histoire de France réalisée à la demande de Jean de Serres – c’est du moins ainsi que Montlyard présente les choses dans l’épître dédicatoire adressée au baron de Vignolles La Hire, présente dans la Mythologie à partir de l’édition de 1604 : « à l’impulsion de feu monsieur de Serres par une lettre qu’il escripvit peu devant sa mort, duquel la mémoire me sera tousjours tresheureuse, et de nos amis communs apres son decez, j’ai continué ce qui restoit imparfaict depuis le regne de Charles VII »[22]. Deux volumes avaient en effet déjà été publiés en 1597, qui traitaient de l’histoire de France jusqu’en 1422. Les éditions qui paraissent en 1600 et 1606 sont augmentées par Montlyard pour arriver jusqu’au règne d’Henri IV.

L’autre ouvrage attribué à Montlyard est L'Anti-Jésuite ou discours du roi contre les Jésuites sur la mort de Henri IV, publié à Saumur en 1611. Il y accuse les Jésuites d’être responsables de l’assassinat du roi et demande leur expulsion[23].

Les œuvres de Montlyard sont principalement publiées à Paris et à Lyon. Ses liens avec Paul Frellon, éditeur de la Mythologie mais aussi des Sermons de Caresme et des Hiéroglyphiques, restent encore à explorer, de même que le réseau franco-genevois de la librairie lyonnaise.

 


[1] Véronique Duché (dir.), Histoire des traductions en langue française. XVe et XVIe siècles. 1470-1610, Lagrasse, Verdier, 2015 et Yves Chevrel, Annie Cointre et Yen-Maï Tran-Gervat (dir.), Histoire des traductions en langue française. XVIIe et XVIIIe siècles. 1610-1815, Lagrasse, Verdier, 2014.
[2] Jean-Paul Barbier Mueller, Dictionnaire des poètes français de la seconde moitié du XVIe siècle (1549-1615). Tome II : C-D, Genève, Droz, 2015, p. 251.
[3] Voir notamment Prosper Marchand, Dictionaire historique, La Haye, Pierre de Hondt, 1758-1759, t. II, p. 66-75 ; Eugène et Émile Haag, La France protestante, Paris, J. Cherbuliez, 1857, t. VII, p. 490-491.
[4] Nouvelle biographie générale, Paris, Firmin Didot frères, 1858, t. XXVI, p. 328. La notice d’autorité de la BnF reprend ces éléments.
[5] Sara Petrella, Dieux en métamorphose : regards croisés sur la Mythologie, c'est-à-dire explication des fables (Lyon, 1612), thèse de doctorat, Genève, 2017 [non consulté] ; « Enquête autour d'un livre hybride : La première édition illustrée de la Mythologie de Natale Conti », Péristyle. Référentiel thématique (Histoire de l'art, patrimoine bâti et art décoratif), 27 mai 2013 (revue en ligne) ; « La traduction française de la Mythologie de Natale Conti par Jean de Montlyard : représentation textuelle et iconographie de Bacchus », ASDIWAL, Revue genevoise d'anthropologie et d'histoire des religions, n°6, 2011, p. 173-178.
[6] Voir les Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève au temps de Calvin. T. II, 1553-1564 : Accusation et procès de Michel Servet, Genève, Droz, 1962, p. 56 et 76.
[7] Sara Petrella, « La traduction française de la Mythologie de Natale Conti par Jean de Montlyard : représentation textuelle et iconographie de Bacchus », art. cit., p. 175.
[8] José Teixeira, Rerum ab Henrici Condaei, Paris, L. Delaz, 1598, p. 208.
[9] L’Asne d’or, Paris, Abel L’Angelier, 1602, ã2v.
[10] Voir Jean Balsamo et Michel Simonin, Abel L'Angelier et Françoise de Louvain : 1574-1620. Suivi du Catalogue des ouvrages publiés par Abel L'Angelier, 1574-1610 et la veuve L'Angelier, 1610-1620, Genève, Droz, 2002, p. 317-318.
[11] Antoine Mizauld, L’Harmonie des corps celestes et humains, Lyon, Benoist Rigaud, 1580. L’original latin avait paru pour la première fois en 1555.
[12] Paris, Rolin Thierry, 1588. L’original italien date de 1578. Sur cette œuvre, voir Jean Balsamo, L'amorevolezza verso le cose italiche : le livre italien à Paris au XVIe siècle, Genève, Droz, 2015, p. 155-156 : « Composé par Matteo Zampini à l’occasion de la réunion des Etats généraux à Blois (ouverts le 6  décembre 1576), ce traité, fondé sur une vaste érudition historique, se propose de montrer la continuité de la puissance absolue des rois et la puissance relative des Etats, qui ne participent à l’administration du royaume que dans des cas particuliers ».
[13] Voir M. Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes ou pseudonymes, Paris, Barrois l’aîné, 1822, p. 455.
[14] Jean Balsamo, op. cit., p. 156.
[15] José Teixeira, Rerum ab Henrici Condaei, Paris, L. Delaz, 1598, p. 208. José Teixeira est un proche de l’infant portugais dom Antonio, candidat au trône du Portugal en 1580 et réfugié en France à partir de 1581. Le père Teixeira défend ses droits contre Philippe II d’Espagne. Il est par ailleurs aumônier de Marie de Médicis et conseiller d’Henri IV. Il meurt à Paris en 1604.
[16] Il s’agit semble-t-il d’une révision de la traduction de Gabriel Chappuys, Commentaires hiéroglyphiques, Lyon, B. Honorat, 1576.
[17] L’attribution à Montlyard de cette dernière traduction a été contesté. Voir A. Cioranescu, Bibliographie de la littérature française du XVIIe siècle, Paris, éditions du CNRS, 1966, t. II, p. 1489.
[18] Voir Céline Bonhert, « Quelques réflexions sur l’usage de la métaphore dans les Mythologiæ de Natale Conti et leurs traductions françaises », dans B. Petey-Girard et C. Trotrot (dir.), Métaphore, savoirs et arts au début des temps modernes, Paris, Garnier, 2015, p. 157-179.
[19] Voir Carole Primot, « Une rature depuis la première page jusqu'à la dernière » : la leçon de traduction de Jean de Montlyard », Présences du traducteur, Véronique Duché and Françoise Wuilmart (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 247-257.
[20] Voir Takeshi Matsumura « Une source du dictionnaire de Cotgrave : L’Asne d’or de Jean de Montlyard », FRACAS, Groupe de recherche sur la langue et la littérature françaises du centre et d'ailleurs (Tokyo), 2018.
[21] L’Asne d’or, éd. cit., livre III, p. 108.
[22] Mythologie, Lyon, Paul Frelon, 1612, A6r.
[23] Voir Sylvio De Franceschi, « Le principe de souveraineté à l’épreuve. Raison du prince et hostilité catholique à la Compagnie de Jésus en France de l’assassinat d’Henri IV aux États Généraux de 1614-1615 », dans Europa Moderna. Revue d'histoire et d'iconologie, n°2, 2011, p. 51-52.


Carole Primot


Voir la présentation de l'édition de 1612.
Lire la dédicace de Jean de Montlyard au prince de Condé.